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Jan-Roman Potocki, écrivain: renaissance de la fraternité militaire franco‑polonaise

Jan-Roman Potocki descend d’une famille illustre, étroitement liée au destin de la Pologne, de ses heures de gloire, aux vicissitudes infligées par les siècles, ses descendants ayant brillé à des postes militaires, politiques, diplomatiques, ainsi que dans le domaine des lettres, contribuant à écrire l’histoire du pays et de l’Europe centrale. Écrivain et essayiste, passionné par l’Histoire militaire, Jan-Roman Potocki a notamment écrit l’ouvrage « Frères d’Armes – Le soutien militaire de la France à la Pologne – 1917-1924 ». “Si vis pacem, para bellum”, ainsi se conclut la seconde édition augmentée de « Frères d’Armes » ; l’occasion, après les six mois de présidence polonaise au Conseil de l’Union européenne et la signature du traité pour une coopération et une amitié renforcées entre la France et la Pologne, dit « Traité de Nancy » en mai dernier, de revenir, sur la renaissance de la fraternité d’armes franco-polonaise, dans une Europe secouée par l’attaque russe de l’Ukraine en février 2022.

Jan PotockiJan Potocki
Jan-Roman Potocki dans les jardins de la Boisserie, sous le bureau du Général de Gaulle
Écrit par Bénédicte Mezeix-Rytwiński
Publié le 13 juillet 2025, mis à jour le 7 octobre 2025

 

Lepetitjournal.com Varsovie : Les évènements franco-polonais entre 1917 à 1924 sont méconnus en France, ils ont cependant eu un impact décisif pour l’avenir de la Pologne et les relations franco-polonaises, pourriez-vous revenir dessus pour nos lecteurs ?

Jan-Roman Potocki : « Frères d’Armes » est d’abord paru en 2020, l’année du centenaire de la Bataille de la Vistule opposant l’Armée polonaise aidée de la France à l’Armée rouge, soutenue secrètement par l’État-major allemand. La victoire des Polonais a sauvé leur État renaissant, mais a aussi préservé le traité de Versailles qui aurait volé en éclats si l’Allemagne et la Russie s’étaient à nouveau partagé la Pologne en 1920. Jusqu’à très récemment, on s’en souvenait vaguement en France, car le capitaine De Gaulle y avait pris part, mais, pour le reste c’était un sujet oublié, voire tabou, car certains acteurs de l’époque, tel que le général Weygand, avaient été ultérieurement associés à la débâcle de 1940 et au régime de Vichy. 

 

Côté polonais, le rôle de la France avait été systématiquement minimisé pour des raisons politiques et psychologiques faciles à comprendre. En effet la victoire spectaculaire de 1920 fondait et consolidait la renaissance de la Pologne et accordait au maréchal Piłsudski un prestige et une légitimité qui ne devait souffrir aucune concurrence ni contradiction.

Puis, pendant toute la période d’occupation soviétique de la Pologne, ce sujet était absolument proscrit. Ironiquement, ceci explique aussi que l’on n’en ait peu parlé en France, où l’influence du parti communiste était restée importante dans l’éducation nationale. En d’autres termes un sujet historique majeur gisait enfoui pendant un siècle, victime de mythes fondateurs successifs.


2e édition de Frères d'armes - Le soutien militaire de la France à la Pologne - 1917-1924

 

Lepetitjournal.com Varsovie : A quel moment l’idée de cet ouvrage colossal est-elle née ?

Jan-Roman Potocki : J’ai pressenti son importance après avoir travaillé en 2018 et 2019 sur les relations polono-américaines de la même époque (mémoires du premier ambassadeur américain en Pologne, H. Gibson, ami de la famille, et exposition au centre DSH de Varsovie). J’ai en grande partie écrit, financé et publié cet album bilingue en seulement dix mois.  Un véritable tour de force, que je n’aurais pas pu réaliser sans l’aide de quelques personnes.

Tout d’abord, Frédéric Billet, ambassadeur de France à Varsovie, diplomate au profil atypique, car militaire de formation et fils de militaire, ami sincère de la Pologne et féru d’histoire. M.Billet a tout de suite saisi l’intérêt du projet et m’a apporté son soutien. Ensuite, le colonel Frédéric Guelton, co-auteur de l’ouvrage de 2020, avait déjà exploré le sujet, fort de sa connaissance des archives militaires françaises, notamment celles rendues par la Russie à la France dans les années 1990 (Fonds de Moscou). Enfin, Małgorzata Grąbczewska, francophone, passionnée d’histoire de la photographie, avait déjà réalisé un remarquable travail de sélection de l’iconographie, tant en France qu’en Pologne, pour une exposition antérieure sur la Mission militaire française en Pologne. Ainsi quand la pandémie du Covid a éclaté début 2020, j’avais à ma disposition la matière première et le temps nécessaires pour écrire un livre. Il me manquait l’argent, mais Frédéric Guelton et moi avons réussi à réunir près de 90% du budget auprès de sources publiques et privées. Le livre est paru en décembre 2020, l’Ambassade de France a reçu un tiers du tirage sans débourser un sou, les sponsors le deuxième tiers et les auteurs le reste, en guise de compensation.

 

J’étais convaincu, et je pense que M. Billet l’était également, que la France et la Pologne seraient amenées à courte échéance à se rapprocher.

Pourtant, les relations entre Paris et Varsovie étaient plus que médiocres à l’époque. Nous appartenions à la petite minorité de ceux qui s’intéressaient à l’histoire des relations franco-polonaises d’un point de vue avant tout militaire - le seul qui compte vraiment à vrai dire - car France et Pologne, séparées par le Saint-Empire romain germanique, ont passé mille ans à s’ignorer, à part quelques épisodes brefs et intenses, mais relativement récents. 

L’Histoire nous a donné raison. La Russie attaquait l’Ukraine quatorze mois plus tard. Le stock du premier tirage épuisé, j’ai été sollicité par la Mission militaire à Varsovie pour une réédition. Nous étions en guerre, l’enjeu avait été surmultiplié, je voulais donc aller au fond des choses et placer l’analyse sur un plan européen, à la fois diplomatique et militaire, tout en gardant le caractère personnel des témoignages, français et polonais. L’édition de 2024 est donc un ouvrage profondément retravaillé, remis en page et publié avec le soutien financier, entre autres, du Ministère des Armées français. 500 pages, 150 illustrations, 16 biographies, 7 cartes en deux langues. « Frères d’Armes » sert aujourd’hui à replacer dans un contexte historique la coopération franco-polonaise qui s’intensifie à tous les niveaux, en particulier stratégique. Je voudrais remercier à ce titre M. Étienne de Poncins, ambassadeur de France à Varsovie, et le colonel Pierre-Marie Lejeune, chef de la Mission militaire, qui m’ont accordé leur confiance en soutenant le projet de réédition en 2024 et qui, depuis, contribuent activement à la diffusion du livre auprès de personnalités françaises et polonaises, civiles et militaires. Cet engagement commun commence déjà à porter des fruits.

 

Pilsudski décore Foch
Le maréchal de Pologne Pilsudski décore le maréchal de France Foch de la médaille Virtuti Militari  en 1921

 


Verbatim-Traité de Nancy, mots forts et fondateurs de Donald Tusk et Emmanuel Macron

 

Lepetitjournal.com Varsovie : Le 9 mai dernier, la France et la Pologne signaient le Traité de Nancy actant l’amitié et la coopération renforcées franco-polonaise. Durant la conférence de presse qui a suivi, Emmanuel Macron a déclaré : « Nous venons d’ouvrir une nouvelle page, qui seule rendra possible l’histoire européenne de demain, en fermant une page sombre qui s’est ouverte dans les années 30 du siècle passé, lorsqu’à l’ouest de l’Europe, on a cru un moment que la progression nazie ne nous touchait pas et que nous ne sommes pas intervenus ». Cette déclaration tourne-t-elle une page de l’histoire franco-polonaise et des relations entre les deux pays ?

Jan-Roman Potocki : C’est une déclaration importante du chef de l’État français qui fera, je l’espère, date. J’ose aussi supposer que mon ouvrage, qu’Emmanuel Macron a reçu lors d’une visite à Varsovie, y est pour quelque chose. Il faut construire une relation nouvelle. Pour cela, il faut abattre les mythes désormais caducs de l’après 1945. Derrière cette reconnaissance du président Macron se cache un fait majeur :

si, en 1939, la France avait honoré l’alliance conclue avec la Pologne en 1921, l’Europe, la France et surtout la Pologne, auraient connu un autre sort, probablement beaucoup moins terrible.

Toutefois la reconnaissance des erreurs passées ne sert que si elle peut aider à mieux affronter les défis actuels. Je pense que la signature du traité de Nancy répond à cette logique. La défense de l’Ukraine constitue cette confrontation avec la réalité géographique et historique de l’Est européen. Si les chefs d’État et de gouvernement l’ont compris, les sociétés françaises et polonaises, et a fortiori européennes vacillent, pour des raisons différentes. Pourquoi continuer à faire des sacrifices pour autrui ? C’est humain et si désespérément réducteur. Nous avons perdu l’ambition et la vision impériale. La clef de la victoire est là, dans cette notion d’empire européen. Le dernier français à l’avoir embrassée pleinement est Napoléon Bonaparte, et partiellement Ferdinand Foch dans sa tentative de compenser les faiblesses stratégiques du traité de Versailles en constituant un système d’alliances à l’est de l’Allemagne. La Pologne a été trop longtemps privée d’État pour opposer des exemples comparables, mais on peut néanmoins citer les auteurs de la Constitution du 3 mai 1791 ainsi que Józef Piłsudski qui ont cherché à rectifier les erreurs du passé pour restaurer la « Rzeczpospolita », ou la République des Deux puis Trois Nations.


JOZEF PILSUDSKI - Le visage de la Pologne de l'entre-deux-guerres

 

Lepetitjournal.com Varsovie : Au travers de ce traité clé, dans une Europe secouée par l’attaque russe de l’Ukraine en février 2022, peut-on dire que la fraternité d’armes franco-polonaise renaît ? Durant la Seconde Guerre mondiale, la Pologne, pourtant rayée de la carte de l’Europe, joue un rôle essentiel. En effet, le général Sikorski, à la tête du gouvernement en exil, monte une armée de 80.000 hommes déployés sur plusieurs terrains en Europe. Ainsi, de nombreux combats décisifs seront menés par des brigades polonaises en France. Doit-on offrir, au lendemain du Traité de Nancy, une nouvelle place à la Pologne dans l’histoire française ?

Jan-Roman Potocki : Le nombre de soldats polonais sous les drapeaux alliés pendant la Deuxième guerre mondiale se situe plutôt autour de 200-300,000 hommes, répartis dans toutes les armes, combattant sur tous les fronts, sans compter les forces de la résistance, autant en France, où les Polonais ont été surreprésentés, qu’en Pologne, où l’Armée de l’Intérieur a joué un rôle incomparablement plus important que son équivalent français. Je pense, en reprenant ma notion d’empire, qu’il faille que Polonais et Français non seulement renforcent leur coopération militaire, mais aussi se partagent la tâche. La géographie l’exige. La France est adossée à l’Atlantique et à la Méditerranée. Par ses possessions ultra-marines, elle est présente dans les océans Pacifique et Indien. Logiquement sa priorité devrait être le renforcement de sa puissance maritime, avec la constitution d’un deuxième groupe aéronaval, par exemple. La Pologne, pays sans frontières naturelles à l’Est, doit se doter d’une armée de terre de premier ordre, ce qu’elle fait déjà. À cela il faut ajouter l’Allemagne qui, sous le chancelier Merz, sort rapidement de sa torpeur et, forte de ses ressources et de sa puissance industrielle, va devenir un acteur majeur à courte échéance et doit être intégrée dans cette répartition des rôles au sein de l’Europe. Je note que la présence permanente de troupes allemandes en Lituanie est en accord avec une tradition germanique pluriséculaire ancrée sur la côte baltique.

 

Enfin, l’Ukraine est la pièce manquante pour donner à l’empire européen sa cohérence stratégique, autant terrestre que maritime. C’était le projet resté inachevé de Joseph Pilsudski en 1920, alors incompris par la France, exclusivement préoccupée par le revanchisme allemand.

Dans cette architecture impériale en devenir, France et Pologne en seraient les deux clefs de voûte. À l’Ouest, la France aurait vocation à coordonner la dimension maritime, en particulier dans l’Atlantique Nord, en coopération avec la Grande-Bretagne, le Danemark, la Norvège, voire même le Canada. À l’Est la Pologne serait la base arrière de l’Ukraine et des pays baltes, en coopération avec l’Allemagne. De plus, la Pologne avec sa géographie nouvelle héritée de Yalta, fait pièce à toute tentation de rapprochement germano-russe, gazoducs sous-marins exceptés ! Ainsi une entente étroite entre Paris et Varsovie empêche aussi la division de l’Europe en deux camps, et rétablit un équilibre face à l’Allemagne. La question nucléaire est un sujet à part, que je ne suis pas compétent pour aborder, mais qui s’inscrit désormais dans une conception continentale que l’Europe commence tout juste à explorer.


Que contient le Traité de Nancy entre la Pologne et la France signé le 9 mai ?

 

Lepetitjournal.com Varsovie : Le destin de votre famille est étroitement lié à celui de la Pologne, quel rôle a-t-elle joué dans cette fraternité d’armes ? L’écriture de cet ouvrage est-elle un moyen de prolonger cet héritage familial ?

Jan-Roman Potocki : Votre question est perspicace. Oui, le passé de ma famille a joué un rôle important dans mon intérêt pour l’histoire. Il a facilité, je crois, une lecture dans la durée, au-delà de la glorification des héros et des martyrs, car nous avons connu, au travers des siècles, la gloire et la fortune tout comme l’humiliation et le dénuement, sans oublier l’expérience ni de l’un ni de l’autre. Pourvu que cela continue. 

Les frontières politiques actuelles de la Pologne ne sont pas forcément celles qui définissent et cadrent mon analyse. Comme le général De Gaulle pour qui la France ne pouvait être qu’«éternelle», je préfère me référer à la Pologne avec son bagage pluricentenaire, même si, depuis la mort de Jean-Paul II, personne ne l’incarne plus. J’ai aussi beaucoup voyagé, connaissant autant la France que la Pologne, mais aussi les terres d’Ukraine et de Russie, le monde latin et grec. En ce sens, cela permet de comprendre que la Pologne n’est, historiquement parlant, pas un pays strictement occidental, mais un pays des confins de l’Europe, à la croisée de plusieurs influences, fruit parfois amer de sa géographie et de son histoire. Aujourd’hui celles-ci pourraient être source de puissance et de diversité renouvelées.

Pour cela il faut que l’empire européen renaisse !

 

Pensez aux grands succès européens contre les Ottomans ; à Lépante sur mer en 1571 ou sous Vienne en 1683 sur terre. Le roi Jean Sobieski, marié à une Française, incarne cette contribution polonaise à la défense de l’Europe. Tout cela est possible aujourd’hui à condition de voir grand, au-delà du contexte strictement «national», ce qui est d’ailleurs pour la Pologne une notion relative à mes yeux, car ses frontières actuelles ont été tracées par Joseph Staline, les Polonais eux-mêmes l’oubliant trop facilement. Pourtant, il suffit d’apercevoir la silhouette sinistre et imposante du Palais de la Culture à Varsovie pour s’en rappeler. Celles de la France sont le fruit d’une géographie heureuse et d’un État sans cesse consolidé depuis Hugues Capet. Il faut savoir projeter son regard plus loin pour échapper au populisme de clocher. L’Histoire est en ce sens d’une grande utilité. Nous avons besoin de dirigeants de conviction européenne qui sachent aussi gagner la confiance de la Nation, car il faudra faire des sacrifices : redoubler de travail et être prêt à se battre. C’est inéluctable. Si vis pacem, para bellum. Tel est l’intitulé de ma conclusion à « Frères d’Armes » et son enseignement principal. Les évènements de 1939 ont donné raison à Foch ; ceux de 2022 justifieront-ils l’ambition de Piłsudski de 1920 ? La paix armée coûte cher, la guerre bien plus encore. Pour exiger ce tribut, il faut une légitimité supplémentaire à celle des partis et des urnes, une légitimité ancienne, ancrée dans l’Histoire.

 

Les deux seules institutions qui, en France et en Pologne en jouissent encore aujourd’hui, sont l’Armée pour la première, et l’Église pour la seconde. La France a eu De Gaulle, la Pologne un très grand pape. À quand de nouveaux chefs à la hauteur de l’ambition impériale européenne ?

 

Couverture de Frères d'Armes
Couverture de Frères d'Armes

 

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Un ouvrage écrit par Jan-Roman Potocki.

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Bénédicte Mezeix-RytwińskiAnnwenn Levêque, juin 2025.

 

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