Avez-vous déjà laissé traîner vos oreilles dans les lieux publics ? Vous serez surpris par la diversité des sujets, tous plus intéressants les uns que les autres - de l'influence de la météo sur les gens aux scandales politiques. Retirez simplement vos écouteurs ! Ce soir d’automne, la guerre en Ukraine a frappé à la porte de mon immeuble. Le temps d’une pause cigarette, j'ai été transporté à Marioupol, découvert les traces que peuvent laisser 3 ans de captivité.


Un samedi soir, une cigarette et une rencontre impromptue
Un samedi d’automne, environ 22h30, la nuit est sombre et froide, seule la lumière des réverbères et de l’immeuble contraste avec l’atmosphère sombre qui règne dans ma rue, au cœur d’un quartier d’habitation de Gdańsk, perdu entre le centre historique et Wrzeszcz.
Je me rends sur le perron de l’immeuble qui m’accueille depuis quelques mois à cette heure tardive pour m’en fumer une dernière avant de me laisser emporter par l’oisiveté d’un samedi soir sans remous.
Peu de temps après avoir allumé machinalement ma cigarette. Un homme et une femme, les deux d’environ une quarantaine d’années, sortent eux aussi de l’immeuble. L’homme tout en noir, du sweat au jogging, la femme, elle porte un jean bleu et un gilet rouge teinté de rose, sa seule barrière contre le froid. Moi, je suis bien couvert, on ne doit pas être faits du même bois.
Face à l’arrivée de ces mystérieuses personnes, je dégaine mon fameux „dzień dobry“, l’un des rares mots que je connais en polonais, mais qui me permet de faire illusion.
L’homme et la femme me renvoient la pareille et je continue de tirer sur ma cigarette, déjà à moitié consumée, un peu contrarié que ma solitude nocturne soit perturbée. Quelques instants plus tard, la femme m’adresse la parole et me dit en anglais de ne pas me presser. Me voyant sans doute un peu gêné, elle a peut-être cru bon de me rassurer. Est-elle vraiment polonaise ?
La discussion entamée, elle me demande si je suis polonais. Je lui réponds que non et, pris d’un doute, je leur demande si eux le sont ? Non, ils sont ukrainiens et passent le week-end chez leurs amis, à qui ils rendent visite. Moi qui pensais qu’ils étaient mes voisins, ils sont en fait les amis de mes voisins. Ne jamais juger trop vite !
Je leur demande alors s’ils viennent de l’ouest de l’Ukraine, curieux de savoir comment se passe la vie dans un pays en guerre.
Mauvaise pioche, c’est l’est du pays. De la ville de Marioupol plus exactement. Marioupol, ce nom qui me semble si familier pour l’avoir lu de si nombreuses fois en une de la presse et entendu en boucle dans les médias. Marioupol qui, pendant plusieurs mois, a fait tristement la une des médias occidentaux au tout début de l’invasion russe de l’Ukraine. Marioupol, célèbre pour son long siège, et la résistance des soldats ukrainiens de l’usine métallurgique Azovstal. Pendant que je rassemble dans ma tête toutes les informations que je connais sur Marioupol, je fixe mes chaussures… Que dire ?
💡 Où les réfugiés ukrainiens sont-ils allés le plus en Union européenne ?
Selon touteleurope.eu, à la date de septembre 2025, l’Allemagne et la Pologne ont accueilli le plus de réfugiés ukrainiens dans toute l’Union européenne avec respectivement 1.233 et 1.006 millions de réfugiés comptabilisés en août 2025. La Tchéquie arrive en 3e position avec 397 000 réfugiés.
En chiffre absolu, la Pologne est le pays de l’Union européenne qui a abrité sur son territoire le plus d’Ukrainiens, depuis le début de la guerre. Malheureusement, l’hostilité croissante de la part d’une partie de la population polonaise, notamment à cause des sabotages réalisés par des Ukrainiens en Pologne, et une remise en question des aides gouvernementales, ont poussé de nombreux réfugiés à traverser l’Oder pour bénéficier de la protection de l’Allemagne.
De son côté, la France accueille seulement 73.000 réfugiés ukrainiens, faisant figure, au sein de l’Union européenne, de mauvais élève. Que ce soit en nombre ou en proportion de sa population, la France n’est pas aussi solidaire que ses voisins européens .
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« 3 ans de captivité en Russie »
Un peu décontenancé par cette déclaration, je leur demande s’ils habitent désormais en Pologne ? Encore une fois, c’est la femme qui me répond, l’homme – elle glisse au détour de la conversation que c’est son mari, n’est pas très à l’aise en anglais. Elle me fait savoir qu’ils vivent désormais à Kiev. Et qu’ils viennent simplement voir leurs amis. Ce week-end à Gdańsk, la semaine d’après en Allemagne.
Elle me lance, entre le détail de leur voyage, que son mari a juste été libéré en juin 2025 de 3 ans de captivité en Russie.
Surpris par cette révélation, je n’ose plus poser de questions. Je marche sur des œufs, notamment à cause de la barrière de la langue.
Je n’ose pas me tourner vers son mari et lui demander comment s’est passée la captivité, était-il emprisonné en tant que militaire ou civil ? Aujourd’hui, je regrette.
Oui je sais que vous, qui allez lire ces lignes, vous pouvez vous dire que j’ai manqué sincèrement de courage. Je n'en reviens pas moi-même. Je m’interroge encore sur ce qui m’a bridé. Et pour vous dire franchement, cela m’a interrogé sur mon propre rapport à la guerre.
Avons-nous un problème en Europe, et en France plus particulièrement, à parler de la guerre en Ukraine et de la guerre en général ? Sommes-nous dans un état de désillusion qui nous amène à penser que la guerre est un sujet du passé dans une Europe relativement préservée depuis la Seconde Guerre mondiale ? Sommes-nous aveugles face à la menace que représente la Russie sur l’Union européenne et sur l’Europe dans son entièreté ?
Je m’échappe de cette réflexion avec une citation de Julien Freund, philosophe et résistant français, cité par Pierre-André Taguieff dans son ouvrage Julien Freund. Au cœur du politique :
« Vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas, raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitié. Du moment qu’il veut que vous soyez l’ennemi, vous l’êtes. » Pierre-André Taguieff dans son ouvrage Julien Freund
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Les prisonniers de guerre du conflit ukrainien
Il est difficile d’établir un chiffre exact du nombre de prisonniers de guerre ukrainiens et russes capturés lors de la guerre en Ukraine.
Selon un rapport de septembre 2025 de l’OSCE – Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, les experts de l’OSCE estiment qu’environ 13.500 soldats de l’armée ukrainienne ont été détenus depuis le début de l’invasion russe en février 2022. Parmi ces prisonniers, 6.800 ont déjà été libérés. Ces prisonniers rapportent des faits de tortures, de mauvais traitements, d’humiliations psychologiques, de violences sexuelles, de viols ou encore d’exécutions sommaires. Le rapport fait également état d’au moins 169 prisonniers morts en captivité.
En plus des prisonniers de guerre militaires, la Russie détient aussi arbitrairement des civils ukrainiens, certains depuis 2014. C’est ce qu’a annoncé Dmytro Lubinets – Дмитро Лубінець, Commissaire aux droits de l’homme ukrainien, lors d’une conférence de presse en juillet 2025. Lors de cette conférence, le Commissaire a indiqué que la Russie détient plus de 14 000 civils ukrainiens, dont 2.000 âgés de plus de 65 ans.
Pour sa part, l’État ukrainien ne divulgue pas d’informations sur le nombre de prisonniers russes sous sa juridiction.
Lors d’un accord d’échange de prisonniers en octobre 2025, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est félicité sur X – anciennement Twitter, que l’Ukraine ait réussi à ramener depuis 2022 plus de 7.000 prisonniers de guerre. Ces échanges se faisant généralement à un pour un, on peut supposer que l’Ukraine a eu en sa possession au moins 7.000 prisonniers de guerre russes.
Ces prisonniers de guerre ne sont néanmoins pas tous de nationalité russe, la Russie employant des mercenaires d’autres nationalités pour mener sa guerre. Plus surprenant encore, il s’avère qu’une partie importante de ces prisonniers de guerre sont de nationalité ukrainienne. En effet, Dmytro Lubinets a récemment révélé en octobre dernier à Le Monde que plus de « 25 % du nombre total de prisonniers de guerre russes sont des gens issus des territoires occupés ». Ces soldats ukrainiens combattant pour la Russie sont le plus souvent enrôlés de force, sous la menace et les représailles.
Ils se retrouvent alors à combattre leurs concitoyens pour une armée étrangère, de la même manière que les « Malgré-nous » Alsaciens et les Mosellans ont été incorporés de force dans l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale.
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« Que pensent les Français de la guerre en Ukraine ? »
Je relance la discussion avec la femme et lui demande quand elle a quitté sa ville. Elle a pu s’enfuir de Marioupol en mai 2022. Je me souviens que ça correspond à la fin de la bataille de Marioupol, moment où les civils pouvaient fuir précairement par des bus traversant des couloirs humanitaires.
Après un léger silence, histoire pour moi de digérer tout ce que je viens d’apprendre, c’est au tour de la femme de m’interroger. Elle me demande d’abord mon avis sur la guerre en Ukraine, quel camp je soutiens ? Ma réponse la satisfait et elle me demande ce qu’il en est pour la société française. Que pensent les Français de la guerre en Ukraine ?
Je suis un peu déconcerté, car comment lui expliquer ce qui traverse l’opinion française sur ce sujet, et tout cela en anglais ? Je lui réponds que je pense que la société française est majoritairement en faveur de l’Ukraine dans ce conflit où la Russie apparaît clairement comme agresseur. Néanmoins, il existe une partie de la population qui soutient Vladimir Poutine et son agression de l’Ukraine, soit par idéologie, soit par naïveté, afin d’obtenir la paix à tout prix.
Maintenant que j’y réfléchis, je me demande si je n’ai pas parlé trop vite… Est-ce que la société française est vraiment majoritairement en faveur de l’Ukraine ?
L’opinion de la société française sur la guerre en Ukraine : une opinion contrastée ?
Dans un sondage réalisé par l’agence Dynata et qui a été publié en octobre 2025, environ 80% des Français perçoivent la Russie « comme une menace pour la souveraineté des États européens », alors que seuls 6.6% d’entre eux considèrent que la Russie n’est pas du tout une menace pour notre souveraineté.
En comparaison, dans un sondage Ifop daté de septembre 2025, 72% des Français considéraient déjà la Russie « comme une menace pour la souveraineté des États européens ».
En plus d’un mois, la défiance des Français à l’encontre de la Russie a augmenté de 8%. En cause, l’attaque de drones russes sur la Pologne dans la nuit du 9 au 10 septembre 2025. Le sondage de Dynata montre que 87% des Français étaient au courant de cette agression contre les Polonais. À la question : « Quelle devrait être la priorité de l’OTAN et de l’UE pour répondre à cet incident ? », 37% des Français ont préconisé l’envoie de troupes militaires aux frontières de l’OTAN et de l’Union européenne, et 35.4% d’augmenter les sanctions économiques et diplomatiques afin d’éviter une escalade militaire tout en répondant à l’attaque sur la Pologne.
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« Le conflit semble lointain »
Intriguée par mes réponses, elle m’interroge sur ce que font les Français pour aider les Ukrainiens. Cette fois-ci encore, je suis pris de court. Je ne sais quoi répondre. Il est vrai que cela fait un moment que l’on entend plus, ou peu parler des initiatives individuelles en faveur de l’Ukraine. Il y a bien eu des Français qui ont rejoint la Légion internationale au début de l’invasion en 2022. Je me souviens, récemment, de la campagne sur les réseaux sociaux au profit du projet Skyshield qui vise à faire pression sur les gouvernements européens pour protéger le ciel ukrainien des attaques aériennes russes.
Restant un peu évasif sur les actions individuelles, ne sachant pas trop quoi répondre, je lui explique ce que le gouvernement français a fait pour l’Ukraine, que ce soit matériellement ou financièrement.
Le conflit semble lointain pour la majorité des Français, ce qui ne favorise pas une massification des actes individuels, à la place, on se repose sur l’action gouvernementale.
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Le soutien militaire et financier de la France à l’Ukraine
Selon le rapport annuel sur les exportations d’armement de la France du ministère des Armées, remis au Parlement le 29 septembre 2025, la France a contribué à hauteur de 8.6 milliards d’euros du 24 février 2022 au 31 décembre 2024.
Le soutien militaire représente 5.9 milliards d’euros et comprend la cession et l’acheminement d’armes, comme les célèbres canons César, les Mirages 2000, les missiles Scalp, ou des véhicules blindés, comme les AMX-10 RC ou les VAB. La formation de soldats ukrainiens par des militaires français est également comprise dans le soutien militaire de l'Hexagone à l’Ukraine.
En plus des 5.9 milliards d’euros, la France contribue pour 400 millions d’euros dans le fonds bilatéral de soutien à l’Ukraine. À cela s'ajoutent 2.3 milliards d’euros de contribution française au mécanisme de la Facilité Européenne pour la Paix (FEP), un instrument de l’Union européenne adopté le 22 mars 2021 dans le but de prévenir les conflits et préserver la paix en renforçant la sécurité et la stabilité internationales.
Selon le Kiel Institute, un think tank allemand spécialisé dans la recherche économique, la participation militaire et financière de la France à l’Ukraine s'élèverait plutôt à 7.76 milliards d’euros, soit 0.29% du PIB français de 2021, à la date d’août 2025. S’ajoutent également à cela 13.38 milliards d’euros de participation française aux aides militaires et financières de l’Union européenne à l’Ukraine.
Au total, la France a aidé l’Ukraine à hauteur de 20.94 milliards d’euros d’aides militaires, financières et humanitaires, par des aides bilatérales ou de l’Union européenne. Cela représente 0.81% du PIB français de 2021.
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Les cigarettes s’éteignent et la discussion s’évanouit dans le silence de la nuit
L’homme suit la conversation depuis le début, avec distance, mais n’y participe guère. Barrière de la langue ou pudeur ? Ayant fini sa cigarette, il se dirige vers la porte, mettant un point final à la discussion.
« Bonne nuit » est lancé chaleureusement. Chacun monte dans son appartement.
Certains trouveront facilement le sommeil cette nuit, d’autres pas.
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