Édition internationale

Berlin - Paris : Karol Nawrocki durcit le ton face à la Russie, l’ennemi séculaire

Après Berlin dans la matinée, direction Paris pour le président polonais Karol Nawrocki, fraichement élu ce printemps, qui a été reçu par le président français, Emmanuel Macron à l’Élysée, et invité du journaliste Darius Rochebin sur la chaine française LCI, le 16 septembre 2025. Sécurité face à la Russie, rôle de l’OTAN, refus du Mercosur et identité chrétienne : retour sur un discours musclé qui annonce une nouvelle ère.

Photo du président Nawrocki lors de sa conférence de presse à l'ambassade de Pologne en FrancePhoto du président Nawrocki lors de sa conférence de presse à l'ambassade de Pologne en France
Capture - Conférence de presse du président Nawrocki à Paris - Youtube Prezydent RP 
Écrit par Ethan Sebban
Publié le 18 septembre 2025, mis à jour le 19 septembre 2025

 

Un voyage présidentiel en deux temps, chez les alliés du triangle de Weimar

Mardi 16 septembre, le président Karol Nawrocki a commencé sa double visite d’État en Allemagne. Il a rencontré durant sa matinée le président de la République fédérale d’Allemagne, M. Frank-Walter Steinmeier, puis le chancelier Friedrich Merz. Au cours de la discussion qui s’ensuivit, le président polonais a notamment évoqué la question épineuse des réparations de guerre que devrait l’Allemagne à la Pologne, en dédommagement aux nombreuses destructions de la Seconde Guerre mondiale

 

Après cette première visite, Karol Nawrocki a rejoint Emmanuel Macron, dans l’après-midi, au palais de l’Élysée. Les deux chefs d’État ont discuté de la menace russe qui pèse sur la frontière orientale de l’Union européenne ainsi que sur l’accord du Mercosur, accord auquel les deux pays s’opposent afin de protéger leurs agricultures et de ne pas financer la Russie et le Bélarus, puisque les pays du Mercosur leur achètent des fertilisants. 

 

Le président polonais en a également profité pour remercier le président français de sa décision d’envoyer trois avions-Rafale en Pologne, dans le but de protéger l’espace aérien polonais. Remerciements renforcés par ceux de l’ambassadeur de Pologne en France, M. Jan Emeryk Rosciszewski, qui déclarait samedi 13 septembre sur la chaine de Le Figaro TV : « Nous sommes extrêmement contents de la dernière décision française d’envoyer trois Rafales sur le territoire polonais. »

 

La sécurité en Europe centrale et le nucléaire au cœur des échanges 

En plus du Mercosur, les présidents polonais et français ont discuté de la situation sécuritaire en Europe centrale, situation qui se dégrade de plus en plus depuis l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022. Comme le rappelait l’ambassadeur de Pologne en France, M. Jan Emeryk Rosciszewski, la récente incursion de drones russes dans l’espace aérien polonais et  l’exercice Zapad 2025, qui s’est théoriquement déroulé du 12 au 16 septembre, et dont « le nom Zapad 2025 veut dire en français « l’occident 2025 », même par le nom, ce sont des exercices contre l’Occident ». 

 

Toujours sur le thème de la sécurité, mais cette fois-ci énergétique, Karol Nawrocki et Emmanuel Macron ont échangé sur le sujet du nucléaire

 

La Pologne a pour projet de construire deux centrales nucléaires : une première sur le site de Lubiatowo-Kopalino, en Poméranie, sous la direction de l’entreprise étatsunienne Westinghouse - un choix au détriment de la France afin de consolider les relations polono-américaines ; et une seconde à Bełchatów ou à Konin, dont le choix du constructeur n’a pas encore été acté. 

Cette discussion tombe à point nommé puisque cette semaine débute également un dialogue franco-polonais autour de l’entreprise EDF, acteur majeur du nucléaire français, qui est en concurrence avec les Américains pour la construction de cette deuxième centrale (source Euronews).

 

 

 


 

Le président sur LCI : un entretien musclé mais deux réponses contradictoires sur les possibles ripostes contre les drones

Dans son interview donnée au journaliste Darius Rochebin, sur LCI, qui l’a présenté comme « [...] un allié privilégié du Président Trump », Karol Nawrocki a de nouveau évoqué les thèmes abordés lors de sa visite d’État en France.

 

Il a appelé les pays de l’OTAN à intensifier leurs dépenses militaires afin de construire une industrie de défense européenne capable de garantir notre souveraineté, et n’a pas oublié de rappeler l’objectif de la Pologne d’atteindre un budget militaire équivalent à 5% du PIB, comme prévu par le traité de l’OTAN
 

Une première question de Darius Rochebin, sur l’actualité immédiate et l’attaque de l’espace aérien polonais par 19 drones, qui pose le décor :  «  [...] Comment est-ce que vous comprenez l’attitude de la Russie ? Pourquoi fait-elle ça ? ».

Le président polonais, dans sa réponse, a souligné l’hyper vigilance de la Pologne vis-à-vis de son voisin belliqueux, avec qui le pays a une longue histoire douloureuse :

Nous connaissons très bien l’esprit russe en Pologne. On ne sait pas bien si elle [la Russie] est impériale à cause de la Russie blanche, de la Russie soviétique ou de Vladimir Poutine. Malheureusement, la Russie ne change pas. [...] Le 10 septembre, en attaquant la frontière aérienne polonaise avec les drones, Vladimir Poutine a envoyé un signal clair. Je pense qu’il a confirmé le fait, qu’au sein de l’alliance de l’OTAN, nous tous, nous devons être ensemble. Le 10 septembre était une leçon pour vérifier notre état de préparation au niveau des alliés et pour répondre à ce que fait Vladimir PoutineKarol Nawrocki, président de la République de Pologne

 

Par la suite, Darius Rochebin a demandé au président Nawrocki si la Pologne était prête à frapper des aéronefs russes menaçant son intégrité dans le ciel ukrainien, avec leur accord ? Karol Nawrocki a affirmé, en tant que chef des armées, que « oui », cette éventualité était possible pour l’Armée de l’air polonaise, avant de se dédire lorsque Darius Rochebin reformule sa première question : « Même en frappant dans le ciel de l’Ukraine, si c’est pour vous défendre, si un drone arrive vers la Pologne, est-ce que vous pouvez le frapper dans le ciel de l’Ukraine ? ». Le président polonais nuance alors sa réponse :

Notre armée abat les drones une fois qu'ils franchissent la frontière de la Pologne, mais cela constitue tout de même la violation de l’intégrité d’un État qui est membre de l’OTAN. Au niveau technique, nous sommes responsables de notre espace aérien dans les frontières de la Pologne. Karol Nawrocki, président de la République de Pologne

 

Le président Nawrocki a également précisé que l’énergie nucléaire représentait un potentiel important pour l’indépendance énergétique de la Pologne, à la fois au niveau civil (en 2022, le pays dépendait encore à 70% du charbon pour sa production électrique) et au niveau militaire afin de garantir une dissuasion vis-à-vis du Kremlin

 

Dans ce but, le président polonais a spécifié qu’il aimerait que son pays puisse bénéficier de l’extension du parapluie nucléaire étatsunien ou français. Pour lui, le traité de Nancy - qui a été récemment ratifié par la Diète polonaise, permet une plus grande coopération sur le nucléaire civil, mais aussi sur le nucléaire militaire. Cette coopération n’aurait pas pour but d’aider la Pologne à développer l’arme atomique, mais à lui garantir la protection de notre système de dissuasion nucléaire et d’envisager le stockage d’arme nucléaire française sur le territoire polonais

 

Par ailleurs, Karol Nawrocki a également fait part de son souhait de construire une Europe conservatrice qui ne répéterait pas les erreurs de l’Europe libérale, comme le Pacte vert ou la politique migratoire de l’Union européenne. Selon lui, l’Europe de l’Ouest est en proie à des crises sociales qui ont pour cause l’abandon des valeurs fondamentales de l’Europe.

 

Ces valeurs, qu’il souhaite voir inscrites dans les traités européens, sont composées de l’héritage chrétien et gréco-romain, à la base de la civilisation européenne. L’attachement à ses valeurs, notamment chrétiennes, est, pour lui, l’une des raisons de sa bonne relation avec le président des États-Unis, Donald Trump. Sa victoire à l’élection présidentielle polonaise démontre, selon lui, l’attachement des Polonais à son patrimoine chrétien vieux de plus de mille ans


 

Le président Nawrocki demande (encore) à l’Allemagne de payer des réparations de guerre 

Lors de sa visite en Allemagne, Karol Nawrocki s’est engagé sur un sujet épineux en revenant sur les demandes de la Pologne à recevoir des réparations de guerre en compensation à l’invasion et l’occupation du pays par l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Cette demande fait notamment suite à la résolution de la Diète polonaise prise le 14 septembre 2022 qui reconnaissait que la Pologne avait un droit à réclamer des réparations de guerre à l’Allemagne à propos des destructions ayant eu cours entre 1939 et 1945. 

Le président polonais justifie cette demande comme un moyen d’approfondir les relations bilatérales qui unissent aujourd’hui la Pologne et l’Allemagne. Il propose que ces réparations financières servent au renforcement de l’armée et de l’industrie de défense polonaise. De cette façon, le paiement des réparations aura un effet positif pour l’Allemagne qui verra la frontière est de l’Europe renforcée face à la menace de Vladimir Poutine. 

 

Face à la presse lors de la conférence donnée aux médias polonais à l’ambassade de Pologne en France, Karol Nawrocki justifie sa décision d’avoir amené cette réclamation à la table des négociations alors même que l’Allemagne a participé activement à la défense du ciel polonais durant l’attaque de drones russes en se déclarant porte-parole du peuple polonais : « Je suis le porte-parole des Polonais, et cette question intéresse la nation polonaise. Je suis également favorable au versement de réparations par l'Allemagne à la Pologne. »

Jestem głosem Polaków, a ta kwestia budzi zainteresowanie polskiego narodu. Jestem też zwolennikiem wypłacenia przez Niemcy Polsce reparacji.


 

💡Karol Nawrocki, la Seconde Guerre mondiale au cœur de son parcours d’historien

• Depuis son élection ainsi que lors de ses premières visites officielles, Karol Nawrocki, historien de formation, qui a dirigé le musée de la Seconde Guerre mondiale à Gdansk, remet régulièrement sur la table la demande de réparations de la Seconde Guerre mondiale et a dit vouloir que l’Allemagne assume « responsabilité politique, historique et  financière ».

• Il existe une fondation du nom de Fundacja „Polsko-Niemieckie Pojednanie” - Foundation for Polish-German Reconciliation, qui a été créée en 1991 par accords bilatéraux afin d’aider les victimes polonaises du nazisme.

• Sur le site, on peut lire qu’un financement initial important a été versé par l’Allemagne - on parle d’un versement de 500 millions de deutschmarks destiné à la fondation et à des aides. 

• Une section spécifique du site fpnp.pl détaille l’historique des versements : „Historia wypłat świadczeń”. Ces données confirment que l’Allemagne a déjà transféré plusieurs tranches de fonds, comme des versements en deutschmarks, puis en euros après 2000, via la fondation EVZ – Erinnerung, Verantwortung und Zukunft.

•Les institutions polonaises ont clairement réaffirmé depuis 2022 que la question n’était pas réglée :

Le 14 sept. 2022, une résolution du Sejm demande d’ouvrir la voie aux compensations.
Le 18 avril 2023 une „uchwała” résolution du Conseil des ministres a appelé à « régler la question des réparations et compensations polono-allemandes ». Le ministère des Affaires étrangères a lancé des campagnes d’information officielles.
Ces textes soutiennent l’argument selon lequel la renonciation formelle de 1953 serait contestable à cause de la pression soviétique qui rendrait la procédure non conforme.

 

Il y a 80 ans, découverte des camps d’extermination allemands d’Auschwitz -Birkenau


 

De Washington à Berlin, puis Paris, des mots et des gestes qui posent les bases du dialogue

Le 3 septembre dernier, Karol Nawrocki était invité à une réunion de travail à Washington avec Donald Trump. Le président Trump est un soutien important du président polonais au point qu’il avait déjà accordé une visite au candidat Nawrocki. 

 

Lors de cette visite, des sujets similaires ont été abordés, notamment celui de la sécurité et de la résolution du conflit russo-ukrainien. Le président Nawrocki affirme que le projet du déploiement permanent de troupes étatsuniennes à « Fort Trump » a été abordé et est en bonne voie. Par cela, le président polonais espère garantir la sécurité de la Pologne en dissuadant la Russie d’attaquer un territoire où sont stationnés, de façon permanente, des soldats de l’armée des États-Unis. 

 

Avant sa visite, Karol Nawrocki était déjà un grand admirateur de Donald Trump et de sa méthode politique. Depuis son retour, le correspondant de la radio polonaise, RMF FM aux États-Unis, Paweł Żuchowski a souligné la reprise, par le président polonais lors de sa visite à Berlin et à Paris, de la pose classique de Donald Trump lors d’une photo avec un autre chef d’État : un cliché de lui, pointant du doigt l’autre dirigeant pour rendre la rencontre dynamique. 

 

De la même manière, dans un article pour le média polonais en ligne Onet.pl, l’expert en langage corporel Maurycy Seweryn remarque que, lors de l’accueil du président polonais par le président français, le président Nawrocki a effectué un geste qui a pu ne pas plaire à Emmanuel Macron en tirant plus fort la main de son homologue français. Ce style de poignée de main est distinctif du langage corporel de Donald Trump. Cela permet de mettre en place une forme de domination physique envers un partenaire politique en le faisant paraître plus faible. Une technique qui devrait bien plaire à Karol Nawrocki qui joue souvent sur des valeurs dites viriles. 

 

 

Un article d'Ethan Sebban sous la direction Bénédicte Mezeix-Rytwiński

 

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