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Les russophones en Lettonie : une minorité à l’histoire mouvementée entre deux feux

Les pays baltes, tout comme la Pologne, ont une histoire complexe avec la Russie. Aujourd’hui, c’est à nouveau la Russie, à travers Vladimir Poutine, qui menace cette région, frontière orientale de l’OTAN depuis 1999 et 2004. Issues d’une histoire mouvementée, les minorités russophones des États baltes sont aujourd’hui entre deux feux. Vivant sur le territoire balte depuis leur naissance, les russophones sont instrumentalisés par Vladimir Poutine pour déstabiliser les États baltes, alors que l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie cherchent à se reconstruire comme État-nation après 45 ans d’occupation. La Lettonie est aujourd’hui l’État balte avec la plus grande minorité russophone, soit 38% de sa population. Afin de mieux comprendre l’exploitation qui en est faite par la Russie, revenons sur l’histoire et les relations compliquées de ces minorités russes avec la Lettonie et les Lettons.

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Les russophones en Lettonie : une minorité à l’histoire mouvementée entre deux feux
Écrit par Johan Andreu
Publié le 7 septembre 2025, mis à jour le 30 septembre 2025

 

Les minorités russophones, un enjeu de domination pour Vladimir Poutine

Comme il a été fait en Ukraine depuis 2014, le Kremlin cherche à cliver les populations des États baltes en instrumentalisant les minorités russophones. En effet, la Russie de Vladimir Poutine s’est appuyée sur des conflits ethniques datant de l’indépendance ukrainienne pour inciter au séparatisme les russophones et russophiles de Donetsk et de Lougansk dans le sillage de la révolution pro-européenne de Maïdan qui avait conduit à la chute du président Victor Ianoukovytch. En février 2022, de même, Vladimir Poutine avait justifié sa soi-disant « opération spatiale » (СВО – Специальная Военная Операция) en disant vouloir « protéger » les minorités russophones en Ukraine.

Dans les États baltes, une importante minorité russophone est aussi présente – on considère une personne russophone si elle parle russe à la maison. On compte ainsi en 2025 : 38% de russophones en Lettonie, 28% en Estonie et dans une moindre mesure 5 % en Lituanie.  

Les États-nations baltes ont une histoire récente. Constitués pour la première fois en 1920, les trois pays ont ensuite successivement été sous domination allemande entre 1940 et 1945, puis soviétique entre 1944 et 1991. Depuis leurs indépendances respectives, les États baltes essaient chacun de construire une communauté basée sur l’appartenance nationale. Dans ce contexte, le rapport aux minorités russophones peut être ambigu.

 

Lettonie
En face de l'ambassade Russe, à Riga

 

L’exemple emblématique de la Lettonie

La Lettonie est le pays avec la plus grande minorité russophone des pays baltes. Près de 38% des habitants de Lettonie ont le russe pour langue maternelle. Concentrés principalement dans la capitale Riga – où ils sont majoritaires – et dans les régions orientales – Daugavpils et Rivne - leur proportion dans la petite république balte de 1.870.000 d’habitants est le fruit d’une histoire complexe.


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Les origines de la domination russe dans les pays baltes

Avant la politique de russification commencée sous le tsar Nicolas II à la fin du XIXe siècle, les pays baltes étaient principalement sous domination culturelle germanique, depuis les invasions teutonnes du XIIe siècle. C’est le début d’une présence ethnique russe dans la région. Après une courte période d’indépendance entre 1920 et 1940 et une période de domination nazie, les Lettons passent sous le joug soviétique entre 1944-1991, une période qualifiée « d’occupation ».


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La domination soviétique : invisibilisation de l’identité lettone et colonisation russophone

Sous la période stalinienne, des territoires et infrastructures économiquement stratégiques sont annexés dans la République socialiste soviétique - R.S.S. de Russie, comme la région d’Abrene – Пыталово (Pytalovo) en russe, un nœud ferroviaire. Entre 1945 et 1953, de plus, 119.000 Lettons sont déportés vers des régions reculées de l’URSS, alors que la population de cette région ne comptait alors qu’à peine plus de 2 millions d’habitants. Le Parti communiste letton est purgé et les cadres du parti sont remplacés par des Russes ethniques, tant et si bien qu’en 1989, 95% des membres du Parti communiste letton sont des non-Lettons.

Dans la même période, l’U.R.S.S. cherche à industrialiser la Lettonie à marche forcée. Pour pallier le manque de main-d’œuvre, les responsables soviétiques favorisent une immigration massive des quatre coins de l’empire rouge. Les nouveaux habitants sont principalement de culture slave, ils sont Russes, Ukrainiens, Bélarusses, et ils touchent un salaire plus élevé que les Lettons.

C’est ainsi qu’une transition démographique s’opère. En 1925, 73,4% des habitants de Lettonie sont Lettons. En 1989, ils ne sont plus que 52%. Dans la même période, les Russes sont passés de 10,5% des habitants à 34%.

Le cas de Riga est particulièrement frappant : la population de la cité hanséatique comptait 400.000 habitants avant-guerre. Avec l’industrialisation, la ville double de volume, mais les nouveaux habitants sont presque tous des immigrés. Résultat, en 1989, seuls 39% des habitants de la capitale lettone sont Lettons.

De plus, la Lettonie devient une base militaire géante avec la guerre en Afghanistan dans les années 1980 : près de 250.000 soldats soviétiques sont stationnés sur les côtes Baltes quand les Lettons conscrits sont envoyés dans d’autres républiques ou en Afghanistan.

Dans ce contexte, les Lettons sont marginalisés et l’identité soviétique prend le dessus sur les identités locales. Des militants lettons craignent même une disparition de la langue Lettone, qui est de moins en moins enseignée à l’école.

 

Lettonie
Riga

 

Renversement de paradigme après l'indépendance : inversion du rapport de force

Après l’indépendance, tout change. Après des temps troublés par une tentative de coup d’État de l’OMON en 1990, et une négociation pour le retrait des soldats soviétiques des bases militaires, la RSS de Lettonie devient officiellement la République de Lettonie. De nombreuses revues en Letton apparaissent, et une identité lettone fleurit.

L’idée d’une nation lettone pour habiter l’État nouvellement indépendant prend le dessus dans de grands événements, comme le Festival Quadriennal du Chant de Riga en 1990, réunissant plus de 37.000 participants. On a un retour de la culture lettone au premier plan.

Dans le même temps, l’identité lettonne se construit aussi face à un antagoniste, l’ancien dominant russe. Ainsi, le musée de l’Histoire de Riga est ouvert, alliant éducation et recueillement face aux crimes soviétiques. Pour le jour de la fête nationale, le jour controversé de la Fête du Légionnaire est choisi, glorifiant la lutte contre les Soviétiques dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale.

 

La marginalisation des russophones : le statut de “non citoyen”

Dans ce contexte de nationalisme exacerbé, le statut des habitants de Lettonie non lettons ethniquement est rendu précaire. En 1993, pour remplacer l’ancienne citoyenneté soviétique – qui n’a plus lieu d’être depuis 1991 – le parlement décide de conditionner l’accession à la nouvelle citoyenneté lettone. Pour obtenir un passeport letton, il faut :

  • Parler letton avec un niveau supérieur ou égal à B1 dans le CECRL (Cadre européen commun de référence pour les langues)
  •  Résider depuis au moins 5 ans sur le territoire de la République de Lettonie
  • Ne pas avoir une autre nationalité

De nombreux non lettons ethniques, avant tout des Russes, Ukrainiens ou Bélarusses ethniques, se retrouvent dans une position précaire. Certains ayant habité en Lettonie toute leur vie ne demandent pas de citoyenneté dans les nouveaux États que sont la République fédérale de Russie, l’Ukraine ou la République du Bélarus .

Ainsi, une nouvelle catégorie d’habitants apparaît : les « non-citoyens » ou « résidents non ressortissants » ("nepiliečiai"). Bien qu’habitants de Lettonie, ils n’ont pas de droits civiques – ils ne peuvent pas voter, ils ne peuvent pas travailler dans le domaine juridique, être militaire ou fonctionnaire, mais ils ont un passeport letton leur permettant de voyager dans l’espace Schengen et en Russie sans visa.

Une naturalisation est possible seulement en cas d’apprentissage du Letton – une langue radicalement différente du Russe sémantiquement.

En 2015, 260.000 non-citoyens habitaient en Lettonie – privés du droit de vote, représentant une part non négligeable des habitants du petit État comptant 1.870 million d’habitants.


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Le Letton, nouvelle langue de l’élite

Dans les années suivantes, le statut des minorités russophones s’est précarisé en Lettonie. Les russophones, occupant précédemment une position dominante dans le marché de l’emploi et dans l’espace public, se retrouvent marginalisés.

Le Letton devient ainsi la langue des élites du pays : les régions de Daugavpils et de Revne, à majorité russophone, sont les plus pauvres du pays.

Le Letton devient une langue obligatoire dans l’administration, complexifiant d’autant les démarches administratives des russophones – composant pourtant près de 30% de la population.


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Une disparition forcée du russe à l’école

Plus récemment, depuis le début de l’agression russe en Ukraine, une nouvelle institution est remise en cause par la Lettonie – un processus similaire a aussi lieu en Estonie et en Lituanie.

Depuis 1991, deux systèmes scolaires cohabitaient en Lettonie. Le premier, lettophone, accueillait 140.000 écoliers en 2024. Le deuxième, russophone, accueillait 50.000 élèves la même année. On peut ajouter à cela 10.000 écoliers étudiant dans des écoles internationales ou autre.

En 2024 cependant, le parlement letton décide d’interdire l’enseignement en russe à l’école. Cette décision a été validée le 12 juillet 2024 par la cour constitutionnelle.

 

Dans d’autres pays baltes, des mesures similaires ont été prises pour interdire l’enseignement primaire et secondaire en Russe. Ainsi, l’Estonie a décidé en 2024 de supprimer progressivement le Russe de l’enseignement, jusqu’en 2030. Le russe acquiert ainsi le statut de langue étrangère dans un pays où il est la langue maternelle de 28% de sa population. En Lituanie cependant, ces restrictions ne sont pas à l’ordre du jour, dans un pays comptant une minorité russophone nettement plus réduite – 5% soit près de 144.000 habitants.


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En cas d’agression russe, que feraient les minorités russophones? 

Les minorités russophones en Lettonie semblent avoir une position ambigüe face à la Russie. En 2024, parmi les Russophones, 71% voient positivement le passé soviétique de la Lettonie. De même, 38% seulement considèrent la Russie responsable de l’agression en Ukraine – contre 87% des Lettons ethniques. Cependant, dans le même temps, une majorité des russophones se prononce en majorité avec les valeurs de l’Europe.

 

Lettonie
Riga

 

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