D'après le cabinet Ernst & Young, l’Europe subit un désengagement des investisseurs internationaux, particulièrement États-uniens – le nombre de projets annoncés en Europe a baissé de 24% par rapport à 2022. Cependant, la Pologne semble faire figure d’exception jusqu’à présent : les IDE ont augmenté de 13% en 2024. Cette exception polonaise reste-t-elle garantie après l’élection du nationaliste Karol Nawrocki, à la tête du pays ?


Donald Trump : un environnement instable qui amenuise les possibilités d'investissement en Europe
Alors qu'une « drôle de guerre » commerciale et des nerfs se profile en Europe et dans le monde à la suite de l’élection du président américain Donald Trump, les promesses d’investissement se font de plus en plus rares en Europe. Dans ce flou, les investisseurs américains notamment se détournent du vieux continent, alors qu’ils étaient en tête des investissements de l’étranger (IDE) en Europe. Le nombre de projets américains est ainsi passé de 1.240 en 2022 à seulement 942 en 2024.
Cependant, le cabinet de conseil et d’audit Ernst et Young identifie des exceptions dans ce schémas. Certains pays du sud et de l’est de l’Europe semblent tirer leur épingle du jeu et remettre en question la suprématie de la France, du Royaume-Uni, ainsi que de l’Allemagne par rapport à l'attractivité économique. La Pologne se démarque particulièrement avec une augmentation des investissements de l’étrangers de 13 %.
Relations économiques américano-polonaises, un lien fusionnel réciproque
La Pologne et les Polonais ont toujours entretenu une relation particulière avec les États-Unis, à partir du moment où le pays s’est dégagé du joug soviétique en 1989. Ainsi, en 2023, avant l’élection de Donald Trump à la tête de l’hyperpuissance américaine, 93% des Polonais exprimaient une opinion favorable aux États unis – en faisant le pays le plus américanophile au monde. Ce soutien s’est particulièrement renforcé avec le début de l’agression russe en Ukraine et a progressé de 14 points.
Cette relation est bien notable, d’un point de vue économique. D’après la Chambre Américaine de Commerce en Pologne (AmCham), les États-Unis seraient le deuxième investisseur en volume en Pologne. Le département d’Etat américain estimait en 2022 le flux d’IDE entrant à plus de 600 millions de dollars en 2022, et le stock à environ 13 milliards de dollars, quand les IDE totaux de la Pologne pour cette année atteignaient 31,1 milliard de dollars.
De nombreux projets américains ont ainsi vu le jour récemment dans le pays : en dix ans, entre 2012 et 2023, Amazon a investi près de 8 milliards de dollars en Pologne par exemple. De même, en 2025, le cigarettier Philip Morris prévoit d’ouvrir une usine moderne créant 300 emplois dans la région de Cracovie, avec des investissements de près de 1 milliard de zlotys.
Cependant, les relations économiques entre Polonais et Étatsuniens ne sont pas à sens unique et la Pologne importe beaucoup de marchandises des États-Unis, établissant une balance commerciale déficitaire de 1.688 dollars en 2021.
L’équilibre est rétabli avec l’exportation par la Pologne de services aux États-Unis à hauteur de 6.708 millions de dollars en 2021. Au total, le volume des échanges entre les deux pays dépassait 28.400 milliards de dollars en 2021. Il est encore trop tôt pour dire si les tarifs douaniers – annoncés à hauteur de 10% le 5 avril 2025 – prétendument « réciproques » de Donald Trump auront un effet délétère sur les échanges et les relations américano-polonaises.
La Pologne est le pays le plus pro-américain au monde
La course à l’armement : des milliards sur la table pour les États-Unis
Avec le renforcement des tensions aux frontières occidentales de la Pologne à partir de 2022, que ce soit en Ukraine ou au Belarus, un nouveau champ entre en jeu : l’armement. La Pologne ambitionne en effet d’augmenter les dépenses liées à l’armement à 5% de son produit intérieur brut (PIB) en 2026, ce qui en fait le premier investisseur dans l’armement en Europe.
Ainsi, en 2024, près de 110 milliards de zlotys ont été investis dans la défense, afin de faire de l’armée de terre polonaise, la plus puissante en Europe. Karol Nawrocki lors de ses discours de campagne semblait se ranger à cette idée : il exigeait une augmentation des effectifs de l’armée à hauteur de 300.000 hommes. Ceci coïncide en effet avec sa volonté de sécuriser davantage les frontières pour empêcher le passage de migrants notamment.
Pour financer ce réarmement massif, la Pologne a besoin de fournisseurs – au premier rang, les États-Unis – la future bonne volonté de la Pologne dans ce sens a déjà été confirmée par Karol Nawrocki un mois avant son élection. Ainsi de nombreux contrats ont déjà été passés entre les États-Unis et la Pologne. Fin avril 2025, Donald Tusk a par exemple approuvé l’achat de missiles américains à hauteur de 1,33 milliards de dollars.
Cette proximité avec le pays de l’Oncle Sam ne manque pas de faire grincer des dents outre Oder. En effet, les Européens, avec au premier rang la France, voudraient profiter des achats polonais pour redynamiser l’industrie du continent. La Pologne semble en effet mettre de côté, avec sa politique, les initiatives du Fonds de défense européen (FED) et limiter l'européanité de l’initiative du Bouclier de l’Est en intégrant les Américains et Sud Coréens au projet avec des contrats juteux.
Côté Européen, on se souvient amèrement de l’échec de la vente de 50 hélicoptères d’Airbus pour un montant de 2,4 milliards d’Euros en 2016 : le contrat avait alors été court-circuité par Boeing. Si on observe un récent rapprochement franco-polonais matérialisé par le traité de Nancy signé le 9 mai 2025, il reste à voir si celui-ci sera concrétisé économiquement par un rapprochement polonais de l’industrie de l’armement Européenne.
Pologne : programme de protection civile et guide de crise - “poradnik kryzysowy”
Le rôle de l’Union européenne et des investissements directs de l’étranger européens dans le miracle économique polonais
Depuis la libéralisation, dans les années 90, les investissements directs de l’étranger (IDE) ont été cruciaux pour le développement de la Pologne. Ainsi, en 2017, Polytika Insight estimait que les IDE étaient responsables de 0,7% de la croissance du PIB polonais entre 1991 et 2015 en moyenne.
Ces investissements n’ont cessé d’augmenter, atteignant aujourd’hui près de 650 milliards de zlotys attendus en 2025.
Les principaux partenaires de la Pologne se trouvent alors au sein de l’Union européenne: on compte en effet les Pays-Bas, l'Allemagne, la France et le Royaume Uni en plus des États-Unis. En 2022, les investissements directs français avaient atteint 108 milliards de zlotys par exemple, ce qui donne la mesure de l’importance des investissements étrangers pour l’économie polonaise.
La revanche de la Pologne 2020 - 2025 : du bon élève désavoué au retour en grâce
Retour sur les années Mateusz Morawiecki
En 2015, l’arrivée au pouvoir du PiS - Droit et Justice, s’est traduite par un revirement nationaliste de l’économie qui s’est accompagné d’un contrôle plus strict des investissements venant de l’étranger.
Ceci s’est matérialisé avec la création de normes restreignant les IDE en Pologne : la loi du 24 juillet 2015 sur le contrôle de certains investissements par exemple, ou encore la régulation exécutive du Conseil des ministres du 16 décembre 2022 obligeant les investisseurs étrangers à faire une procédure de plus.
💡 Le easy doing business index de la Banque mondiale classait jusqu’en 2020 les économies mondiales en fonction de leur attractivité et de leur ouverture économique.
Pour ce faire, l’organisation internationale analysait dix variables comme la capacité à faire un crédit, la facilité d’obtention d’un permis de construire, la garantie des contrats ou encore le montant des taxes.
D’après le easy doing business index, le nombre de procédures est donc essentiel dans l’attractivité économique d’un territoire, le rajout par le PiS de procédures nuit à l’attractivité.
En effet, pendant les années PiS (2015-2023), la Pologne a chuté de la 25e place mondiale en 2015 à la 40e en 2019. Dans le même temps, entre 2015 et 2023, la part de l’investissement dans le PIB a baissé de 20,6 % en 2015 à 16% en 2023.
L’illibéralisme économique en Pologne, vecteur d'inefficacité économique?
L’économiste turc Daron Acemoglu, prix Nobel d’économie 2024, propose de décentrer l’analyse des simples mesures économiques. Pour lui, la structure illibérale de régimes tels que le PiS influe aussi sur le montant des IDE et sur l’économie en général.
Ainsi, les réformes judiciaires, le contrôle des médias et les changements constitutionnels réduisant les contres pouvoirs et conduisant à une centralisation auraient rendu méfiants les investisseurs. Ceci combiné avec les mauvaises relations avec l'Union européenne et la peur des investisseurs face aux lois de nationalisation du PiS ont suffit à faire baisser substantiellement les investissements.
Élection du nationaliste Karol Nawrocki, historien avec une vision simpliste de l’économie : quelles pourraient être les conséquences ?
Karol Nawrocki s’est prononcé à de nombreuses reprises contre l’adoption de l’Euro en Pologne pendant sa campagne. Maintenant, il peut user de son véto présidentiel pour empêcher toute réforme monétaire dans ce sens.
Ici, le nouveau président semble suivre la majorité des Polonais. D’après le Warsaw enterprise institute, 88% des femmes et 66% des hommes se prononçaient contre l’adoption de l’Euro à l’approche des élections.
Dans une logique économique, le think tank libéral considère que le zloty n’est pas problématique pour l’économie polonaise en soit, et qu’il ne limite pas nécessairement les IDE. Cependant, il rappelle que des politiques telles que celles menées par le gouvernement Morawiecki « trop compliquées, interventionnistes, redistributives et hostiles au secteur privé » pourraient entraîner de la « stagnation au lieu du développement ».
D’autre part, les promesses de baisse des impôts prévues par le chef d’Etat fraîchement élu qui prendra ses fonctions le 6 août 2025 - une baisse de la TVA de 1% par exemple - peuvent conduire à une baisse des recettes de l’Etat et une augmentation de la dette publique. Cette dernière a déjà augmenté sous le gouvernement Tusk, passant de 48,8% du PIB en 2022 à 55,3% en 2025 à cause d’un déficit public élevé - 6,6% du PIB.
Dans son rapport annuel sur l’économie polonaise, la commission européenne craint ainsi un accroissement de la dette publique à 65,3% du PIB à l’horizon 2026. Ceci, alors que le cabinet Fitch notait la Pologne A- (A moins) en 2025, peut conduire à une dégradation de la note polonaise et à une augmentation des taux d’intérêts.
Or, un taux d'intérêt élevé rend plus coûteux les investissements publics, et les limite donc, de facto.
Dans cette lignée, les marchés ont réagi négativement face à l’élection de Karol Nawrocki, bien qu’ils soient remontés depuis. Ainsi, le jour des élections, le cours du zloty était à la baisse de même que le WIG - Warszawski Indeks Giełdowy, indice boursier de Varsovie.
Ces divers signaux laissent donc planer une incertitude sur la direction que prendra l’économie polonaise dans les prochains mois
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