À l’occasion du 260e anniversaire du couronnement du dernier roi de Pologne – le 25 novembre 1764, Stanislas II accédait au trône de Pologne. Guillaume de Louvencourt, qui a pour ancêtre le frère aîné de Stanislas II – Kazimierz Poniatowski, revient, dans cette interview, sur la place de la Pologne dans son histoire familiale ainsi que sur les liens qu’il a su tisser avec ce pays. Ce passionné de théâtre et inventeur hors pair, couronné de la médaille d’or du Concours Lépine, met également en lumière son engagement au service des personnes les plus fragiles, aussi bien en France qu’en Pologne et remonte pour nous, le fil de son histoire riche et passionnante.
Lepetitjournal.com : Il y a 260 ans, le frère de votre ancêtre, le roi Stanislas II, a été couronné roi de Pologne le 25 novembre 1764 à la cathédrale Saint-Jean de Varsovie. Bien que vivant en France aujourd’hui, votre famille maternelle est profondément ancrée dans l’histoire polonaise, pourriez-vous en dérouler quelques fils pour nous ?
Guillaume de Louvencourt : Ma famille a toujours eu un coin de Pologne dans son cœur. Par exemple, mon arrière-grand-père le prince André Poniatowski – mécène de Claude Debussy, qui part avec son ami Ignacy Paderewski aux États-Unis pour recruter des hommes pour l’Armée bleue créée en France, sous le président Raymond Poincaré, et qui ira au combat sous les ordres du général Haller lors du conflit polono-russe.
Mon grand-père, André Poniatowski – futur directeur de la Bibliothèque Polonaise de Paris, ira se battre dans cette armée avec deux de ses frères.
Ces trois fils à peine mariés, ne parlant pas le polonais, laissant leurs épouses sur le sol français et ne sachant évidemment pas s’ils allaient revenir vivants, sont partis pour l’amour de la Pologne.
Le frère de ma mère, le prince Marie-André Poniatowski, est aussi parti pour l’amour de la Pologne et pour notre liberté, en s’engageant volontairement dans la division blindée du général Maczek. Dans ses propres mots laissés sur un carnet, on y retrouve cette détermination et cet esprit chevaleresque présents dans notre famille : « J’ai adopté l’uniforme militaire pour servir le pays et le peuple que mes pères ont servis. » Cette citation est tirée du livre « Des souvenirs qui se refusent d’être oubliés » d’Anne-Marie Wisniewski, paru en 2024, aux éditions Nord Avril, que j’ai co-préfacé. Dans cet ouvrage qui rassemble des témoignages de familles ayant connu la guerre, un chapitre est dédié à Marie-André Poniatowski et une exposition en son honneur aura lieu fin avril 2025, organisée par l’association Devoir de mémoire, au Blockhaus L434, 5, rue des Madeleines à Saint-Omer.
Stanislas II est le dernier roi de Pologne après avoir régné jusqu’en 1795 ; de quelle manière a-t-il abdiqué et dans quel contexte ?
En 1793, la Prusse et la Russie veulent faire un second partage de la Pologne, ce qui priverait le pays d’une souveraineté politique et économique, mais les Polonais ne veulent pas se laisser priver de liberté. La Révolution française leur donne de l’espoir et un mouvement d’insurrection national se forme. On nomme un chef militaire en la personne de Thadée Kosciuszko et le combat prend de l’ampleur au début de l’année 1794, sans que le roi de Pologne ne quitte le trône.
Le neveu du roi – Joseph Poniatowski, prend part à cette rébellion en juillet contre les Prussiens. Malheureusement, la domination étrangère est trop forte et le roi est contraint à l’exil en janvier 1795. Il part vivre à Grodno entouré de soldats russes. Le 25 novembre, ne pouvant faire autrement, il signe l’acte d’abdication.
L’histoire de votre famille maternelle, entre la France et la Pologne, est un témoignage des relations qui ont uni les deux pays au cours des siècles. Quel regard portez-vous sur la relation franco-polonaise aujourd’hui ?
Cette relation est très forte. Les personnes que j’ai rencontrées pendant de nombreuses années, sont très attachées à leurs racines, elles en parlent toujours avec beaucoup d’émotion. J’ai pu notamment le constater dans le Nord-Pas-de-Calais, lorsque j’ai été désigné comme parrain de la « Mission Centenaire 2019-2023 de l’arrivée massive des Polonais en France », mais aussi en parrainant l’association Moja Polska de Saint-Omer, ou encore en tant que membre dans les associations dont je fais partie : Deux-Sèvres Pologne et l'Association nationale du Souvenir de la 1ère D.B. Polonaise.
Racontez-nous votre tout premier voyage en Pologne et quel souvenir en gardez-vous ? Revenez-vous souvent en Pologne ?
Mon premier voyage en Pologne, je le dois à Maria Pohl, une Polonaise qui est entrée au service de mes grands-parents Poniatowski comme femme de chambre. Elle est restée 46 ans à servir dans notre maison à Paris. Maria était une femme simple, humble. On aurait dit qu’elle ressemblait un peu au personnage de Félicité dans le roman « Un cœur simple » de Gustave Flaubert.
Il y avait une grande tendresse entre nous : elle était comme ma troisième babcia.
Tous les jours, elle me faisait part avec émotion de ce qui se passait en Pologne en lisant le journal Narodowiec. Un jour, alors qu’elle allait nous quitter pour finir ses jours en Pologne, elle me dit : « Guillaume, vient me voir en Pologne. » Je lui promets alors de venir la voir. Six mois après, elle décède.
Malgré les circonstances, j’ai tenu à venir en Pologne pour honorer ma promesse. Ainsi, devant sa tombe, je lui dis : « Maria, comme tu le vois, j’ai tenu ma promesse et je suis venu te voir ».
Ce voyage intervient durant la période où la Pologne était dirigée par l’odieux général Wojciech Witold Jaruzelski. J’ai été profondément choqué par ce que j’ai vu de la vie des Polonais, dominés par ce joug communisme. Depuis ce temps-là, je ressens beaucoup d’affection pour ce peuple courageux. Chaque année, j’y viens avec plaisir, pour aller à la rencontre d’élèves, d’élus ou de personnes de tout horizon. Il m’est arrivé aussi d’épauler des associations et faire du mécénat en Pologne.
Cependant, je n’aurai rien pu faire sur les routes de Pologne sans mon ami et « chauffeur » Tomasz Przybysz, le journaliste Leszek Konarski ainsi que bien d’autres personnes…
Ce qui est assez drôle, c’est qu’avec Tomasz Przybysz, qui m’a conduit pendant des années en Pologne, c’est que j’ai des problèmes avec la langue polonaise - je suis désolé pour les Polonais, mais la grammaire polonaise, c’est un peu compliqué ! Tomasz Przybysz ne parle ni anglais ni français et cela fait quand même des années que nous correspondons : il a toujours un traducteur électronique avec lui. C’est lui également qui s’occupe de mon site internet en polonais.
Le fils aîné de votre grand-père – le prince Marie-André Poniatowski, pendant son incorporation dans la 1re division d’infanterie de Stanislaw Maczek, notait ses pensées dans des carnets intimes. Cette citation, que vous nous avez confiée, résonne-t-elle en vous ? « Italien. Polonais. Écossais. Belge. Américain du côté de mon père. Anglais. Écossais. Américain du côté de ma mère. Français par habitat, éducation et instruction. Polonais de nom. Quelle est donc ma Patrie ? »
Oui, elle résonne bien en moi, et avec mes nombreuses origines étrangères, je me sens citoyen du monde.
Mon épouse a comme moi aussi des origines étrangères : grecques et albanaises (elle descend du prince Skanderbeg d’Albanie).
D’ailleurs, cela nous fait un point commun : le prince Skanderbeg comme le prince Poniatowski ont chacun lutté pour l’indépendance de leur pays respectif.
La romancière, Marjorie Tixier, pour l’un des personnages de son dernier livre « Le Pays blanc », qui se déroule entre la France et la Pologne s’est inspirée de certaines personnes de votre famille ?
Je connais Marjorie depuis plusieurs années, depuis l’époque où je lisais des extraits de ses romans dans mon émission de radio « L’instant littéraire » sur RCF Poitou Vienne.
Marjorie a des origines polonaises, comme moi-même, et nous avons eu l’occasion de parler de nos origines communes.
Elle s’est inspirée de mes grands-parents Poniatowski (dans le roman le couple Wróblewski), notamment au niveau psychologique. En effet, elle s’est notamment appuyée sur leur grande générosité.
Il faut savoir que mes grands-parents ont caché des Juifs pendant la guerre et ont, entre autres, élevé pendant deux ans des enfants que leur mère, trop malade, ne pouvait garder.
Dans le roman de Marjorie Tixier, il y a aussi le personnage d’Helena qui a les traits psychologiques de ma chère Maria. D’ailleurs, le numéro et le nom de la rue de la demeure dans laquelle j’ai vécu avec mes grands-parents à Paris figurent dans ce roman.
Marjorie Tixier a le don d’aller très loin dans la psychologie des personnages de ses romans : en lisant ce livre, j’ai même pu revoir mon passé d’enfant.
Quels souvenirs, par exemple, gardez-vous de ce passé ?
Mes grands-parents ont fait beaucoup de bien dans leur vie sans que ce ne soit ébruité dans la presse. Je tenais à expliquer, dans mon livre « Des princes dans l’Aisne », que mon grand-père Poniatowski, chaque dimanche, dans le village où il était maire et où il y avait une grande colline d’au moins 200 mètres de dénivelé pour monter à l’église, montait et descendait les personnes âgées, les personnes malades avec sa voiture ; il disait que nous – ses petits-enfants, étions jeunes et que l’on pouvait y monter à pied.
Ma grand-mère adorait beaucoup les animaux. À Mougins, quand elle voyait un chien ou un chat sur la route, elle le prenait avec elle, et l’amenait dans notre propriété ; on lui donnait à manger, et pas des boîtes de supermarché… Donc, les gens qui ne retrouvaient pas leur animal de compagnie, appelaient le refuge de Mougins : « Est-ce que vous n’avez pas mon animal ? » et le refuge répondait : « Si votre animal n’est pas chez nous, c’est qu’il est chez la Princesse Poniatowski ! ».
C’est ce que j’ai voulu raconter dans « Des princes dans l’Aisne » avec les documents historiques en ma possession, comme un écho au livre de mon arrière-grand-père qui avait rédigé son autobiographie : « D’un siècle à l’autre », alors, j’ai voulu la compléter.
Où en êtes-vous de votre projet de faire exposer et de vendre plusieurs dessins du prince François Poniatowski, à Toruń en 2025, au profit d’un centre destiné aux personnes souffrant de trouble du spectre de l’autisme ?
Le projet pour la ville de Toruń avance bien. En clair, je vais apporter les dessins du prince François Poniatowski à l’association Autyzm Polska - Fundacja Pomocy Osobom Autystycznym qui se chargera de les vendre aux enchères, pour lever des fonds, afin de construire d’un centre spécialisé dédié aux personnes atteintes d’autisme. Je prévois donc de me déplacer deux fois à Toruń pour ce projet.
Je vais d’abord faire un premier voyage en avril prochain, pour amener les dessins de mon oncle François Poniatowski. Ensuite, je reviendrai pour la vente aux enchères dont la recette servira à la construction d’un centre destiné aux personnes autistes. Faire une bonne action avec ces dessins-là, c’est formidable !
Vous vous êtes longtemps consacré à l’art théâtral, et vous vous définissez comme « inventeur avec une fibre sociale », parlez-nous de cette passion pour le théâtre et de vos inventions, dont l’une d’elles a remporté le concours Lépine ?
Alors, en fait, j’aimais bien faire de petits spectacles devant ma grand-mère Poniatowski, à Mougins. Je mettais, avec mes sœurs et mes camarades d’enfance, un drap blanc entre deux arbres et on faisait les idiots… ou je ne sais pas plus ce qu’on faisait d’ailleurs, je ne m’en rappelle plus (rires). Je faisais un peu de mise en scène. Ensuite, je me suis retrouvé à l’École des Roches, un établissement assez connu en Normandie, de 1976 à 1980, où il y avait également Vincent Cassel, qui deviendra par la suite acteur. Je ne pensais pas qu’il ferait comme son père, du cinéma ; car, à l’époque, je voyais un grand sportif qui aimait beaucoup jouer au tennis. On a fait un spectacle d’école ensemble devant les parents, et c’est ce moment-là qui m’a donné envie de faire du théâtre.
Donc, après, je me suis inscrit au Cours Simon, et un peu plus tard, après le Liban, je me suis inscrit à l’École supérieure du spectacle à Paris. En fait, il y avait ce centre artistique qu’on devait construire au Liban et on me disait : « Tu vas accueillir des enfants de la guerre, mais en même temps, tu vas accueillir des compagnies professionnelles de danse pour faire des spectacles pour ces enfants ». Je ne voulais donc pas être un directeur administratif qui ne sache pas ce qu’est la danse. Alors je me suis forcé à aller à l'École supérieure du spectacle, à Paris, où j’ai pratiqué 5 ou 6 danses (danse classique, danse contemporaine…) ; mais j’étais archi nul, vraiment raide comme un poteau (rires).
Après mes études au Cours Simon, j’ai été intéressé par le besoin de transmettre. J’ai subvenu à ce besoin en enseignant l’art dramatique dans des associations et des établissements scolaires, mais surtout avec une envie de m’occuper des personnes fragilisées.
Ainsi est née mon invention du « Coda-Mot » (que j’ai réalisé en travaillant avec une personne autiste au Liban pour l’aider à s’exprimer).
Cette attention particulière aux personnes en situation de fragilité a aussi été le motif de l’invention d’une scène mobile permettant à des non-voyants de faire du théâtre en Vendée. Pour cette innovation, j’ai eu le soutien de l’Association Valentin Haüy, et c’est pour cette dernière, que j’ai reçu la médaille d’or du Concours Lépine.
Mes inventions sont loin de celles que mon grand-père Poniatowski a réalisées. Ce dernier est à l’origine d’un modèle de char et d’une célèbre voiture de course – l’Alphi, qu’il a inventée avec ses amis Luart et Hougardy.
J’ajouterai enfin que le demi-frère de ma grand-mère maternelle – Charles Lawrance, a créé le moteur d’avion de Charles Lindbergh.
Une anecdote pour conclure avec regret cet entretien passionnant ?
J’ai oublié de vous dire que j’ai contribué activement au documentaire « Sylwester ». Ce film parle de ce qu’a vécu pendant la Seconde Guerre mondiale, le vétéran Sylwester Bardzinski qui fut le conducteur de char de mon oncle Poniatowski, film réalisé par Bart Verstockt, sorti il y a plusieurs années. Ce film est un outil pédagogique important à montrer aux jeunes générations.
Je vais être également dans le prochain documentaire polonais de Jarosław Mańka, tant qu’il n’est pas sorti, je préfère ne pas encore parler du sujet du film. Pour l’anecdote, Jarosław Mańka m’avait également précédemment filmé dans un documentaire où il était question du rapatriement du corps du roi en Pologne : « Trzy pogrzeby ostatniego króla Rzeczpospolitej » réalisé en 2008.
Pour aller plus loin :
- L’association Devoir de mémoire mettra particulièrement à l’honneur le prince Marie-André Poniatowski le week-end du 26-27 avril 2025 au blockhaus L434, 5 Rue des Madeleines à Saint-Omer ou une exposition permanente lui est déjà consacrée. (Renseignements : assodevoirdememoire62500@gmail.com)
- La division blindée de Zagan en Pologne expose de manière permanente dans son musée des affaires personnelles du prince.
- Jacques Wiacek parle de l’oncle de Guillaume de Louvencourt dans ses ouvrages : « Histoire de la 1re division blindée polonaise 1939-1945 : l'odyssée du phénix » et « Livre d'histoire : L'armée polonaise en France 1939-1940 : l'alliance blessée »
Jacques Wiacek restitue l’histoire de l’armée polonaise en France et ses 84000 hommes
- Nous vous conseillons l’ouvrage d’Anne-Marie Wisniewski que Guillaume de Louvencourt a co-préfacé : « Des souvenirs qui se refusent d’être oubliés ».
- Page Wikipedia sur le Prince Marie-André Poniatowski : Marie-André Poniatowski — Wikipédia
- Tout sur les déplacements de Guillaume de Louvencourt en Pologne : www.poniatowscy.com