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Triangle de Weimar à Paris : le phœnix renait de ses cendres... mais jusqu’à quand ?

Lundi 12 juin 2023, Emmanuel Macron, Andrzej Duda et Olaf Scholz se sont réunis à l'Elysée à Paris, dans le cadre d’un sommet du Triangle de Weimar, une coopération trilatérale informelle d'échange et de dialogue.

Déclaration conjointe du Triangle de Weimar (Emmanuel Macron, Andrzej Duda et Olaf Scholz)Déclaration conjointe du Triangle de Weimar (Emmanuel Macron, Andrzej Duda et Olaf Scholz)
Youtube Elysée - France, Allemagne, Pologne : déclaration des dirigeants du Triangle de Weimar réunis à l’Élysée
Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 26 juin 2023, mis à jour le 21 octobre 2024

Unis dans leur volonté de soutenir l'Ukraine, les chefs d’Etat français, polonais et allemand se sont réunis pour répéter leur position commune et poursuivre leur engagement pour continuer d’apporter une assistance militaire, humanitaire, et des garanties de sécurité qui pourront être apportées à l'Ukraine dans le long terme, ainsi que pour préparer les sommets internationaux à venir. 

Que faut-il retenir de l’intervention conjointe du 12 juin par les trois chefs d’Etat, quelles sont les priorités évoquées par chacun ? 

Emmanuel Macron est le premier à s’être exprimé face à la presse. Cela lui a permis d’exposer sa priorité, à savoir la détermination commune des trois pays, dont la France, d’assurer la paix en Europe. Cela reflète, en quelque sorte, le souhait de la France d’exister sur la scène internationale en tant que « puissance d’équilibre » qui permettrait de désamorcer crises et situations de conflit. Ainsi, le président français insiste sur la nécessité de fournir de l’aide à l’Ukraine afin « que la Russie, non seulement ne sorte pas vainqueure de cette triste aventure, mais aussi ne puisse la réitérer ». Il met le Triangle de Weimar au centre de la construction de la paix européenne, indiquant que ce format de rencontre est « celui précisément d'une Europe rassemblée et unie qui résiste aujourd'hui, qui veut la victoire et qui construit aussi l'architecture d'une Europe plus sûre et plus stable de demain ». Cela est possible grâce à la cohésion entre les trois États, déterminés et rassemblés autour d’un même objectif : « la victoire de l’Ukraine ». 

Le Président polonais, Andrzej Duda, est lui revenu sur la chute du communisme en Pologne et le parcours émancipateur que la nation polonaise a suivi depuis. Il indique que pour assurer la sécurité européenne et l’avenir de l’UE, « il est fondamental que l’impérialisme russe s’éteigne, que la Russie n’ait plus jamais le potentiel et la capacité d’attaquer un autre État, d’étendre leur sphère d’influence aux dépens de la vie humaine, aux dépens de la propriété d’autres peuples, d’autres pays, aux dépens de la souveraineté, de l’indépendance d’autres pays ». Il plaide en faveur de l’adhésion de l’Ukraine au sein de l’Union européenne et de l’Alliance nord-atlantique, toujours en s’inspirant de l’histoire polonaise :

« Ce que la nation polonaise voulait à l’époque (en 1989) s’est produit : nous sommes devenus une partie de la communauté des pays démocratiques. (…) Aujourd’hui, les Ukrainiens veulent la même chose ». 

Le Chancelier allemand, Olaf Scholz, le dernier à s’exprimer, a déclaré pour sa part que l’unité de l’Europe avait été sous-estimée par Vladimir Poutine en lançant une guerre à grande échelle contre l’Ukraine il y a déjà 16 mois. M. Scholz estime que cette guerre « a révélé que nous devons travailler intensément ensemble sur l’avenir de l’Europe ». Affirmant que « notre force réside dans l'unité », l’importance de l’unité et de la coordination entre États européens a été au cœur de la prise de parole du Chancelier. Cela reflète la conception sur la scène internationale de l’Allemagne comme médiateur et allié de confiance notamment auprès de l’OTAN

 

Le Triangle de Weimar : « un instrument politique intelligent »

Clé de voute de la coopération franco-polono-allemande, le Triangle de Weimar a été créé en 1991. Dans le contexte de la chute du mur de Berlin et de la dislocation de l’URSS, cet outil de dialogue informel a favorisé la réconciliation entre la Pologne et l’Allemagne, suivant le modèle de la réconciliation franco-allemande, après un XXe siècle mouvementé.  

« Un instrument politique intelligent », c’est ainsi que Bronislaw Geremek - historien et homme politique polonais, il a été Ministre polonais des Affaires étrangères de 1997 à 2000 puis député au Parlement européen de 2004 à 2008, définit ce format de coopération. En effet, grâce à son rôle de médiateur, ce format a permis à l’Union européenne de mieux s’adapter à l’intégration de nouveaux États membres. 

A la suite de l’entrée de la Pologne dans l’OTAN (1999) puis dans l’Union européenne (2004), ce format a perdu de sa vigueur. Il s’est transformé en une plateforme d’échange permettant aux ministres, principalement des Affaires étrangères mais pas uniquement, et chefs d’État de se rencontrer, irrégulièrement, en amont de certains sommets internationaux.  

C’était sans attendre 2022 et la guerre à grande échelle menée par la Russie contre l’Ukraine. Cela a été un véritable électrochoc tant pour l’Union européenne que pour l’OTAN, dont les trois membres du triangle de Weimar font partie. Cette plateforme a permis aux trois États de développer des convergences à propos l’aide à apporter à l’Ukraine et a permis de renforcer l’unité de la réponse européenne. 

 

Un dialogue trilatéral qui gagne en sens et redistribue les rôles 

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la rencontre à Paris entre Emmanuel Macron, Andrzej Duda et Olaf Scholz leur permet d’élaborer des garanties de sécurité qui pourraient être apportées à l’Ukraine dans un futur incertain. 

A la suite du Brexit, et donc de l’augmentation du poids de la Pologne dans les négociations européennes, du retour du parti Démocrate à la présidence américaine, et de la guerre en Ukraine, la Pologne joue un rôle de premier plan dans l’OTAN. Dans une politique de réarmement massif, elle délimite et protège le flanc oriental de l’Alliance. Grâce à sa position stratégique entre Europe centrale et Europe de l’Est, la Pologne est aussi devenue la base arrière de l’aide militaire et humanitaire apportée à l’Ukraine.  

Ce n’est pas la première fois que le triangle de Weimar se révèle fructueux dans sa relation avec l’Ukraine. Déjà en février 2014, les ministres des Affaires étrangères français, polonais et allemand s’étaient rendus à Kyiv et avaient conclu un accord avec l’ancien président ukrainien, Viktor Ianoukovytch. Cet accord a mis un terme à la répression contre les manifestants pro-européens qui se mobilisaient sur la place Maïdan depuis novembre de l’année précédente et demandait au président de s’accorder avec l’opposition sur l’avenir démocratique de l’Ukraine.  

Ainsi, l’année 2014 avait déjà revigoré le triumvirat franco-polono-allemand. Cependant, la guerre dans le Donbass a duré et s’est faite oubliée dans la plupart des capitales occidentales. L’énergie dynamisant la coopération trilatérale s’est alors à nouveau dissipée pendant quelques années, comme c’était le cas entre 2005 et 2010. 

L’arrivée du PiS au pouvoir en 2015 est un élément supplémentaire qui peut expliquer la diminution de coopération entre Paris, Berlin et Varsovie, la Pologne étant mise à l’écart par l’Union européenne en raison de positions, de décisions politiques et de réformes condamnées par Bruxelles.  

L’image de la Pologne s’est nettement améliorée à l’étranger depuis février 2022, compte tenu de l’accueil qu’elle réserve aux réfugiés ukrainiens et à l’aide qu’elle apporte à la survie de l’Ukraine, ce qui a permis à Varsovie de solidifier ses liens avec ses alliés. 

Désormais, la nécessité d’agir afin de maintenir la paix en Europe pousse les trois partenaires du triangle de Weimar à se réunir plus régulièrement. Le sommet du 12 juin intervient seulement quatre mois après la dernière rencontre des trois dirigeants en Allemagne, le 19 février, à l’occasion de la Conférence de Munich sur la sécurité.  

Après des rencontres irrégulières depuis 1992, les trois États ont désormais un intérêt commun, celui de parler d’une seule voix à travers une coopération trilatérale, mais plus largement européenne et otanienne, pour assurer la stabilité de l’Europe. 

 

Les positions sur l’Ukraine : beaucoup de convergences malgré quelques divergences ; des approches nationales qui ne sont pas identiques 

Les trois chefs d’État convergent dans leurs prises de parole quant à la nécessité de renforcer la sécurité régionale, de poursuivre l’assistance militaire, financière et humanitaire qu’ils fournissent à l’Ukraine, et de créer des garanties de sécurité pour l’Ukraine. Ce dernier sujet est actuellement l’objet de débats, entre la France, l’Allemagne et la Pologne, mais pas seulement, puisque l’Ukraine participe elle-même à ces discussions ainsi que d’autres pays comme les Etats-Unis. Selon Olaf Scholz, ces garanties de sécurité « sont importantes pour la paix, qui est malheureusement encore loin ». Il s’agit notamment des « perspectives auxquelles [l’Ukraine] a droit » indiquait le Président français en faisant référence, entre autres, à l’adhésion ukrainienne à l’UE et à l’OTAN. 

Ce sommet a permis à Paris, Varsovie et Berlin d’avoir une ligne directrice commune qu’ils pourront promouvoir au cours des prochaines échéances européennes et internationales, à savoir le Conseil européen des 29 et 30 juin puis la réunion de l’OTAN à Vilnius les 11 et 12 juillet. 

 

Bien que leurs déclarations convergent, il est à noter qu’il existe des divergences entre les approches française, polonaise et allemande vis-à-vis de la guerre en Ukraine et du soutien à lui apporter. 

Il y a un an, les relations franco-polonaises traversaient une période de tension en raison des critiques portées par le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki à l’encontre d’Emmanuel Macron pour les entretiens téléphoniques qu’il tenait régulièrement avec Vladimir Poutine, avant et au cours des premiers mois de la guerre. Le gouvernement polonais a également critiqué à plusieurs reprises les positions prudentes des capitales française et allemande vis-à-vis de la Russie. 

Le Président français avait alors répondu en qualifiant Morawiecki d’ « antisémitisme d’extrême droite ». Finalement, en août 2022, les deux hommes d’État se sont rencontrés à Paris, pour discuter des enjeux de la souveraineté européenne en matière de défense et de sécurité et de leur coopération. On peut considérer que la hache de guerre a été enterrée, du moins tant que la guerre en Ukraine dure…  

Andrzej Duda peut vanter que la Pologne figure comme soutien inconditionnel à l’Ukraine. Grâce à son leadership, la Pologne se distingue par un engagement sans réserve envers son voisin en guerre. L'expérience polonaise en matière d'oppression impérialiste russe lui permet de jouer un rôle majeur dans la réponse européenne face à l’avancée des troupes du Kremlin en Ukraine. La Pologne n’a cessé d’alarmer l’Europe de la menace grandissante que représente sa grande voisine, la Russie. 

Le chancelier allemand a lui, notamment été critiqué à plusieurs reprises par ses homologues de l’Europe de l’Est estimant qu’il n’apportait pas autant d’aide à l’Ukraine qu’espéré. La chercheuse Jessica Berlin résume : « Au début de la crise, la stratégie d'Olaf Scholz semblait être d'en faire le moins possible, le plus tard possible, afin de ne pas être pris du mauvais côté de l'histoire. Mais aujourd'hui, son argument est que l'Allemagne ne peut pas faire cavalier seul. L'Allemagne ne peut agir que de concert avec ses alliés. Toutefois, cet argument commence lentement à perdre de sa valeur car, en réalité, nos alliés en font beaucoup plus ». 

La politique d’Emmanuel Macron à l’égard de la guerre en Ukraine pourrait être caractérisée comme étant ambiguë. D’un côté, le président français a souhaité rester en contact avec Vladimir Poutine le plus possible, se rendant même en Russie en février 2022, dans l’espoir de convaincre le président russe de ne pas envahir l’Ukraine. Alors que Macron prône le renforcement des capacités de défense européennes depuis des années, ce qui lui aurait permis de se présenter comme leader dans l’aide européenne apportée à l’Ukraine, la France reste assez discrète sur les livraisons d’armes envoyées au front. Cela n’a pas aidé la réputation de la diplomatie française car en plus de la guerre sur le front, se joue une guerre médiatique pour savoir qui est le meilleur allié de l’Ukraine. 

 

Quelles perspectives d’avenir pour le Triangle de Weimar ?

Symbole de l’unification de la « vieille Europe » (France et Allemagne) et de la « nouvelle Europe » (Pologne) depuis plus de 30 ans, le Triangle de Weimar a repris vie depuis l’année dernière avec le retour d’un conflit armé à grande échelle en Europe. Cela a permis de renforcer la coopération franco-polono-allemande... Mais pour combien de temps ? 

Cette période de crise permet d’unir ces trois États autour d’un même objectif, la victoire ukrainienne, mais encore faut-il qu’ils aient la même définition de ce qu’elle serait. Cependant, malgré la méfiance, les nombreux différends et désaccords au cœur de ce triumvirat, le Triangle de Weimar demeure plus de 30 ans après sa création. C’est pourquoi il peut être qualifié de modèle en termes de coopération trilatérale.

Véritable « laboratoire de rencontres des psychosphères [Expression de l’auteur de science-fiction Roland C. Wagner, signifiant mémoires collectives, N.D.L.R.] allemandes, françaises et polonaises » selon le politologue Ingo Kolboom, il s’adapte tant bien que mal aux alternances politiques et aux événements géopolitiques. L’avenir de ce forum de coopération dépend uniquement de la volonté des chefs d’États concernés, il apparait fragile mais renforcé par la guerre russo-ukrainienne. Pour assurer sa pérennité, il est donc primordial de veiller au développement et au maintien d’une confiance mutuelle entre la France, la Pologne et l’Allemagne.

 

« Tout [allait] pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles », jusqu’à ce que Jarosław Kaczyński...  

Quelques jours après cette rencontre, le 21 juin, Jarosław Kaczyński a réintégré le gouvernement en tant que Vice-président du Conseil des ministres polonais. Il retourne ainsi au sein de l’équipe gouvernementale au même poste qu’il a tenu entre 2020 et 2022, et dont le rôle est de coordonner l'ensemble du travail gouvernemental. Cela intervient quelques mois avant les élections législatives polonaises, qui doivent se tenir à l’automne.  

Cette annonce peut être interprétée comme une tentative du PiS de regagner en soutien populaire après les manifestations anti-gouvernementales qui se sont tenues au début du mois de juin.

Depuis 2015, Kaczyński, président du parti Droit et Justice - PiS, est considéré comme le cerveau du gouvernement et de ses lois, dont celles qui irritent Bruxelles. Il est donc possible que sa réintégration au sein du gouvernement rebatte les cartes et déstabilise la politique étrangère polonaise qui tendait à se normaliser au sein de l’UE et auprès de ses alliés. 

 

Pour visionner l'intégralité de la déclaration des dirigeants du Triangle de Weimar réunis à l’Élysée : 

 

 
 

 

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