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Le pizzardone et le ghisa

Entre histoire, humour et cinéma, de Rome à Milan, découverte de l'origine du "pizzardone" et du "ghisa".

Deux policiers GhisaDeux policiers Ghisa
Filckr
Écrit par Françoise Danflous
Publié le 18 septembre 2024, mis à jour le 2 octobre 2024

 

Le pizzardone et le ghisa : une traduction hâtive, spontanée, à peine arrangée donnerait quelque chose comme « la grosse bécasse » et « le tuyau de poêle ». Le début de nouvelles équipées à la Guignol, Gnafron et compagnie ? Pas si vite ! D’abord, ces deux noms ne désignent pas deux compères mais une seule et même personne, pizzardone se dit à Rome, ghisa à Milan. Et puis celle-ci serait plutôt résistante à la figure du loustic puisqu’il s’agit, eh oui, du vigile urbano, « policier municipal », qui, avant l’arrivée partout des feux tricolores et des ronds-points, dirigeait aussi la circulation en ville sur son podium circulaire. Ce fameux vigile qu’Alberto Sordi fit entrer dans la mémoire collective des Italiens (« Il vigile » de Luigi Zampa) dans les années 60.

 

Le pizzardone dans les rues de Rome

On entendit parler de pizzardone dans les rues de Rome dès le XIXe siècle, à l’époque où le policier municipal se coiffait d’un drôle de bicorne à longues pointes, l’une devant, l’autre derrière, un peu comme celui de nos académiciens et des élèves de l'École polytechnique. La classe. Mais un esprit farceur barbouilla le personnage en l’appelant pizzarda, le mot romain pour beccaccia, « bécasse », à cause de la pointe qui rappelait le pizzo (pizz-arda), en dialecte le becco, « bec » (becc-accia, béc-asse) filiforme de l’oiseau. Bref, le bonhomme qui offrait sa tête en nichoir à cette étonnante pizzarda fut tout naturellement nommé pizzardone, avec ce petit -one bien utile pour en charger l’idée, comme naso, « nez », donne nasone, « gros nez ».

En d’autres termes, et cette révélation ravira les plus frondeurs, le pizzardone, comprenons donc « l’agent de police », est une « grosse bécasse » ! Aujourd’hui, un aigle auguste à deux têtes vient rattraper la caricature, rehaussant les couvre-chefs, les boutons des uniformes, les plaques d’identification de la police italienne. C’en est d’ailleurs le symbole.

 

Alberto Sordi en vigile
Alberto Sordi, dans Il Vigile


Des becs, des ailes, chez nous aussi ? Il y a quelques années, des agents cyclistes devenaient hirondelles par le dos, à cause des larges pans noirs de leurs pèlerines qui en suggéraient l’image. Et nos policiers continuent à devenir poulet et poulaga, que l’on dit issus de l’italien familier pula pour polizia, « police ». Quant au podium sur lequel les agents de la circulation se perchaient, on le baptisa cocotte ou cocotte-minute à cause de sa forme ronde surmontée parfois d’un toit (couvercle ?) en fer pour s’abriter et, sans doute, des coups de sifflets qui en fusaient.

 

Le ghisa dans les rues de Milan

Le ghisa ? Il faut avoir vu une fois le chapeau des vigili années 1860, un cylindre noir charbon de 30 cm de hauteur, pour comprendre pourquoi les Milanais l’assimilèrent en chœur aux tuyaux des poêles en ghisa, en « fonte », de leurs appartements. D’autres avancent aussi la couleur du blason y figurant mais toujours pour la même nuance de noir et le poêle. Le ghisa, l’homme. La ghisa, le matériau, que l’on fait descendre du français « gueuse », un terme technique pour le fer tout juste fondu. Certains le croient venu du bas allemand göse qui veut dire « oies » au pluriel ; les morceaux de fer en fusion ressembleraient à un triangle, ou bien à une oie grossièrement ébauchée. Et ces quatre sorelle Ghisini, célébrissimes à Milan il y a 2 siècles, des demoiselles vigilesse ?

 

Les sorelle Ghisini

Des catherinettes bien chapeautées ? Des gueuses ou des pintades ? Surprise ! Ni coiffées, sans uniforme, ni même vêtues de plumes, de poils, de rien, ni vivantes et pas moins trépassées, mais bien prospères et provocantes, voilà quatre sirènes en fonte, d’où leur nom, qui décoraient le premier pont, en fonte, inauguré en Italie en 1842 ! Il enjambait le Naviglio du côté de via Senato avant d’être déplacé au parc Sempione dans les années 30, lors du recouvrement du canal milanais. Petit secret pas si secret : tout cœur chagrin peut venir les effleurer, car elles sont renommées pour toujours exaucer les vœux les plus furtifs. De frivoles et aguichantes sorelle Ghisini dans la même case étymologique que l’austère et castrateur ghisa ? Les mots sont bien malins pour réussir des tours que la raison n’oserait pas trop !

Le pizzardone et le ghisa, surtout, surtout, n’oublions pas non plus de leur adresser toutes nos amitiés francophones ! Pourquoi ça ? Regardons de plus près le film « Guardia, guardia scelta, brigadiere e maresciallo » de Mauro Bolognini (1956 ) par exemple.  
La scène où le vigile Alberto Sordi se livre à un galimatias onomatopéique simili français fredonnant « c’est si bon » et citant Jean Sablon est tout simplement irrésistible. Ou cet oral de français pouvant lui octroyer le prestigieux brassard de guardia turistica, le vigile en rêve ! Sauf que, malédiction, on lui demande de traduire il giardino di mia zia è pieno di fiori et là, le mot zia, « tante », lui résiste. Champion de l’aplomb, roi de la débrouille, le candidat romain lance un astucieux « le jardin de la sœur de mère ». Refus de l’examinateur. Alors, il prétend que cette phrase est intraduisible car sa mère, oui, avait un jardin, pas sa tante car elle habitait au troisième étage ; je le dis pour la cronaca, « pour la petite histoire » ajoute-t-il dans une langue toute à lui.
 

 

Le français ? Osteria, c’est difficile, « Saperlipopette, c’est difficile ! ».
Avec le ghisa, les rôles se retournent et c’est le touriste qui se lance dans une magistrale bafouille.

L’inoubliable « Totò, Peppino e la malafemmina » (Camillo Mastrocinque, 1956) montre deux énergumènes napolitains sacrément dépaysés arrivés du bout du bout de leur monde car, per andare a Milano ci vogliono quattro giorni di mare, a meno di non andare a piedi, « pour aller à Milan, il faut quatre jours de traversée, à moins de s’y rendre à pied ». C’est dire alors que nous sommes en terre inconnue ! Totò demande donc sa route au premier ghisa venu, se répand dans un sabir passe-partout resté dans les annales : excuse me, bitte schön, noio volevon savuar l’indriss, ja ! « Volevon savuar l’indriss »… plaît-il ?

 

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