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Les joyeuses tribulations du tiramisù

part de tiramisu dans une assiette blanchepart de tiramisu dans une assiette blanche
Photo de Rasa Kasparaviciene sur Unsplash
Écrit par Françoise Danflous
Publié le 19 juin 2024, mis à jour le 2 juillet 2024

Avec pesto, bruschetta, cassata plus quelques autres bonheurs de bouche, le mot tiramisù est passé sans encombre du dialecte (ici de Vénétie) à l’italien courant. Puis, par effet de rebond et de fameuse bonté, le revoici tel quel sur les tables d’une vingtaine de pays, se faisant le dessert italien le plus connu et apprécié au monde. Mais comment le traduire avec sa tête d’hurluberlu ? Car voilà, ce n’est pas un nom : tirami sù est une manière de supplication, quelque chose comme « remonte-moi » : l’humeur, la santé, la journée, après tout pourquoi choisir ? Hurluberlus nous en sommes nous aussi, car dire son nom, c’est comme si nous lui adressions la parole et parler à son assiette, ma foi, ça peut vite donner de faux airs de doux dingues ! Bon. Donc, un minuscule, rigolo bout de phrase figé en un mot, comme l’est le nontiscordardimé (littéralement non ti scordar di me, « ne m’oublie pas ») pour dire « myosotis », chez nous parfois « ne-m’oubliez-pas », offert en gage de fidélité à son/sa préféré(e). Seulement ici, il va falloir s’arranger car aucune révélation n’est attendue pour nous : ce que tiramisù annonce fier et fort, il n’y a qu’un Italien pour le comprendre. Pas grave. Y goûter va nous l’expliquer… en exquises et revigorantes calories !

Un dessert qui n’existe que depuis quelques années

Que l’on ait des grands-parents, des parents italiens, il y a peu de chance qu’ils aient goûté une cuillérée de tiramisù de leur vie. Ce n’est pas une question de goût, d’argent, parce que c’était la guerre ou qu’on vivait en pleine forêt. Jamais de tiramisù dans les dimanches de grand-mère, c’est tout. Même s’il appartient désormais à nos quotidiens, restaurants, supermarchés, livres de cuisine ou repas de famille, il va falloir l’admettre, le tiramisù n’existe que depuis de toutes petites années.  L’Italie ne l’établit dans les dictionnaires qu’autour de 1980 (Zingarelli, 1983). En France, tiramisu perd l’accent de son u comme seule et minuscule tentative de francisation et fait son entrée dans le Petit Robert en 1995. Il faut attendre les années 2000, disent les afficionados, pour qu’il connaisse un engouement, mais si fort qu’il entre à fond dans notre imaginaire, laissant donc supposer, voilà, que Garibaldi et Napoléon en mangeaient tous les jours.

Le tiramisù, reposons l’accent pour l’authenticité, serait originaire du Nord-Est de l’Italie. Certains penchent pour la Vénétie, Trévise peut-être (en 1970), désormais reconnue comme la capitale du tiramisù et organisatrice du concours annuel du meilleur tiramisù du monde. Le bon sens voudrait qu’une recette régionale compose avec des ingrédients régionaux. Ici jaune d’œuf, mascarpone, boudoirs imbibés de café froid, cacao, sucre ; l’alcool, marsala ou amaretto, n’étant pas du tout obligatoire. Allez, ok pour œuf, café, sucre, cacao. Mais le savoiardo, savoyard, est un biscuit piémontais et, surtout, le mascarpone un fromage de Lombardie plutôt périssable qu’il fallait acheminer d’ouest en est. C’est long, chaotique, ça fait désordre. Pourtant, le dessert le plus préparé par les familles italiennes ne donne pas dans la cacophonie, c’est, au goût de tous, l’exemple d’une parfaite harmonie, simple, bonne, bienfaisante. Comme le dit son nom, le tiramisù s’inspirerait en effet de préparations roboratives. Le sbatudin (uova sbattute dans le dialecte de Trévise), du jaune d’œuf battu avec du sucre dont les Trévisans nourrissaient leurs enfants et les convalescents. Les biscottini puerperali (biscuits pour jeunes mamans) : jaune d’œuf, sucre, cacao, beurre, à manger à la cuillère (donc, en vérité, pas du tout biscottini), reconstituant pour les femmes venant d’accoucher. On a mieux : le tiramisù primordial ferait même grimper dans les rideaux !!! Oyez tout le monde et tout le monde aux fourneaux : c’était un dessert puissamment aphrodisiaque que concoctaient jadis les tenancières des maisons closes ! C’est dit.

Une Académie du tiramisù

Une « Accademia del tiramisú » veille sur la légende et les recettes traditionnelles. La journée internationale du tiramisù (21 mars) les perpétue. Cela n’empêche pas le tiramisù, passablement frondeur, de s’en aller jouer les vedettes ailleurs, sous forme de glace, macaron, cocktail, coloration pour cheveux, eau de toilette, parfum de maison, de quoi se lécher les babines à longueur de journée ! Son mot aussi est bien vivant et, en excellent transformiste, il bouge et mute maintenant très vite et comme il veut. Un stregamisù ? Un tiramisù à la liqueur Strega. Un birramisù ?  Un tiramisù à la bière. Le pescamisù ? À la pêche, ou en forme de pêche. Ou bien (pesca, comme pêche, renvoie au fruit et aux poissons) à la… morue : horreur, malheur, dégoût suprême ! Et l’étonnant tigramisu… heu, au tigre celui-là ? Légère méprise peut-être facétieusement entretenue, il s’agit en fait d’un clin d’œil à Tigrane, prénom du cofondateur de Big Mamma (enseigne française de restaurants de cuisine italienne) et à son tiramisù maison. Très à l’écart, on consomme un tiramisù défendu : le canamisù italien, cana pour canapa, cannabis, et le tiramistone français, stone pour défoncé. Une proposition plus familiale qui monte qui monte et casse encore les codes : tiramichou (pâte à choux au tiramisù), une première syllabe italienne, une deuxième française qui font un seul mot pour les deux langues. Le mot réserve comme on l’a vu d’inépuisables ressources mais là, il vient de sceller une sacrée complicité linguistico-gastronomique entre nos deux pays !

 

Françoise DANFLOUS portrait
Publié le 19 juin 2024, mis à jour le 2 juillet 2024

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