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Les joyeux joyaux de la "mostarda"

Les mots moutarde et mostarda font largement confusion mais la ressemblance s’arrête pile à l’oreille. Derrière une étymologie commune, se cachent des histoires… piquantes !

mostardamostarda
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Écrit par Françoise Danflous
Publié le 3 décembre 2025, mis à jour le 4 décembre 2025

La mostarda n’est pas une manière italienne de parler de notre moutarde à nous. C’est vrai, les mots moutarde et mostarda font largement confusion mais la ressemblance s’arrête pile à l’oreille : voyez donc, la mostarda n’est pas de consistance crémeuse et elle n’est pas jaune non plus, en tout cas pas seulement. Composée d’un vrac de fruits géométriques multicolores et reluisants, elle se donne tout de suite de grands airs de Castafiore. Eh bien voilà, eh bien hélas, c’est dit d’emblée : nos Amora, Maille et autres Dijonnaises bien lisses et d’une couleur d’une seule jouent sacrément les tristounettes à côté de cette Italienne en fanfare !

 

pots de moutarde empilés
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Moutarde versus mostarda, une différence dès le récipient

La différence se fait dès le récipient. Si la moutarde peut s’acheter en pots de grès sobres et chics, beaucoup lui préfèrent, moins cher et plus facétieux, les verres à moutarde illustrés de familles de Schtroumpfs ou d’Astérix assommant ses légionnaires. Le « verre à moutarde », si prisé de tous les foyers, est d’ailleurs devenu une contenance homologuée (20 centilitres) dans les livres de recettes et les dictionnaires. En Italie, les tribus d’Astérix et compagnie n’ont pas été apposées sur un condiment pour grandes personnes mais au contraire sur le goûter préféré des petits, les verres de Nutella. La mostarda, grands dieux, non ! Sacrifier à ces peintures rupestres pour toile cirée, non, non, non ! Elle, elle parade à Noël, en grand apparat, nappes et vaisselle des grands jours. Pots enguirlandés de fioritures ou bocaux transparents comme un aquarium de gros berlingots multicolores, l’invitation est irrésistible : alors, on goûte ?

 

L’origine de la mostarda de fruits

La mostarda di frutta est une spécialité du Nord de l’Italie, concoctée d’abord par des moines du Frioul. L’intention était de remédier à l’inéluctable dépérissement des coings, pommes et poires l’hiver venu. On les lava, on les découpa, on les confit et le tour fut joué ; en plus c’était bon, c’était beau ! Seigneurs et princes de Lombardie en accommodaient leurs bollito, fromage et charcuterie, et faisaient don de ce mets jamais vu jamais goûté aux diplomates en visite chez eux, tous abasourdis de plaisir dès la première bouchée ! La mostarda s’invita partout, aménageant ses recettes de famille à famille et de ville à ville à région, Crémone, la plus célèbre, Mantoue, la Vénétie. Du sucre, toujours ; du moût, en quantité variable ; graine ou essence de moutarde, c’est selon ; des fruits entiers, en morceaux, tranches, purée, ça dépend. Les arts culinaires en font un accompagnement : pourtant, avec ses airs de trésor de pirate et son goût à secouer les blasés, la primadonna, c’est chaque fois elle. Voici une confidence qui pourrait réjouir nos convives de Noël : c’est un cuisinier de Liège (Lancelot de Casteau) qui écrivit en 1604 la toute première recette de l’histoire de la mostarda : en français ! 

 

Un « moût ardent »

Féerique et dotée d’un sens infus du spectacle, la mostarda trompe un tantinet son monde. Mais oui, comment peut-on sembler à ce point innocente et joyeuse et picoter partout la langue dès qu’on l’y pose ! Disons-le tout de même, il n’est écrit nulle part qu’il s’agit d’un plaisir sucré. L’étymologie est d’ailleurs la première à nous mettre en garde : mostarda et moutarde descendent de mustum ardens, qui signifie « moût ardent ». Aïe, il n’y a pas à tortiller, ça va piquer ! La moutarde et la mostarda qui en contient sous forme de graines ou d’huile essentielle sont donc naturellement apprêtées pour nous « émoustiller » (descendu à son tour du mot « moût ») c’est-à-dire nous mettre de bonne humeur et plus ! Ça gratouille, ça chatouille, là et là. Et de la moutarde il y en a pour toutes les émotions, jusque dans la colère qui, comme on dit, fait venire la senape al naso, nous fait monter la moutarde au nez. 

 

Des vertus guérisseuses

Moutarde se dit senape en italien. Le mot existe dans nos pharmacies sous un mystérieux « sinapisme », de la moutarde en feuilles que l’on applique en cataplasme pour dégager les bronches. Le speziale, l’épicier, vendeur de spezie, d’épices, dit encore apothicaire, dit maintenant pharmacien, fin connaisseur d’herbes médicinales, drogues, onguents et autres formules miracles des anciens temps, prescrivait la moutarde - et dans la mostarda il y en a - contre les mauvais effets des champignons vénéneux, des serpents, des scorpions, les calculs, l’épilepsie et tout ce que les mauvaises fortunes pouvaient nous réserver. La moutarde, et la mostarda puisqu’il y en a, nous enseignent depuis des lustres qu’en plus de conserver les fruits et ravir les papilles, elles pourraient passer pour d’éminentes guérisseuses.

 

Un petit Larousse de mots insolites et cachés

Les diplomates et les pharmaciens ne sont pas seuls à jubiler au-dessus de leurs pots de mostarda. Les esprits curieux tout pareil : ils y trouvent tout un tas de consonances vieillottes à faire chanter dans leurs comptines. Pomme de reinette et pomme d'api, voici la poire passacrassana, passe-crassane, une variété ancienne remontée de notre France profonde ; la mela campanina, peut-être à cause de sa forme en campana (cloche), sœur ou cousine de notre « pomme cloche » d’égale allure ; la mela cotogna ou la pera cotogna, la pomme coing, la poire coing, pour nous tout simplement « coing ». Aussi drôle à dire (c’est la parole du canard par écrit) qu’à noter avec son petit g en bout de mot qui ne lui sert à rien. On en fait toujours de la cotognata, de la pâte de coing, même si, à notre époque de bonbons tout ficelés de supermarché, la friandise, trop sucrée, disent-ils, collante, orangeasse et maronnasse, est tombée en désuétude. Depuis quand le coing est-il l’oublié de nos corbeilles ? L’est-il tout à fait ? Observons notre petit-déjeuner : les étymologistes y ont découvert un étrange marmelo, le mot portugais pour … « coing » : marmellata, marmelade, marmelo, vous l’entendez ? Et voici les pots de mostarda transformés en petit Larousse de mots insolites et cachés, étrangement, piquantement, si délicieusement comestibles !

 

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