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Escapade franco-italienne : Poudroyer, verdoyer, les mots magiques de Barbe bleue

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Pixnio
Écrit par Françoise Danflous
Publié le 8 septembre 2022, mis à jour le 18 octobre 2023

La traduction du français à l’italien, et inversement, n’est pas toujours si facile… ou pas à la hauteur de l'image qu'elle transcrit. Quelques exemples qui montrent que les dictionnaires sont rapides, c'est d’ailleurs leur but et leur talent.

 

"Je ne vois rien que le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie", c'est Anne à sa sœur, l'épouse de Barbe bleue qui attend d'être sauvée par ses frères. Dans son adaptation italienne : "Il sole che fiammeggia e l'erba che verdeggia" (fiammegiare, flamboyer). Poudroyer, verdoyer, fiammeggiare, verdeggiare, ces verbes à l'allure saugrenue chatouillent nos oreilles depuis tout petits et depuis tout petits nous pressentons qu'en accrochant quelques lettres (-oyer, -eggiare) à la fin d'un mot, on peut en faire un autre bien plus intéressant. Verdir, par exemple, plaque sa couleur verte sur les champs mais aussi la peur et les malaises comme pour dire blêmir ou se sentir mal. Que du plaisir par contre avec verdoyer qui n'anime que les paysages, jamais les gens malades, offrant l'une et l'autre de ses nuances de vert pomme, vert menthe, vert sapin, vert tilleul, ici et là et encore là. Voilà, c'est magique.

En italien chic, il y a un mot pour dire "se reposer ou faire reposer dehors, à l'ombre, pendant les heures chaudes de midi". Une belle et longue image qui tient toute en meriggiare, du latin meridies voulant dire midi et sud. Joli ! Mais comment traduire ? Les dictionnaires font rapide, c'est leur but et leur talent, et proposent "faire la méridienne", que l'on a oublié même chez nos grands-pères, ou "faire la sieste", tristounet, platounet, grisounet. La méridienne qui nous rappelle le mieux cet état d'abandon en plein jour, nous l'avons grâce à un canapé dont la forme entre divan et lit est une invitation irrésistible à la somnolence. Les Italiens l'ont baptisé agrippina, du nom de la mère de Néron, empoisonneuse notoire. Houlà ! Houlà ? Il s'agit simplement d'un hommage à une statue d'Hélène dans son sofa (Rome, Musées du Capitole) longtemps confondue avec l'impératrice romaine.

 

Des mots plus beaux

Il y a un mot italien, et même deux et même trois et même quatre, pour signifier "dominer" mais en mille fois mieux que le simple dominare. Des mots plus beaux parce qu'ils montrent en transparence des images étonnantes. Le premier se dit giganteggiare, formé sur gigante, le "géant". On l'emploie pour un clocher ou pour un chêne ou pour une montagne ou pour un génie qui domine en colosse ce qui l'entoure. Ajoutons à l'idée de pur surplomb celle de pouvoir et de fief et l'on a signoreggiare (de signore, seigneur); une domination moins pacifique que l'on imagine dans un décor d'armures et d'étendards. Mettons en avant l'arrogance et voici spadroneggiare et le padrone, patron, qu'il abrite fait entendre au loin ses bruits de bâtons, de martinets et de chaînes; on le traduit la plupart du temps par "faire la loi". Passons au sens strictement figuré et c'est grandeggiare (de grande, grand) qui, en plus du reste, laisse entrevoir une personne se donnant des airs de grand seigneur ou grande dame.

Il y a un mot, et cette fois-ci dans les deux langues, fait exprès pour suggérer les reflets changeants de l'œil du chat: gatteggiare et chatoyer. Gatteggiare évoque la luminosité de la pupille du chat (gatto) dans le noir ainsi que certaines pierres brillantes comme le quartz. Chatoyer, de chat, dit la même chose, sauf qu'il s'applique également aux étoffes. D'où nous vient donc ce petit plus ? C'est qu'en français, le regard du chat n'est pas la seule référence en matière de chatoiement, il faut aussi compter avec... le poil de chèvre ! Mais si mais si. Petite histoire: notre moiré, alter ego de chatoyant, descend de l’anglais mohair désignant le tissu soyeux et lustré en poil de chèvre angora. Le temps passe, des mots qui se ressemblent se rencontrent et se confondent: c'est ainsi que chatoyant a fini par prendre toutes les définitions de son alter ego moiré y compris pour les étoffes qui brillent dans la lumière.

Au fait, le poudroyer de Barbe bleue n'est toujours pas résolu. Pourquoi traduire par fiammeggiare, flamboyer ? D'autres versions du conte proposent dardeggiare, darder. Là, on s'éloigne encore. Pour rester fidèle au poudroyer de Barbe bleue, il faudrait quelque chose comme fare balenare il pulviscolo, "faire étinceler les grains de poussière", trop long pour ici. Alors fiammeggiare, dardeggiare, plus chantants et inaccoutumés, vont faire l'affaire. On l'a vu, la traduction officielle n'est pas toujours à la hauteur de l'image qu'elle transcrit. Voici trois verbes barbebleuissants qui ne demandent qu'à sortir de leur grisaille en français: echeggiare, de eco, écho, donné dans les dictionnaires comme "retentir", albeggiare, de alba, aube, "faire jour", bamboleggiare (de bambola, poupée) "faire l’enfant". Échoyer, on n'a pas, alboyer, on n'a pas, poupoyer, on n'a pas. Alors... à vos plumes !

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