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Décryptage : En Italie, pourquoi la réforme de la justice est tant controversée ?

Le 30 octobre, le Sénat italien a approuvé une réforme constitutionnelle portant sur la justice, un pilier du programme du gouvernement de Giorgia Meloni. Très controversée, la réforme devra être validée par un référendum que l’opposition voudrait transformer en une bataille politique. Pourquoi la réforme soulève autant d’inquiétudes ?

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Le centre droit exulte après le vote du Sénat, le 30 octobre 2025.
Écrit par Lepetitjournal Milan
Publié le 2 novembre 2025, mis à jour le 4 novembre 2025

La réforme de la justice, pilier du programme de gouvernement de Giorgia Meloni, a passé une étape cruciale jeudi 30 octobre. Après un long parcours parlementaire, le sénat italien a approuvé en quatrième et dernière lecture, avec 112 voix pour, 59 contre et neuf abstentions, cette réforme constitutionnelle qui vise, entre autres, à séparer les carrières des juges et des procureurs.

Le texte anime avec virulence le débat médiatique et politique depuis plusieurs mois, témoignant d’un enjeu qui dépasse la seule sphère juridique.

Que prévoit la réforme de la justice ? Une seule magistrature mais avec deux carrières.

L’objectif de la réforme vise à séparer les carrières des juges et des procureurs, mettant fin à la pratique actuelle, bien que rare, d’évoluer d’un poste à l’autre. Aussi, chaque magistrat devra choisir son rôle au début de sa carrière, sans possibilité de changer par la suite. Ce changement vise à garantir une plus grande impartialité des juges et un équilibre plus net entre ceux qui jugent et ceux qui accusent. L'opposition, quant à elle, soutient que la réforme risque d'affaiblir le ministère public et de réduire l'indépendance générale du système judiciaire.

Les nouvelles dispositions créeraient ainsi deux carrières distinctes, et établiraient un organe de contrôle pour chacune. Il y aurait donc deux Conseils supérieurs de la magistrature distincts, remplaçant l’organe unique actuel, et une nouvelle Haute Cour disciplinaire ayant des pouvoirs à la fois sur les juges et les procureurs.

Dans le cadre de cette réforme, les deux nouveaux Conseils supérieurs de la magistrature (CSM) – judiciaire et du parquet – seront tous deux présidés par le Président de la République, tandis que le Premier Président et le Procureur général de la Cour de cassation en seront membres de droit.

Le principal changement concerne le mode de sélection des membres : ils ne seront non pas élus mais tirés au sort. Les CSM seront composés d’un tiers de membres non professionnels et de deux tiers de membres professionnels. Les premiers seront tirés au sort parmi une liste de juristes (professeurs d’université ou avocats justifiant d’au moins quinze ans d’expérience) établie par le Parlement réuni en session conjointe, tandis que les seconds seront tirés au sort parmi tous les magistrats, juges et procureurs, qui remplissent les conditions fixées par une loi ordinaire. Les membres des deux CSM « exercent leurs fonctions pendant quatre ans et ne peuvent participer au tirage au sort ultérieur ».

Chaque organe de contrôle sera responsable des nominations, des promotions, des transferts et des procédures disciplinaires au sein de leurs branches respectives.

Quel est l’objectif de ce nouveau système ?

L'objectif affiché est de réduire l'influence des factions internes de l’Association nationale des magistrats (ANM), principaux groupes internes au sein du pouvoir judiciaire, souvent accusés d’influencer les nominations, et ainsi de rendre le système d'autogestion du pouvoir judiciaire plus indépendant des mécanismes électifs qui avaient suscité la controverse par le passé.

Pourquoi la réforme constitutionnelle est-elle le cheval de bataille du gouvernement ?

Les partisans (les partis de la majorité et le groupe centriste Azione) affirment que la réforme améliora la responsabilité et l’efficacité au sein du système judiciaire, et rééquilibrera les pouvoirs entre la politique et le pouvoir judiciaire tout en préservant l’impartialité.

Le mois dernier, la Première ministre Meloni a qualifié le projet de loi de moyen de « libérer le pouvoir judiciaire de la dégénérescence des factions internes ».

A l’issue du vote, le ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani (Forza Italia) a quant à lui salué « Une journée historique pour l'Italie. Un hommage à Silvio Berlusconi et à toutes les victimes d'erreurs judiciaires », a-t-il écrit sur X.

Et pour cause, d’une manière générale, le pouvoir italien considère les juges et les procureurs comme trop militants. Dans les années 2000, Silvio Berlusconi, ancien président du Conseil poursuivi dans de nombreuses affaires, fustigeait les “juges rouges” dont il était selon lui une victime politique. L’ancien Cavaliere a consacré une part importante de son activité politique à la réforme de la justice.

Deux décennies plus tard, Giorgia Meloni, elle aussi en désaccord avec le système judiciaire du pays, a fait de la réforme de la justice son cheval de bataille. La Première ministre a déjà ouvertement accusé les magistrats de bloquer les priorités de son gouvernement. Parmi les derniers contentieux en date : un jugement rendu le 30 janvier dernier considérant comme illégale la mesure du gouvernement instituant des centres de réfugiés en Albanie.

 

Pourquoi la réforme de la justice devient-elle une bataille politique ?

La réforme est critiquée par les juges et les procureurs qui y voient une menace pour leur indépendance. Les magistrats sont soutenus par l’opposition, qui dénonce une stratégie autoritaire du gouvernement.

Quelques secondes après l’annonce du vote du sénat jeudi, les sénateurs de l’opposition ont brandi à l’unisson des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : “Non aux pleins pouvoirs”.

“L’objectif de cette réforme est d’affaiblir l’indépendance de la magistrature et de permettre à ceux qui commandent de choisir leurs propres juges”, s’indignait Elly Schlein, secrétaire du Parti démocrate (centre gauche) dans le cadre d’une conférence de presse organisée après le vote.

Matteo Renzi (Italia Vivia), bien qu'étant « favorable à la séparation des professions », critique néanmoins « une réforme constitutionnelle qui n'est guère plus qu'un drapeau » et qui « ne résout aucun des problèmes de justice ».

La prochaine étape ? Un référendum de confirmation

Suite au vote favorable du Sénat, le projet de loi constitutionnelle a été définitivement approuvé par le Parlement. Toutefois, pour entrer en vigueur, il doit être confirmé par référendum. Le gouvernement prévoirait d'organiser cette consultation citoyenne au printemps 2026. Ce n'est que si les électeurs l'approuvent que la réforme sera promulguée. Contrairement au référendum d'abrogation, aucun quorum ne sera requis. La loi sera considérée comme approuvée si elle recueille la majorité des suffrages valides exprimés.

 

Que pensent les Italiens de la réforme de la justice aujourd’hui ?

Selon les sondages, si le référendum constitutionnel sur la réforme de la justice avait lieu aujourd'hui, c’est le « oui » qui l'emporterait, à 70%. D'après le dernier sondage réalisé par Izi, cabinet d'analyse et d'évaluation économique et politique, la majorité des électeurs (57,8 %) admettent ne pas connaître les détails de la réforme judiciaire, tandis que 70,9 % des électeurs les mieux informés y sont favorables et 21,9 % y sont opposés.

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