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Faillite, aides insuffisantes… les expats entrepreneurs à l’asphyxie

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Écrit par Déborah Collet
Publié le 14 juin 2020, mis à jour le 17 juin 2020

Les entrepreneurs français à l’étranger ont été les grandes victimes mais aussi les grands oubliés de la crise. Pendant combien de temps pourront-ils encore tenir dans ces conditions ? lepetitjournal.com a récolté les témoignages des entrepreneurs expatriés pour connaître les répercussions de la crise sanitaire sur leur activité.

Les entrepreneurs français à l’étranger ont subi les conséquences de la crise de la Covid-19 de plein fouet. Pour certains, hors de question de lâcher prise : il faut continuer à innover, adapter ses offres et services pour réinventer en permanence la relation client. Cependant, la majorité des entrepreneurs français, n’ayant ni obtenu d’aides locales ni d’aides de l’État français, se sentent complètement délaissés. Face à un avenir incertain, la tentation de quitter le navire est forte en attendant des vents plus favorables.

Des entrepreneurs à bout de souffle

Pour les dirigeants d’agences de voyages francophones à l’étranger, la crise sanitaire a été une descente aux enfers : annulations de voyages avec remboursement, reports de voyages et organisations du rapatriement des clients déjà sur place. Un cadre d’une agence au Vietnam témoigne"Les nouvelles ventes ont chuté de plus de 50% pendant les deux premières semaines de février. Ensuite, elles sont légèrement reparties à la hausse, car il n’y avait plus de nouveaux cas. Mais au début du mois de mars, elles ont rechuté de façon encore plus brutale qu’avant." Certaines agences ont dû mettre en place des systèmes de temps partiel, ont eu recours au chômage technique, tandis que d’autres n’ont pas eu d’autres choix que de licencier du personnel. 

Coraline, co-fondatrice de la guesthouse Bed&Chai à New Delhi, reste perplexe quant au retour du tourisme en Inde. Elle explique que ses clients, notamment après les premières annonces d’annulation de visas pour les touristes européens, ont annulé leur séjour dans la capitale indienne. Pour augmenter la visibilité de l'entreprise sur les agrégateurs, l’entrepreneuse a choisi de baisser les prix des hébergements. Le futur de Bed&Chai est menacé, car "attirer la clientèle business indienne habituée à des hôtels plus classiques ne va pas être facile" et si les loyers ne sont pas payés, Coraline sera obligée de mettre la clé sous la porte.

 

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Bed&Chai.

 

Des restaurateurs, faute de moyen et de temps avant l’arrivée de la pandémie de Covid-19, n’ont pas eu la chance d’adopter un plan B. Stéphane Viano, responsable de La Brioche Dorée à Copenhague, encaisse le coup en expliquant la complexité du système de livraison notamment "lorsqu’il faut faire face dans le même temps à la réduction de quasiment tout son personnel." La dirigeante s’inquiète pour l’avenir de sa boulangerie :  "Dans la période du 11 au 21 mars, pour donner un exemple, la Brioche Dorée, qui se trouve dans la Halle 2, a perdu 70 à 80% de son chiffre d’affaires et ce chiffre est certainement commun à beaucoup des commerces de la Halle 2."

Le chiffre d’affaires des entrepreneurs français présents à l’étranger a dégringolé en peu de temps. Albin Deforges, multi-entrepreneur et dirigeant de plusieurs restaurants à Hô Chi Minh-Ville, a perdu plus de la moitié de son chiffre d’affaires toutes activités confondues. Le restaurateur explique que malgré les clients habituels "essentiellement constitués d’expats" et "malgré de bons chiffres le week-end" il a dû fermer son restaurant "Fresh Catch", car les charges portaient trop lourd sur ses épaules.

 

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Albin Deforges, gérant du restaurant Fresh Catch.

 

Quant à Christophe Bonzi, dirigeant son propre restaurant "Ô’Thentic" au Myanmar, il a proposé des services de livraison et une nouvelle carte de traiteur avec des raviolis, des quiches et des gâteaux faits maison durant le confinement. Mais cette nouveauté n’a pas suffi à combler les pertes financières. Depuis, le restaurant a rouvert mais la clientèle se fait rare. D’après Christophe Bonzi, les Birmans ont peur de se rendre en salle et près de 60 % des expatriés de toutes nationalités confondues sont rentrés dans leur pays. Ce restaurateur est conscient qu’il ne retrouvera pas de si tôt son chiffre d’affaires du mois de janvier ou de février.

 

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Le restaurant l’Ô'Thentic, en plein cœur de Yaw Min Gyi.

 

Des aides locales insuffisantes

Certains entrepreneurs sont aux abois, tandis que d’autres savent qu’ils pourront tenir quelques mois, à condition seulement d’obtenir, par la suite, une aide financière pour relancer la machine. En Espagne, plusieurs restaurateurs, mais aussi hôteliers se sont ralliés autour du hashtag #salvanuestroempleo. ("#Sauvez notre emploi") Mika Lasne, restaurateur français de la Taberna Gastronòmica Cu-Cut situé à Barcelone a poussé un cri d’alerte, en demandant le rassemblement de la profession, pour contrer les mesures adoptées par l’État espagnol, jugées insuffisantes : "Aujourd’hui, la véritable question qui se pose, c'est de savoir comment affronter les charges qui continuent à peser sur nos commerces, comme le loyer, alors que nous ne pouvons percevoir aucun revenu".

 

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#salvanuestroempleo: le cri d'alerte d'un restaurateur français de Barcelone.

 

Pour faire face à l’absence de revenus, certains entrepreneurs français ont dû piocher dans leurs économies personnelles. C’est le cas d’une architecte d’intérieur qui témoigne que le secteur de la construction souffre beaucoup de cette crise : "chantiers arrêtés, projets avortés ou encore frilosité des investissements à venir." L’entrepreneuse espère ne pas devoir mettre fin à son activité : "La diminution de mon chiffre d’affaires de plus de 70% entre mars 2019 et 2020 n’a pas suffi pour obtenir une aide espagnole. Il aurait fallu que mon revenu de mars 2020 soit inférieur à 900 euros, un montant irréaliste si on connaît le coût de la vie à Barcelone. Aucune aide n’a ensuite été prévue pour les mois suivants." La seule possibilité qui s’offre à elle est de demander le report des charges, mais elle pense que "c’est un peu « reculer pour mieux sauter » car nous ne serons pas exonérés."

À New York, Yvan Bedouet, cofondateur de Pistache, une cuisine professionnelle offrant des créations à la fois salés et sucrés a dû fermer ses portes et l’ensemble de ses prestations ont été suspendues. L’entrepreneur nous a confié que la crise sanitaire aurait principalement deux effets négatifs sur son activité : "Les entreprises auront moins d’argent pour investir dans des soirées cocktails et les personnes auront moins envie de se retrouver à plusieurs dans une même pièce." L’entreprise a réussi à bénéficier du PPP "Paycheck Protection Program" aux États-Unis : "Nous pouvions être éligibles pour une somme d’argent très précise qui était égal à 2,5 fois la masse salariale mensuelle de 2019. Par exemple, si vous aviez une masse salariale de 20 000 dollars par mois, vous pouviez postuler pour un prêt de 50 000 dollars." a expliqué Yvan Bedouet.

 

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En Nouvelle-Zélande, les frontières restent fermées et le gouvernement tend vers un objectif de zéro cas de contamination. Franck Lemaitre, co-fondateur et directeur de l’agence Once Upon a Trip, est inquiet, car 100% de son activité repose sur la venue de visiteurs étrangers. Il nous a précisé : "Nous passerons le cap de la crise à partir du moment où les îles seront incluses dans la "bulle de voyage", favorisant une ouverture des frontières entre deux pays, comme ce que les gouvernements australiens et néo-zélandais essaient de créer." L’entrepreneur déplore l’aide attribuée par le gouvernement de 585 dollars néo-zélandais par semaine et par salarié (équivalant à 350 euros), sachant que le salaire minimum est à 750 dollars néo-zélandais. "Le gouvernement voudrait qu’on complète l’aide fournie pour atteindre le salaire minimum ou idéalement arrivé à 80 % du salaire initial de nos salariés, or, nous n’avons pas de rentrées d’argent et nous devons toujours payer des charges fixes." a-t-il affirmé.

 

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French Pass - Marlborough Sounds. Once Upon a Trip

 

Qu’en est-il des aides de l’État français ?

Les 240 millions d’euros débloqués à destination des Français de l’étranger ne sont pas directement destinés aux entrepreneurs français à l’étranger. Seraient-ils les "grands oubliés" du système français ? Triste constatation pour la députée LREM de la 11e circonscription des Français de l’étranger, Anne Genetet, qui nous a affirmé : "Si nous perdons ces entrepreneurs français, nous avons une chaîne de valeur soit en attractivité ou soit en production qui peut s’écrouler. C’est aussi une chaîne de PME qui se retrouve fragilisée en France." Les chambres de commerces, entreprises de droit local dirigées par des Français sont, elles aussi, au bord de la faillite. Anne Genetet a déclaré : "Si nos chambres de commerce disparaissent c’est tout un outil de coworking, de mise en place de formalités administratives et de demande de visa de travail qui disparaît."

Dans une tribune du Club France Initiative, intitulée “Il faut sauver nos entrepreneurs à l’étranger”, Anne Genetet, l’ambassadeur de France Jean-Maurice Ripertet et 13 autres membres interpellent le gouvernement sur l’importance de la création d’un plan d’aide à destination des entrepreneurs français à l’étranger. La députée estime que ces aides financières sont nécessaires et reposent sur peu de choses : "Par exemple, aux Philippines, il y a un importateur de matériels électriques qui m’a confié qu'il aurait juste besoin que son fournisseur français accepte de lui faire un délai de paiement. Or, ce fournisseur en France a reçu des aides de l’État français."

Afin de remédier à ces difficultés financières, Anne Genetet nous a confié qu’elle préparait une proposition de loi visant à définir un Label des entrepreneurs français à l’étranger. Selon la députée, il est primordial de donner une définition précise de ce qu’est un entrepreneur français puisqu’il y a plusieurs catégories d’entrepreneurs. Ce Label des entrepreneurs français à l’étranger leur permettrait d'être éligibles à une aide de l’État français.

Olivier Cadic, sénateur représentant les Français établis hors de France, a, quant à lui, proposé la mise en application de deux propositions pour venir en aide à ces entrepreneurs français à l’étranger. La première reposerait sur le reversement d’une partie du partage de risque (dispositif Ariz), offert initialement aux institutions financières locales (en Asie, en Afrique et en Amérique) à destination des entrepreneurs français. La seconde est de créer un fonds de soutien en France administré par la CCIFI (CCI France International) et les CCEF (Les conseillers du Commerce extérieur de la France). D’après l’édito d’Olivier Cadic, "ce fonds pourrait être garant d’emprunts réalisés par des entreprises françaises à l’international, également sur la base d’une gestion des dossiers par les structures locales des CCIFI et des CCEF." Le sénateur estime qu’il renforcerait le tissu des entreprises françaises implantées à l’international. 

 

Préparer l’avenir, rester optimiste et innover

Pas prêts à mettre la clé sous la porte, les entrepreneurs français ont développé des stratégies innovantes pour consolider l’avenir de leur entreprise. De nombreux entrepreneurs français ont souhaité dans un premier temps rassurer leur clientèle et être auprès d’eux. En Andalousie, Virginie, fondatrice d’une agence de voyages, "Andalucia Aficion Voyages"  a déclaré "Je me dois en tant que directrice d’une agence de voyages de rassurer mes clients et leur expliquer les choses." Laurène Hamilton, guide touristique installée dans un quartier new-yorkais, a choisi d’accompagner ses clients dans leurs démarches : "C’est un coup dur pour le business, mais ça crée du lien encore plus fort avec mes clients, qui viendront visiter la ville, plus tard."

 

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Andalucia Aficion Voyages.

 

"Ressortir plus fort de la crise" tels sont les mots de Michel Huguenin, à la tête de Planitswiss, un fournisseur de solutions événementielles à Singapour. Pendant le confinement, cet entrepreneur a développé différents services innovants et "un mode de fonctionnement et d’accompagnement qui met le client au centre de nos actions." Guillaume Chabrières, finaliste du Prix Entrepreneur des Trophées des Français d’Asie et Océanie 2019 et fondateur de ChabEvents a affirmé que la culture de l’entreprise était très importante en cette période de trouble, pour que "les personnes interagissent, se rencontrent, travaillent ensemble comme une communauté."

 

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@Planitswiss.

 

Livraison à domicile, vente à emporter et nouveaux packagings, les restaurateurs ont diversifié leurs offres pendant le confinement. C’est le cas de Sasha et Jonas, deux jeunes entrepreneurs à la tête du restaurant Paris Sorbet de Jakarta qui ont commencé par développer la livraison, tester leurs produits et adapter leurs packagings pour que le take-away puisse se faire sans détérioration : "Nous avons pu parier sur notre savoir-faire de conservation de la glace. Elle tient une heure sans problème avec la solution que nous avons trouvée." Jeremy Damloup, multi-entrepreneur, expatrié depuis 2013 au Myanmar possède trois sociétés qui ont été touchées de plein fouet par la crise sanitaire. Début février 2020, il a démarré un nouveau projet de produits faits maison avec des ingrédients 100% naturels "KaLu Naturals.

Willy Stevens, expatrié depuis 12 ans à Surabaya, en Indonésie, dirige une usine de maroquinerie. Pour permettre à ses 120 employés d’avoir un salaire à la fin du mois et faire face aux commandes suspendues dues au confinement, l’entrepreneur a choisi de transformer sa ligne de production pour fabriquer des masques.

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Un autre entrepreneur, amoureux du vin, Aymeric Guespereau, a profité de "cette pause" pour tester de nouvelles offres et produits pour sa marque Vin Fra Loire afin de faire face aux "annulations en cascade" d’événements et de commandes de vins.

Le confinement : un impact positif sur leur activité ? 

La crise n’a heureusement pas fait que des malheureux. Hausse des commandes, des investissements, ajustement des prix… durant le confinement, les besoins de chacun ont évolué, favorisant l’expansion de l’activité de certains entrepreneurs français. À Malaga, Jean Manuel Saura, architecte franco-espagnol et dirigeant de la Saura Arquitectos, a travaillé depuis chez lui. Il se considère comme un entrepreneur "chanceux" car grâce à sa profession, il a pu prévoir les plans de construction de ses clients depuis son ordinateur. Marion, gérante de Kulile, une marque de mobilier personnalisable dans la région de Porto, atteste que le confinement a été bénéfique pour son activité : "Les gens sont chez eux, avec l'envie et le temps de repenser leur intérieur. Et surtout, avec un vrai besoin, celui de s'organiser un espace de travail bien à eux. Il y a donc eu plus de ventes de bureau sur le site que les mois précédents."

À Lisbonne, Jean-Luc, responsable d’un cabinet de conseil "Envie de Lisbonne" pense que "la bulle immobilière doit exploser pour revenir à des prix plus adaptés au vrai niveau de vie local." Selon lui, cette crise sanitaire permettrait de rajuster les prix de locations et de ventes des biens dans la capitale portugaise. Il affirme que "les projets d'installation au Portugal vont repartir de plus belle et ceci d'autant que les prix de l'immobilier locatif et les prix de pierre peuvent baisser. Lisbonne gagnerait alors en attractivité."

Bien qu’en difficultés, les entrepreneurs français ont fait preuve d’adaptation et d’ingéniosité pendant le confinement. Comme l’a souligné Emmanuel Deleau, co-fondateur de La Peña Business Club, un réseau international d'entrepreneurs à Barcelone : "Le propre d'un entrepreneur, c'est de ne pas se laisser abattre par les circonstances et de faire preuve de cette capacité de résilience qui lui permet de surmonter les épreuves."

 

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