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La résilience des entrepreneurs franco-new-yorkais face à la pandémie

New York coronavirus entrepreneursNew York coronavirus entrepreneurs
Rockefeller, cet après-midi
Écrit par Rachel Brunet
Publié le 17 mars 2020, mis à jour le 18 mars 2020

Rassemblements limités à 10 personnes, premier couvre-feu imposé dans l'Etat du New Jersey, ralentissement inédit de métropoles comme New York, Chicago, Los Angeles: les Etats-Unis s'alignent sur les mesures drastiques prises par certains pays européens face au coronavirus.

À New York comme ailleurs, les citoyens ressentent les effets de la propagation de l’épidémie de coronavirus. Dans la ville aux 8 millions et demi d’habitants, le rythme change et la vie avec. Le confinement commence à être abordé par le maire de la ville.

Comment s’adaptent les entrepreneurs francophones de New York ? Nous sommes partis à leur rencontre.

 

Tout par internet 

À Brooklyn, Jennifer Mazigh, professeure de français, nous explique que désormais, tous les cours se font par skype « à la demande de ses élèves » qui sont tant des enfants que des adultes. La Franco-Américaine a vu sont chiffre d’affaire baisser de 25 %, « je ne m’en sors pas trop mal, pour l’instant, même si je suis impactée, je n’enseigne plus à mes élèves les plus aisés dont les familles sont parties dans les Hamptons ou upstate et qui se sont un peu coupés du monde ». Son élève la plus âgée a aussi renoncé aux cours à distance, trop compliqué pour elle.

Dans son quartier de Prospect Heights, la vie change et se calme peu à peu. Hier, comme partout dans New York, les restaurants ont fermé et le rythme a ralenti. « Je suis passée chez Ovenly sans savoir qu’ils allaient fermer, ils étaient très généreux et distribuaient leurs gâteaux aux clients ». Et de rajouter, en bonne française « mon marchand de vin est toujours ouvert, mais jusqu’à quand ? Le problème est que nous ne pouvons rien anticiper ». La crainte de Jennifer, qu’internet sature, même si elle continue de garder un semblant de vie extérieure, pour elle, le virtuel reste tant un outil de travail qu’un lien très fort vers ses proches.

 

Complètement à l’arrêt

À quelques stations de métro - qui fonctionne quasiment à vide - la situation est plus compliquée pour Laurène Hamilton, guide touristique installée avec son mari et leurs deux jeunes enfants à Carroll Gardens. « On apprend à réorganiser la vie » est la première chose que nous lâche la jeune femme. « Mon activité de guide est complètement à l’arrêt ». Ses clients, à large majorité des Français, ont tous reporté ou annulé leur séjour à New York. Laurène met donc une casquette plus administrative en accompagnant ses clients dans leurs démarches. « C’est un coup dur pour le business mais ça crée du lien encore plus fort avec mes clients, qui  viendront visiter la ville, plus tard ».

En attendant, la jeune maman s’organise avec deux enfants en bas âge à la maison. Et le système de visioconférence est primordial, même pour son fils de 4 ans qui recrée, derrière un écran, la routine de la crèche.

« Ce qui m’a le plus frappé dans le quartier, c’est l’entraide entre les gens, hier soir, en sortant, j’ai vu des affichettes, une personne qui propose de faire des courses pour des personnes âgées ». L’esprit de New York... Il y a quelques jours, le maire martelait la résilience des new-yorkais et la capacité de bienveillance, entre concitoyens, vérifiée plus d’une fois dans l’histoire de la ville.

Pour Laurène, finalement, la chose la plus positive de cette crise est une vie de famille moins stressante « je vois davantage mon mari qui travaille désormais depuis la maison, nous avons le temps de prendre nos repas ensemble, et je fais des choses avec les enfants que je ne fais absolument jamais, hier par exemple, nous avons fait de la peinture ».

Coronavirus new york

photographie par Laurène Hamilton à Carrol Gardens

 

#NoCoronaYesArt

S’adapter, c’est aussi ce que fait Gaëlle Hintzy-Marcel, la sculpteure possède son atelier à la Art Student League, fermé depuis jeudi matin dernier « c’était une ambiance assez particulière, tous les artistes sont arrivés, certains avec des valises, pour récupérer des oeuvres, du matériel ». Et de rajouter « certaines de mes sculptures sont trop grosses et je n’ai pas pu les emporter ». Depuis, l’artiste qui vit avec sa famille dans l’Upper West Side sculpte dans son jardin « bon aujourd’hui, il pleut, alors j’ai improvisé avec une grande bâche » dit-elle amusée. Finalement, le sens de l’humour résiste.

L’Art Student League fermée, le lien entre les artistes se fait plus fort, notamment sur Instagram via les hashtags #nocoronayesart et #artapart. « Chaque jour, via instagram, nous pouvons participer à un programme de création et les partager sur les réseaux sociaux, ce qui est super sympa ». La mère de famille s’adapte entre son art et celui d’être la maman d’enfants qui suivent désormais le programme scolaire en mode « école à la maison ». Une fois les devoirs terminés, c’est entraînement de foot, en solo bien sûr, dans Central Park.

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L’artiste Gaëlle Hintzy-Marcel sculpte dans son jardin de l’Upper West Side

 

L’industrie de luxe continue

À quelques blocs au sud du parc, la boutique Petrossian continue de recevoir ses clients « bien que l’espace restaurant soit désormais fermé » précise Serguei Aver, le directeur de la boutique. Comme tout le monde, la célèbre maison de caviar s’adapte et propose des commandes en ligne et un système de livraison qui séduit les clients. Ils sont toujours présents, sans doute que les produits de luxe apportent un petit réconfort en cette période délicate. Serguei note au passage que les commandes sont plus conséquentes qu’il y a encore quelques jours. Finalement, tout ne va pas si mal.

Lui aussi s’adapte, notamment dans ses déplacements «  hier il faisait beau, alors je suis allé travailler à vélo, aujourd’hui, je dois prendre le métro, mais franchement, il est vide ».

Le Franco-suisse est aussi investisseur de la boulangerie Sweet Rehab, ouverte il y a peu à SoHo. Là aussi, la partie restauration est close, et le commerce développe plus que jamais le système de livraison.

 

+ 800 %

Midtown, Eddie Le Garrec, fondateur de Empire State of Wine reste incrédule devant l’afflu de clients « on se fait dévaliser ». On le dit en plaisantant « les new-yorkais se ruent sur le vin comme ils se jettent sur le papier toilette ». Alors que la France s’interrogeait il y a quelques jours afin de savoir si les cavistes étaient considérés comme commerce de nécessité - ce qui a été confirmé - ici force est de constater que les new-yorkais font des réserves de vin « hier, nous avons du réapprovisionner trois fois notre corner « under $15 » confie le Français. Mais pas que ! Si les bouteilles s’envolent, depuis que la fermeture des restaurants a été annoncée, les clients se font davantage plaisir avec des bouteilles plus chères. Manifestement, ils continuent de consommer, mais autrement...

« Les clients peuvent commander en ligne et soit se faire livrer pour $5, soit venir récupérer leur commande à la boutique. Ceux qui le font entrent, prennent leur commande et repartent très vite ». Preuve que beaucoup ne souhaitent pas s’éterniser dans un commerce. C’est avec beaucoup d’humilité, et de compassion pour les autres entreprises durement touchées, que le Français reconnaît que les ventes augmentent, mieux, s’envolent littéralement. Ce mois-ci, Empire State of Wine enregistre plus de 800 % de ventes. Un véritable record sans doute à la hauteur du réconfort dont ont besoin les habitants de ville qui ne dort jamais, mais qui commence tout de même à sommeiller.

 

Le frein à main s’est bloqué

Le traiteur Pistache, basé à Brooklyn et prestataire de très nombreux cocktails et événements new-yorkais, a de son côté pris la décision de suspendre l’activité jusqu’à ce que la ville se remette en route. « Nous travaillons beaucoup avec des institutions diplomatiques. Il y a deux semaines, nous avons constaté que les politiques commençaient à annuler leurs voyages à New York, et nos commandes ont commencé à être reportées » explique Yvan Bedouet, co-fondateur. Et de rajouter « puis ce sont nos clients privés qui ont commencé à annuler ou décaler leurs réceptions. Notre carnet de bal s’est vite retrouvé vide ». La semaine dernière, le trio à la tête de Pistache prend donc la décision de continuer à assurer seulement les commandes à emporter et de mettre leur personnel en vacances. « On leur a donné un bonus et nous leur donnerons un bonus de retour quand ils reviendront ».

Entre temps, Bill de Blasio annonce la fermeture des écoles et c’est par « geste citoyen que mes associées ont décidé de stopper les livraisons, afin d’éviter le contact et donc la possibilité de contamination » relate l’entrepreneur.

Pistache, qui comme beaucoup de business, connaissait un début d’année en trombe a, brutalement, du arrêter sa course « nous étions à 180 kilomètres heure et d’un coup, le frein à main s’est bloqué » image l’ancien trader. Depuis, l’activité de Pistache se résume à de la gestion administrative.

 

Les new-yorkais s’adaptent, changent de rythme, avec une même conviction, le business repartira et tout le monde se relèvera. Dans un pays comme les États-Unis, se relever est de toute façon vital.