En novembre dernier, Guillaume Chabrières était l'un des Finalistes 2019 du Prix Entrepreneur des Trophées des Français d’Asie et Océanie organisés par Lepetitjournal.com. Créé il y a 6 ans à Singapour, ChabEvents comptait alors plus de 500 projets délivrés à Singapour, mais aussi en France, Indonésie, Vietnam, Australie, Bhoutan… Le nombre total d'invités à ces différents dîners, voyages d’entreprise ou lancements de produit dépassait les 125.000 avec plus de 50 employés, et des bureaux principaux à Singapour, mais également à Bali, au Cambodge et depuis 3 ans à Paris. Le Covid-19 est passé par là, qu’en est-il aujourd’hui ? Rencontre avec Guillaume Chabrières et Alexis Lhoyer pour évoquer la crise pandémique qui a frappé de plein fouet le secteur de l’événementiel, et le lancement d’une nouvelle branche ChabLab avec des solutions événementielles hybrides.
Bonjour Guillaume et Alexis, quelle est la situation actuelle dans votre secteur professionnel et chez Chab Events?
Guillaume : La réaction s’est tout de suite fait sentir en Asie et de façon assez violente. L’événementiel a été le premier secteur touché. Tout le monde s’est mis en stand by. Fin janvier, début février, j’étais en France avec Louis notre associé sur place. Alexis était à Singapour et a commencé très tôt à sentir le vent tourner. Et fin janvier, on s’est pris une première annulation, quasiment un demi-million de dollars. A mon retour, nous avons pris deux jours de réflexion pour mettre en place les premières mesures.
Avec quelles conséquences en terme de chômage partiel, de réduction d’effectifs ?
Guillaume : Dans notre boite, on a eu plusieurs vagues de mesures. La première décision a été de tout de suite se serrer la ceinture : on a arrêté toutes les dépenses qui n’étaient pas de premier ordre pour le bon fonctionnement de notre agence, comme par exemple les snacks des employés, tout ce qui relevait du confort. En un trimestre, on n’a pas délivré d’événement, on a pu en placer un ou deux entre les tirs, mais on a perdu 95% de notre business… Dès le mois de février, on a passé tout le staff au 4/5ème, en se disant qu’avec un peu de chance en avril le business allait repartir. On a une équipe super soudée, avec une culture d’entreprise assez puissante et une énorme loyauté. 100% des gens ont accepté les mesures qu’on leur a proposé, ça a permis de ralentir un peu l’hémorragie.
Alexis : On a dû malheureusement aussi laisser partir quelques personnes, mais ça nous a permis de réadapter notre cash flow et nos dépenses, pour voir venir et garder une société stable. On n’a pas le choix, on a du prendre des décisions difficiles très vite, pour essayer d’assurer la pérennité de la société sur le long terme. On est encore dans une position, non pas sereine mais acceptable, qui nous permet de nous projeter jusqu’en décembre, alors que d’autres boites sont déjà en train de déposer le bilan ou de licencier du monde.
Guillaume : On a lancé une campagne de training en interne. Quand on est passé au 4/5ème, on a pris un engagement auprès de nos employés : on continue de vous payer quatre jours car c’est le minimum vital dont vous avez besoin, mais un jour par semaine vous êtes obligés de « retourner à l’école ». Et c’est canon ! On a mis en route toute une série de trainings qui sont dans le domaine du digital, ou d’autres applications. On investit sur notre staff, ils adorent ça, ils rajoutent des skills à leurs savoirs. Si on investit pour les garder, autant investir pour les rendre meilleurs ! A Singapour on n’a pas toutes les aides du chômage partiel en France, ici c’est beaucoup plus violent, agressif. Pour garder un maximum de staff et traverser cette crise, ça coûte énormément d’argent. Ce n’est pas le plus grave, l’argent ca va ca vient. L’important, c’est de garder tout ce qu’on a construit et ça passe par l’humain.
Et dans cette perspective, comment rebondir ? Comment se réinventer pour surmonter la crise ?
Alexis : C’est une période intéressante ! Une phrase que j’aime beaucoup (qui n’est pas de moi malheureusement) : « Quand on a un problème et une solution, il n’y a pas de problème. Quand on a un problème et pas de solution, il n’y a pas de problème non plus, il suffit juste d’accepter la situation. » Et c’est un peu le cas dans lequel on est aujourd’hui, les ventes ont disparu, le travel aussi, que fait-on ? On s’est tourné vers des choses que l’on faisait depuis longtemps, mais sur lesquelles on n’avait pas beaucoup poussé, et c’est de là qu’est venu « ChabLab », notamment le digital. On avait commencé à travailler avec Guillaume depuis 2017 sur une idée originale, on avait fait des premières expériences de réalité virtuelle pour DHL à l’époque, et on a complété avec tout un tas de clients depuis, avec ce qu’on appelle la réalité mixée : intégrer des éléments virtuels dans ton environnement. On a commencé à travailler un peu plus là-dessus, pour mettre un gros focus sur le digital. Typiquement, avant on avait le digital au service de l’événementiel et aujourd’hui on a une inversion de tendance avec l’événementiel au service du digital. On met toute notre expérience en tant qu’agence, notre expertise, pour créer de l’engagement, auprès des employés ou des clients de nos clients, pour garder un certain niveau de motivation et d’engagement.
Guillaume : On a toujours la branche événementielle et la branche travel, on pense que ca va repartir, mais il faut attendre. Avec ChabLab, l’intérêt c’est de monter une nouvelle branche. Il y aura toujours besoin pour la culture d’entreprise que les gens interagissent, se rencontrent, travaillent ensemble comme une communauté. Notre stratégie est de pousser ChabLab à fond pour montrer ce qu’on sait faire à nos clients, et aussi aller gagner d’autres clients. Aujourd’hui, il y a de nombreuses personnes à des postes clés dans les entreprises, qui se disent : "Comment va-t-on faire demain ? Comment va-t-on organiser notre conférence annuelle, que l’on fait depuis 40 ans à Phuket, avec les mêmes mecs, alors qu’on ne peut pas aller à Phuket ? Comment va-t-on faire pour lancer ce produit maintenant, alors qu’avant on avait un event génial en louant le Ritz ?" A nous d'apporter une réponse innovante.
Quels sont les éléments déjà développés ? Comment les exploiter ? Comment mettre en place ce tournant dans la société ?
Alexis : Le know how on l’avait déjà, car au final si je dois redéfinir notre cœur de métier, on n’était pas que sur de l’événement, on était sur « créer de l’émotion et de l’engagement. » Avec l’objectif, soit d’engager les employés pour les motiver, sur des diners de fin d’année ou d’autres types d’événements, soit d’engager les clients pour leur présenter des produits, que ce soit dans l’industrie du luxe, dans le BTP ou l’agro alimentaire. Et du coup, les faire rentrer dans l’expérience et l‘univers de ces marques. Aujourd’hui, ces pistes là sont aussi applicables au digital.
Avant, quand le digital était au service de l’événement, il y avait moins besoin de se poser la question « Comment générer de l’émotion au niveau digital ?», car il y avait du présentiel. Aujourd’hui, et pendant les prochains mois, le physique a disparu, ça a ramené cette question clé au centre de la création des expériences. C’est notre cœur de métier : créer ces émotions, ces expériences, et du coup on l’a mis au service du digital. On a dû former en interne nos équipes aux outils techniques. C’est la réalité virtuelle versus la mix reality, ou les plateformes techniques pour faire du live stream et de la conférence digitale. Ce sont des outils qui existent depuis un certain temps. Comment faire pour que demain si je suis un grand patron ou un managing director d’une boite de BTP ou de logistique, je garde mes 1000 employés, qui travaillent disons à 50% à la maison, et que je les garde tous motivés, avec l’impression de faire partie de la même boite, et la même culture…
Un exemple pratique, concret de ce que vous pouvez proposer à une entreprise pour leurs employés ou leurs clients ?
Alexis : Prenons l’exemple d’une conférence, on peut la transformer complètement en digital, avec des plateformes complexes, où les participants vont arriver sur un vrai site web, qui ressemble à un lieu de conférence, à un lieu engageant, sur lequel il va y avoir différents espaces virtuels. Et ça va permettre de recréer dans le digital l’expérience que l’on avait dans le présentiel. Pour aller dans une plénière, avec différents intervenants qui passent tour à tour, il va falloir les filmer, avec caméras haut de gamme en amenant du matériel audiovisuel chez le managing director ou chez le conférencier pour créer une belle qualité, c’est très important. La qualité retenue permet de garder l’attention des gens quand ils vont être derrière l’ordinateur pendant plusieurs heures.
On va pouvoir créer des salles additionnelles, qui vont être des endroits où on va pouvoir se retrouver pour discuter de sujets annexes même si la conférence principale continue de se dérouler. On va pouvoir aussi utiliser des outils liés au téléphone, et aux apps, de networking, en utilisant des nouvelles choses dans le domaine de l’intelligence artificielle. On va créer des liens automatiques entre les participants en fonction de leur localisation, de leur département …, avec toute la sécurité qui va avec. Pour que ces gens puissent se rencontrer, entre les temps forts de la conférence virtuelle et des intervenants. Nous on va aussi travailler sur la partie story telling et la logistique, parce qu’il faut s’assurer qu’on garde tous les gens engagés et motivés. Quand il va y avoir le speech de l’intervenant principal, ils vont vouloir poser des questions. Plutôt qu’avoir des mains qui se lèvent dans une salle, on va avoir une fenêtre qui apparaîtra avec trois questions que les gens pourront reprendre et du coup l’intervenant pourra réagir dessus pendant son speech en live. On peut imaginer tout un tas de choses autour du story telling. Et de la logistique. La gestion de la complexité de la logistique en tant qu’agence est de notre domaine, on est là pour aider le client. Pour faire en sorte que l’expérience du digital soit aussi fluide que ce que le client pourrait avoir en réel.
Guillaume : On a beaucoup d’autres exemples de ce qu’on peut faire avec le digital, mais l’organisation d’une conférence en virtuel est le plus fort qui peut parler au plus grand nombre. L’événementiel se bouge, on a clairement pris un tournant, on repense notre métier, c’est quelque chose de très intéressant. Cette histoire de conférence virtuelle, on la teste en France actuellement car on est en voie de déconfinement là-bas avec un retour positif d’entreprises qui demandent à faire des tests en live. Si des entreprises ont des conférences en vue, on ne sait pas quand ça sera autorisé, comment ça sera organisé, combien ça va couter ? Car pour la fin de l’année, toutes les salles sont déjà prises ! 1000 événements à venir pour 100 salles, ça va être un vrai chaos. … Sans parler des salles qui sont en train de mourir, car il n’y a plus de revenus. Ca va être très compliqué pour tous en fin d’année. Les entreprises et leurs employés doivent faire cette transition digitale pour que les messages continuent à passer, les échanges continuer à avoir lieu, et que l’histoire continue !
C’est une année clé pour les mariages, tout est déjà booké. C’est plus compliqué à organiser des mariages en digital ! Et ça tombe bien, car on n’est pas dans les mariages. :-) Mais on peut dire à nos clients, les salles sont occupées par les mariages, ce n’est pas grave, on va faire un truc cool et vous allez investir les sous d’une autre manière. On peut continuer à dérouler sa stratégie sans repousser les rêves à demain. Il n’est pas besoin d’attendre 2021 pour se réveiller. Avec Alexis, on a écouté les besoins de nos clients, la détresse de nos fournisseurs, de nos partenaires. Il faut le dire, car c’est très difficile en ce moment. Et on essaie de leur apporter une solution.
Comment voyez-vous l’avenir de ChabEvents après la crise ?
If Plan A didn't work, the alphabet has 25 more letters.
Alexis : Sortira-t-on un jour de cette crise ? On va y être pendant longtemps... Notre métier va probablement changer un peu moins sur la partie logistique de l’événementiel, il sera encore un peu plus sur la création d’expérience, un mix du présentiel et du digital, notre avenir est de mieux intégrer tous ces outils et toutes ces pratiques pour être des créateurs d’émotion. Et de l’expérience de demain. Un de nos concurrents l’a assez joliment dit : « On va sortir de l’âge de l’information, on va rentrer dans l’âge de l’expérience. » C’est là où ChabEvents sera demain. Que ce soit avec des outils digitaux, physiques, ou de communication, on sera des créateurs d’expérience.
Le mot de la fin ?
Guillaume : « Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort ! » Si on s'en sort à l'issue de cette crise, on sera sacrément balaise. Il y a plein de gens qui ont les yeux rivés sur nous. Beaucoup prennent souvent de nos nouvelles, parce que l’événementiel aujourd’hui est un peu un baromètre. C’est le premier secteur dont Macron a parlé en France, quand le Covid est arrivé. Il y a beaucoup de boites qui sont, dans le silence, en train de sombrer. Parce que tout le monde a envie de raconter quand ça va bien mais quand ca ne va pas, on se replie sur soi. L’entraide doit être au centre. On a un ami et mentor, Pascal Petitjean, qui nous appelle tous les trois jours. « Comment ça va ? J’aimerais bien faire un barbecue avec vous ! :-) » C’est chouette, parce que c’est un peu à l’ancienne. Dans cette interview, on parle futur et digital, mais d’un autre côté, les vraies valeurs, elles, existent depuis toujours et c’est de l’entraide. Le mot de la fin c’est de dire « C’est pas chacun sa merde, il faut qu’on s’aide, il faut se serrer les coudes, qu’on échange des tips, qu’on avance ensemble », et Pascal nous l’a bien montré. C’est un « ancien », un bonhomme qui vend de la lumière depuis 30 ans à Singapour. Je pense vraiment qu’on a beaucoup à apprendre de lui.
Avec Alexis, on est assez convaincu qu’une stratégie digitale ne remplacera jamais une stratégie à l’ancienne. Les gens avec qui on a parlé sur plusieurs continents nous l’ont tous dit : « Les stratégies les plus successful appliquées par les sociétés sont celles qui ont su trouver le bon mélange entre le digital et le réel. » Aujourd’hui on va avoir un fort taux d’implémentation de digital car les gens n’ont pas le choix, et demain il faut vraiment qu’on arrive à expliquer aux gens que ça va être un mélange des deux. On sera toujours là pour apporter le physique et le virtuel. Il faut que les entreprises soient prêtes à jouer sur les deux tableaux. On sera là pour ça. Et c’est comme ça qu’on va tous s’entraider !
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