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François Martineau, chanteur français en Pologne « Je recherche l’authenticité »

Arrivé en Pologne depuis plus de 10 ans grâce à une fourchette lancée sur une carte, le chanteur français, François Martineau se livre avec authenticité et générosité sur son parcours, son passage à l'émission télévisée, "Mam Talent", son lien avec les artistes qui l'inspirent et nourrissent son répertoire : Charles Aznavour, Wojciech Młynarski, Jacques Brel et Czesław Niemen, son rapport aux textes, tant en français, qu'en polonais...

François Martineau François Martineau
Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 6 juillet 2025, mis à jour le 7 juillet 2025

 

Lepetitjournal.com Varsovie : Vous venez de vivre un vrai marathon de dates de concert, comment vous sentez-vous ? 

François Martineau : J’aime bien quand il y a beaucoup de choses à faire, j’ai fait huit concerts en cinq jours. Après le concert pour FLEvolution à Gdańsk, je suis allé à Gdynia, Kwidzyn, Bydgoszcz, Leszno, Tworóg, et Katowice. Mais j’aime bien ! C’est aujourd'hui la première journée où je suis au calme. 

C’était une belle expérience de jouer pour des étudiants dans le cadre de FLEvolution, je l’ai déjà fait à l’Université Jagellonne de Cracovie - Uniwersytet Jagielloński ; c’était bien de jouer pour des personnes qui comprennent le français. En général, j’ai souvent affaire à un public polonais qui aime le français, mais ne le comprend pas. Et là, les spectateurs étaient particulièrement réceptifs

 

François Martineau et FLEvolution

 


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Est-ce que c’est vrai que c’est grâce à une fourchette que vous êtes arrivé en Pologne. Pouvez-vous nous expliquer ? 

C’est la vérité, il n’y a pas de métaphore ! 

J’avais fait un volontariat pendant un an et demi en Afrique, au Sénégal. Sur place, je me suis rendu compte que j’étais doué pour les langues. J’avais appris facilement le dialecte, le wolof, qui était nécessaire pour communiquer avec les autochtones, alors que c’était très difficile, pour les autres volontaires, ils n’arrivaient pas à s’y mettre alors que, pour moi ça passait tellement bien… Grâce à cette expérience, quand je suis rentré en France, je me suis dit que, vu que j’étais doué dans l’apprentissage des langues, je pouvais éventuellement devenir interprète ou traducteur, entre le français et une nouvelle langue que j’apprendrai.

 

J’ai donc pris une carte d’Europe, pris une fourchette, j’ai fermé les yeux et croisé les doigts pour ne pas tomber sur l’océan Atlantique ou la mer Méditerranée. J’ai lancé ma fourchette et je suis tombé sur la Pologne. 

J’ai commencé à me renseigner sur le pays, s’il y avait des perspectives professionnelles, la langue est plutôt exotique… Je précise que j’avais également barré de ma liste les pays ayant déjà des langues très utilisées, ou qui sont apprises à l’école, comme l’Espagne, le Royaume-Uni, et la France, aussi bien sûr, était exclue.

Je voulais une destination qui soit une « niche » quand même. Ça aurait pu être la Scandinavie, les Balkans, les autres pays slaves… mais c’est la Pologne qui s’est imposée. J’ai ensuite pris contact avec des personnes polonaises de mon volontariat, l’association Points-Coeur, pour qu’ils me conseillent et m’aident à échafauder mon projet. Ils m’ont tout de suite dirigé vers Cracovie.  

 

Quand vous êtes arrivé en Pologne, vous chantiez et jouiez déjà d’un instrument ? Comment s’est fait ce passage à la chanson ? 

Comme l’écrivait Alain Souchon, j’étais un chanteur de « salle de bain » : je ne chantais que pour moi-même. 

Mon père est compositeur, ça aide. Il m’a fait écouter les piliers de la chanson française, Jacques Brel, Georges Brassens, Charles Aznavour. Il m’a aussi initié aux sons pop-rock des années 70 comme Queen, The Beatles, Scorpion, Les Rolling Stones. En parallèle, il m’a appris un petit peu à jouer de la guitare. Mais c’était très rudimentaire, juste pour faire de l’accompagnement de chanson

Quand je suis arrivé en Pologne, j’ai intégré un centre d’apprentissage du polonais, Centrum Języka i Kultury Polskiej w Świecie, à Cracovie, c’est une branche de l’université Jagellonne - Uniwersytet Jagielloński. Nous apprenions le polonais, mais chacun venait avec sa culture, et j’ai décidé durant une soirée d’intégration de sortir ma guitare et de jouer. Découvrir la chanson française les avait réellement intéressés.

Ensuite, j’ai eu envie de faire de la musique de rue, sortir l’étui à guitare, jouer et chanter des chansons françaises. Je voulais voir si les gens viennent, se rassemblent. Je suis arrivé en Pologne en 2011, et c’est en 2013 que je me suis mis à faire un peu de musique de rue. 

 

Faites-vous encore de la musique dans la rue ? 

Oui, la musique de rue est thérapeutique. C’est un outil incroyable pour prendre confiance. 

Lorsqu’on fait un concert, les spectateurs ont payé, cela met la pression, car ils sont en droit d’attendre quelque chose de qualité. S’ils n’aiment pas ce que tu fais, ils ne vont pas te le dire, ils ne sortiront très probablement pas de la salle, il y aura des applaudissements à chaque fin de chanson, mais on ne sait pas si c’est seulement par politesse.

 

Quand je fais un spectacle gratuit, dans la rue, je ne sors pas juste ma guitare, je consacre une heure à préparer toute une scène derrière moi, avec des bancs pour que chacun puisse s'asseoir. C’est comme un petit théâtre à ciel ouvert. 

Dans ce cadre, chacun peut venir et partir comme il l’entend. Quand je commence à jouer, comme tout est gratuit, j’ai la certitude que, si les personnes restent devant moi, c’est qu’elles aiment ce que je fais. Si ce n’est pas à leur goût, elles ont la totale liberté de continuer leur chemin. 

 

Vous apprenez le polonais dans ce centre qui vous donne envie de montrer votre touche française avec votre guitare et votre voix. Mais de là à faire MAM Talent, que s’est-il passé ? Entre chanter pour son groupe de langue et vouloir conquérir le cœur de la Pologne, il y a un grand écart…

Ça n’a pas été un si grand écart, car, une fois que j’avais commencé à faire de la musique de rue, déjà, en parallèle, je découvrais les chansons polonaises et j’apprenais le polonais.

Le centre où j’étudiais avait un avantage, on y découvrait non seulement la langue polonaise, mais aussi la culture du pays, avec son folklore, son histoire, sa poésie, sa géographie, sa cinématographie…  C’était très complet. J’ai ainsi pu emmagasiner une certaine connaissance du pays, et je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de points communs entre la culture française et polonaise. Ensuite, j’ai fait un master d’interprétation et traduction. 



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Votre niveau de polonais vous permet donc de traduire du polonais vers le français et vice versa ? 

Exactement, après un certain temps, j’ai acquis un niveau suffisant pour prétendre à être traducteur polonais-français, français-polonais

Durant ce master, j’ai écrit un mémoire sur les chansons de Jacques Brel traduites par Młynarski. L’idée était d’analyser, de comparer les versions et que je donne également mon point de vue. C’était très intéressant, j’ai trouvé le travail de Wojciech Młynarski fantastique, cela m’a donné envie de le partager. Wojciech Młynarski a un large répertoire de chansons, tout comme le répertoire polonais qui est tellement riche avec Jacek Kaczmarski, Czesław Niemen…

 

En fait, il y a énormément de chansons françaises qui ont été traduites vers le polonais, mais l’inverse est beaucoup plus rare. À partir de ce constat, j’ai décidé que lorsque j’allais chanter mes chansons dans la rue, j’allais mélanger les deux langues. 

En 2018, un ami guitariste et artiste de rue de la place du marché de Cracovie, voulait s’inscrire à MAM talent, et il m’a demandé de de l’y conduire. Cela ne m’arrangeait pas, alors il m’a inscrit pour que j’auditionne aussi. J’ai été sélectionné à MAM Talent, je me suis retrouvé avec le “Golden Buzzer” du jury, c’était très étonnant. 

 

François Martineau - FLEvolution

 

 

Est-ce que cela a changé ta vie du jour au lendemain, de passer à MAM talent ? Vous étiez le français de la sélection…

Grâce au “Golden Buzzer” j’ai eu le joker du jury, je n’ai pas été vainqueur, donc je n’ai pas eu tout le suivi ensuite, avec leurs producteur, sponsor, gala, etc. Après l’aventure, ils ne m’ont pas gardé dans leur giron, pour m’imposer une carrière, un répertoire.

J’ai donc été libre de choisir mon image, mon style vestimentaire. Grâce au “Golden Buzzer”, les spectateurs se souviennent de moi, j’ai eu tout les avantages de MAM talent, sans les inconvénients qu’ont les personnes une fois qu’elles ont gagné. 

J’ai ensuite eu des demandes de concerts, mais je n’avais que ma guitare. Je me suis dit qu’il fallait que je me professionnalise. Alors j’ai créé un groupe, échafaudé un répertoire avec un accordéoniste et pianiste. Nous avons commencé à tourner en Pologne, mais il y a ensuite eu la pandémie. J’ai donc été bloqué dans mon élan. 


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Comment cela se passe pour obtenir les autorisations pour les chansons de Jean-Jacques Goldman ou Charles Aznavour ?

Oui, c’est d’ailleurs obligatoire ! Grâce à un accord obtenu de Jean-Jacques Goldman, j’ai pu faire son répertoire en polonais. Pareil pour Francis Cabrel, mais Charles Aznavour comme il est décédé, c’est sa fondation qui est héritière de son patrimoine qui m’a donné l’autorisation. Dans l’ensemble, il fallait toujours que je me mette en contact avec chacun d'entre eux pour pouvoir obtenir les accords. Évidemment, le manager me donne l’accord après consultation directe de l’artiste.

 


Comment avez-vous réussi à créer votre identité d’artiste, entre reprises et traductions ? 

Il faut énormément aimer ce qu’on chante, je suis complètement époustouflé par les textes de Jacques Brel, Charles Aznavour, Georges Brassens, je suis admiratif. Il faut absolument bien connaître ces chansons, savoir pourquoi on les aime, et au moment où je les transmets, je mets l’accent dans ma façon d’interpréter sur ce que j’ai vraiment aimé. Cela peut être une simple phrase, le refrain ou l’intonation que je veux y mettre qui n’est pas forcément la même que les chanteurs originaux. 

 

A force de faire cela, je me suis rendue compte que mon profil était le cabaret et la poésie lyrique. C’est-à-dire, quand les textes sont bien écrits, j’ai vraiment envie de les transmettre. J’ai décidé de faire du cabaret, donc mélanger humour et poésie, et de toujours avoir un dialogue avec le public. 


À l’Université de Gdańsk, pour le concert de FLEvolution, il y avait une certaine distance physique entre le public et moi, alors qu’au cabaret je peux circuler entre les tables. Le cabaret, le contact visuel avec le public, c’est ce que j’aime et cela me rend service pour me mettre à l'aise, je me nourris du public.

 

Ça devient réellement ma marque de fabrique. 



Quelles sont vos chanteurs polonais préférés, quelles icônes polonaises souhaiteriez-vous recommander à nos lecteurs ?

Ce n’est pas facile de conseiller aux français des textes polonais qui vont les intéresser, car ils ne le comprennent pas. C’est pour cela que j’ai créé mon album CD « Vis à Vis », pour présenter les classiques de la chanson polonaise, adaptés en langue française pour qu’ils soient accessibles. 

Je peux recommander la musique de Grzegorz Turnau, pour ce qui est plus ancien, Skaldowie, Czesław Niemen, Marek Grechuta et bien d’autres. Les musiques sont vraiment super. Pour les récents je dirais Dawid Podsiadło, les premiers albums de Sanah, Kwiat Jabłoni. 

 

La traduction des chansons polonaises en français pour votre album CD « Vis à Vis » a-t-elle été toujours facile ? Avez-vous fait face à des problèmes de traduction ? 

C’est vrai, là par exemple j’avais eu une énigme avec la chanson “Nie ma jak u mamy”, que j’ai traduit avec « Qu’on est bien chez maman ». 

La difficulté pour traduire cette chanson, c’est que lorsque Wojciech Młynarski l’a écrit, en plein cœur de l’époque communiste, les jeunes ne voulaient que sortir de chez eux et vivre leur vie. Cependant, une fois confronté à la grisaille de la vie, des formalités du système tel qu’il était, le seul refrain qui leur venait à la tête était :  « Qu’on est bien chez maman ». Si en tant que traducteur, on n’est pas conscient de la dimension sociale de l’époque, on manque quelque chose, et on risque d’aborder ce refrain comme une chanson pour enfants, alors que ce n’est pas le cas. Ce n’était pas très facile pour moi de traduire cette chanson vers le français, car il va forcément manquer quelque chose.  

 

François Martineau - FLEvolution

 

 

Que souhaitez-vous transmettre à votre public à travers la musique lors de vos concerts ? 

Déjà, l’émotion, car c’est ce que les spectateurs recherchent quand ils entrent dans la salle, ils veulent ressortir avec des émotions. 

 

Le cabaret est un endroit fantastique pour transmettre ces émotions, on arrive à faire rire et pleurer quelqu’un en dix minutes. Quand c’est bien conduit, quand c’est beau, quand c’est travaillé, quand il y a une réelle cohérence dans le spectacle, c’est vraiment possible d’emmener son public sur différentes émotions. 

Puis j’ai envie aussi de leur transmettre une certaine légèreté. Un spectacle c’est une petite tentative d’amitié, durant 1h30 : c’est tisser une relation entre moi et un public.

 

Ce que je recherche vraiment c’est l’authenticité.

 

Votre femme vous accompagne-t-elle dans votre carrière de chanteur ?

Ma femme est ma manager pour les formalités ! Ensemble, nous avons créé une association qui nous aide à financer certains projets. Je ne sais pas si nous allons continuer à temps plein, car elle souhaite aussi se développer, faire son propre chemin artistique, poétique. 

Je vais devoir rechercher à nouveau quelqu’un qui me chapeaute. Si vous avez des idées de personnes, de manager artistique pour quelqu’un comme moi dites-moi. Ce n’est pas facile à trouver ! 

 


Que pouvons-nous te souhaiter pour les prochains mois ? De quoi auriez-vous envie, votre rêve, à part trouver un manager ? 

Ce serait déjà très bien de trouver un manager. 

Vous pouvez me souhaiter que je reste authentique, car mine de rien, c’est toujours une tentation de s’appuyer sur des acquis lorsque certains projets ne voient pas le jour.

 

Je perdrais le goût si j’arrêtais d’être authentique.

 

Entretien réalisé dans le cadre du programme FLEvolution, supervisé par Bénédicte Mezeix-Rytwiński, avec Aleksandra Garska, Zofia Dziewanowska, Annwenn Levêque, Camille Poletto-Weber 

 

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