Morceaux choisis de l’entretien de Brigitte Giraud, Prix Goncourt 2022 pour son roman « Vivre vite », par Dr. Katarzyna Kotowska - enseignante-chercheuse et Vice-directrice de l’Institut de Philologie romane de l’Université de Gdańsk, extraits de son livre, « 25 ans du Choix Goncourt de la Pologne ».


Les livres des autres, des livres à soi
Dr. Katarzyna Kotowska débute son entretien en revenant sur les jeunes années de Brigitte Giraud, rappelant qu’elle a été libraire dans ses jeunes années, et que cette écrivaine accomplie, qui comptabilise douze romans, récits, et nouvelles, a également dirigé la collection « La Forêt » chez Stock de 2010 à 2016.
« Cette expérience de travail avec les livres des autres, vous a-t-elle inspirée ou, au contraire, a-t-elle eu un effet différent sur vous ? » a demandé, Katarzyna Kotowska.
« Ces deux activités sont vraiment complètement dissociées », explique Brigitte Giraud. « J’écrivais bien avant « La Forêt » et je continue d’écrire aujourd’hui. Être directrice de collection, être éditrice, c’est avant tout être une bonne lectrice et être capable de consacrer beaucoup de travail à repérer les manuscrits prometteurs et à accompagner les écrivains lorsque leurs textes nécessitent des ajustements ».
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Écrire : un va et vient entre soi et les autres ?
Katarzyna Kotowska interroge sur l’essence du travail d’un écrivain : « Réside-t-il dans la solitude et la réflexion intérieure - reste-t-il essentiellement un processus personnel, ponctuellement partagé avec d’autres ? »
Brigitte Giraud explique : « Quand je travaille sur un livre, mon travail d’écrivain est vraiment un travail où je suis absolument seule. C’est une nécessité absolue. Ce qui est très difficile, d’ailleurs, c’est de réussir à s’isoler. Et de réussir à être seule, à rester seule et à se couper de l’activité extérieure. »
La littérature est-elle une langue à part entière, une langue étrangère ?
C’est le point soulevé par Katarzyna Kotowska, revenant sur le parcours universitaire en langues étrangères - en allemand et en anglais de Brigitte Giraud.
« Oui, c’est une très bonne question, débute Brigitte Giraud. À l’université, j’ai étudié l’anglais, l’allemand, avec un peu de russe et d’arabe. Je me dirigeais vers une carrière de traductrice, ou plutôt d’interprète. C’était le projet qui se définissait au fil du temps. Curieusement, je n’ai pas étudié les lettres, car je n’avais alors aucune idée que je pourrais un jour devenir écrivain. » explique t-elle. Ajoutant : « Quand j’ai commencé à écrire mes propres livres, j’ai réalisé que c’était semblable à la traduction, comme une traduction d’une langue étrangère. »
Le mot-clé dans tout cela est la justesse : trouver le mot juste, l’assemblage juste de mots, le ton juste, ou la manière juste de traduire ce qu’on veut exprimer.
Transcrire, écrire, c’est donc une traduction comme les autres ?
L’écrivaine, diplômée en langue étrangère argumente qu’ « écrire s’apparente à la traduction d’une langue que l’on forge petit à petit. Trouver sa propre voix, ce qui prend beaucoup de temps. Voix avec un X. C’est ce que je dis aux jeunes gens qui veulent devenir écrivains rapidement, impatients, et qui m’envoient des manuscrits inachevés. Ils sont très pressés. Je leur dis : prenez le temps de trouver votre voix. Cela peut prendre beaucoup de temps. C’est pourquoi je pense que votre question est très pertinente. »
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Écrire pour réinventer sa vie ?
« J’avais besoin d’une vie parallèle, une double vie, ou un laboratoire où je pourrais faire des expériences. C’est le seul endroit et le seul moment où le flux de l’existence s’arrête, où quelque chose s’interrompt. »
C’est vraiment du temps arraché au flux de l’existence, permettant de vivre deux vies en une, en quelque sorte.
« Vivre vite », Prix Goncourt 2022 : un récit de deuil né du décès de son mari dans un accident de moto
« J’ai écrit « Vivre vite » après avoir mis vingt ans à prendre de la distance. Cette distance est nécessaire pour ne pas être dominée par l’événement, ni par l’émotion. Ce temps permet de reprendre (en partie) le pouvoir, ne serait-ce qu’avec les mots. C’est la seule chose que vous choisissez dans ce long processus de catastrophe : les mots avec lesquels vous allez agencer la réalité. (...) « L’accident, qualifié de « ce qui tombe par hasard » selon son étymologie, suscite des questions sur le hasard et le destin. »
Le concept de « mektoub », suggérant que tout est écrit d’avance, amène à se demander si les événements étaient prédestinés.
La littérature, le pouvoir de changer les choses ?
« J’en viens également à constater à quel point la littérature est impuissante. Elle ne peut modifier le cours des choses. En revanche, elle permet de modifier le point de vue sur le cours des choses. Et cela est essentiel. »
C’est un livre sur le temps et la façon dont le temps remet en perspective la réalité.
💡 FLEvolution aura le plaisir d’accueillir en mai Brigitte Giraud, lauréate du prix Goncourt 2022, et vous pourrez venir la rencontrer lors d’un entretien en public.
Son ouvrage « Vivre vite » est traduit en polonais par Dorota Malina.
FLEvolution est un projet européen Erasmus+, cofinancé par l'Union européenne, qui témoigne d'une passion partagée pour la littérature française contemporaine. Ce projet, initié par l’Université de Gdańsk, l’Université d’Innsbruck et la Maison des Écrivains et de la Littérature à Paris, regroupe aujourd’hui près de vingt universités en Pologne, en Autriche et en France. L’objectif principal est d’intégrer la littérature contemporaine dans l’enseignement en proposant des exercices pédagogiques conçus par des étudiants.
Prévu pour trois ans, FLEvolution a eu l'honneur d'accueillir, en 2024, Philippe Claudel, écrivain reconnu et président de l'Académie Goncourt, comme invité d'honneur. Les exercices élaborés à partir d’extraits de textes littéraires sont déjà accessibles en ligne.
Dans un ouvrage bilingue, richement documenté, Dr. Katarzyna Kotowska - enseignante-chercheuse et directrice du Département de Littératures Romanes à l’Institut de Philologie romane de l’Université de Gdańsk, retraçait l’histoire du Choix Goncourt de la Pologne et de ses liens avec la France, qu’elle connaît très bien, puisqu’elle s’y implique depuis 2003. Elle y a également interviewé Philippe Claudel, Pierre Assouline, Paule Constant, Françoise Chandernagor et Brigitte Giraud.

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