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Un dimanche chez Pline, par Janine Magnani

Dessin représentant Pline l'AncienDessin représentant Pline l'Ancien
Écrit par Le Petit Journal de Rome
Publié le 11 octobre 2021, mis à jour le 11 octobre 2021

Il y a quelques semaines, le Petit Journal de Rome faisait la connaissance de Janine Magnani, l'une des lauréates du concours de nouvelles "Écriture des Sept Monts". Lors de la remise des prix, elle s'est confiée à nous et nous a avoué avoir un bon nombre d'histoires à partager. Nous vous proposons de découvrir aujourd'hui "Un dimanche chez Pline".

 

 

Cette année-là pour combattre il solleone, la terrible canicule aoûtienne, nous avions décidé avec quelques amis d'organiser un pique-nique, mais au lieu de nous agglutiner aux abords de la Cristoforo Colombo dans la fumée des pots d'échappement et des barbecues, avec les hurlements des gamins, les parties de foot improvisées, le tout accompagné de musiques cacophoniques, nous nous étions mis en tête de chercher un coin tranquille. Pas si facile !

         Nous voilà donc partis à pied dans la pinède de Castel Fusano, nous enfonçant hardiment dans le maquis méditerranéen odorant de mentuccia, chargés de tables, chaises pliantes, paniers, sacs, frigos de camping et même d'une guitare, en chantant à tue-tête « Un kilomètre à pied ça use les souliers... » suivi d'autres chansons à marcher de nos colonies d'antan. Ça nous rajeunissait !

         Soudain... la surprise, une vaste clairière entourée de yeuses, ces chênes verts à petites feuilles qui tamisent si agréablement la lumière du soleil et, à peine croyable, une fontaine dispensait son eau fraîche et pure à l'ombre des arbres. Et là tout à côté, la part du rêve, les ruines rose et ocre d'une villa romaine, peut-être celle de Pline, du moins c'est ainsi qu'on l'appelle.

         En un clin d'œil le camp de base fut installé sous les arbres et sur les tables apparut bientôt et disparut presque aussitôt une quantité impressionnante de mets alléchants des plus variés, style cuisines du monde : pâté de campagne maison, tapenade, taboulé, tzatziki, parmigiana d'aubergines, caponata, samosas, ça n'en finissait pas. Nos fines cuisinières s'étaient surpassées. Crumble et tarte au citron, complétèrent agréablement nos agapes. Le vin blanc des Castelli Romani accompagna généreusement le festin qui culmina avec le traditionnel caffè corretto, c'est-à-dire allongé à l'eau de vie. 

         Une douce somnolence gagna bientôt la troupe. Je proposai alors de rendre visite à Pline qui résidait à deux pas. Ceux qui résistèrent à l'attrait de la pennichella, version romaine de la sieste, me suivirent.

 

         A notre approche apparut sur le seuil, comme si elle nous attendait, une jeune esclave très brune. Elle portait une tunique de lin d'un blanc immaculé. Un bracelet en argent finement ciselé encerclait le haut de son bras gauche.

         Elle nous souhaita la bienvenue au nom de son dominus qui en ce moment faisait la sieste et si nous le souhaitions, en attendant son réveil, elle nous ferait visiter le domaine. - Mon nom est Lia », précisa-t-elle.

         Dès le premier coup d'œil la beauté et l'harmonie du lieu nous enchantèrent. Une entrée en forme d'arcade ouvrait sur un grand jardin dans lequel on distinguait différents édifices. Un portique en demi-cercle, une cour ornée de plantes vertes et de statues de marbre donnaient accès au bâtiment principal en style gréco-romain avec atrium et péristyle. Classique et élégant.

         Le triclinium, en fait la salle des banquets, nous arracha des cris d'admiration par sa position en bordure de plage, de grandes baies vitrées offraient une vue imprenable sur la mer, très calme aujourd'hui, mais lorsqu'elle était démontée comme les jours passés le spectacle devait être grandiose.

         La pièce, avec ses murs plaqués de marbre cipolin à veines gris-vert et un carrelage de marbre blanc, reflétait certainement les goûts raffinés du propriétaire.

         Trois lits à trois places permettaient de manger allongé. Des guéridons devant chacun d'eux, des consoles, un bahut et un présentoir pour la vaisselle d'or et d'argent formaient l'essentiel du mobilier. Du plafond pendaient accrochés à des chaînes plusieurs luminaires à lucernes de grande taille et, placés en position stratégique, de hauts candélabres complétaient l'illumination.

         On passa ensuite devant deux chambres abritées de la mer. Des fresques illustrant des épisodes de la mythologie en décoraient les parois, des lits de forme élégante aux pieds sculptés, des coffres et des armoires incrustées d'ivoire formaient l'essentiel de l'ameublement. Suivait une petite terrasse exposée au soleil, très agréable en hiver, précisa la jeune fille qui poursuivit, avec une certaine fierté « et voilà la bibliothèque ! » Autre merveille, une pièce à abside, très lumineuse dont les fenêtres placées en hauteur étaient disposées de manière à suivre le cheminement du soleil. Des niches aménagées dans les parois et munies d'étagères contenaient des rouleaux de parchemin protégés de l'humidité par des étuis de bois ou de cuir. Il y avait même des volumes reliés, plutôt rares à l'époque et très coûteux.

         Une table supportant une très belle lucerne en bronze, et un lectus lucubratorius, c'est-à-dire un lit pour la lecture et la méditation, complétaient l'ameublement sobre et confortable.

         Un couloir chauffé conduisait à la chambre de Pline, nous passâmes en silence pour respecter son repos. Un autre corridor conduisait à un bâtiment annexe remarquablement bien tenu réservé au personnel, composé en grande partie d'affranchis, nous confia la jeune fille. Un emplacement abrité du vent de la mer leur servait de gymnase. Pline tenait à leur bien-être.

         A l'opposé du triclinium une aile symétrique était destinée aux bains. Elle comprenait une antichambre, deux grandes vasques remplies d'eau froide, un cabinet avec un lit de massage, un petit meuble pour les huiles et les parfums. Suivaient les pièces chauffées, une étuve et des vasques remplies d'eau chaude. L'une d'elles, circulaire, en position surélevée possédait une grande baie vitrée qui offrait la vue sur la mer. Le carrelage en mosaïque, composé de tessères blanches et noires, représentait Neptune sur un char tiré par des chevaux marins. Un sphaeristerium ou jeu de paume complétait l'ensemble.

         De nombreuses statues de marbre et quelques bronzes précieux que je n'ai pu, hélas, admirer qu'en passant étaient disséminées dans toute la maison.

         De retour dans le parc notre attention fut attirée par un groupe de pavillons en forme de tourelles, Lia nous apprit qu'il s'agissait d'appartements dotés de tout le confort. - Ils sont réservés aux invités » précisa Lia. Pline savait recevoir !

         Derrière l'édifice central, une allée bordée de romarin conduisait à une pergola de laquelle pendaient des grappes de raisin. Comment résister à la tentation ?  Un vrai délice ces grains gorgés de suc ! Suivait un verger planté de figuiers et de mûriers, le terrain leur étant favorable précisa notre guide. Enfin un potager fournissait tout ce qui était nécessaire aux besoins de la maison en légumes et herbes aromatiques, indispensables dans la gastronomie romaine. La mer fournissait le poisson, surtout de délicieuses soles, les troupeaux de passage le lait et le fromage, quelques ruches le miel, les forêts voisines le bois. Au printemps on y cueillait des asperges sauvages et à l'automne des champignons. Tout le reste était acheté au marché d'Ostie.

         Non loin de l'édifice principal se trouvaient les cuisines, un entrepôt pour les réserves alimentaires, une grande cave, un cellier et un grenier. Des puits et des fontaines fournissaient l'eau. Je n'ai pas pensé à demander s'il y avait aussi une glacière, un local spécialement construit pour conserver les blocs de glace que l'on pouvait se procurer au marché, mais c'est probable.

         Un autre bâtiment, un peu à l'écart, abritait d'autres appartements et un triclinium orienté vers le verger et les bois. Enfin, entre les jardins et la mer une galerie couverte très imposante permettait d'agréables promenades à l'ombre.

         Passés les jardins s'élevait un petit pavillon de construction récente, doté d'une pièce entièrement exposée au soleil et d'une chambre chauffée. C'était le refuge de Pline lorsqu'il voulait s'isoler car il était ingénieusement insonorisé par des doubles parois. Il nous dira plus tard combien ce pavillon lui était précieux lors des Saturnales, la fête des esclaves au cours de laquelle ces derniers avaient toute licence de se déchaîner, précisant - je ne dérange pas leurs amusements et ils ne dérangent pas mes occupations. »

         Au loin on devinait les écuries. Pline aimait à la fraîcheur de l'aube ou au coucher du soleil se promener à cheval sur la plage ou dans les bois.

         Le domaine était à l'évidence pourvu de tout le nécessaire à sa bonne marche et à son confort.

         Pline, lorsqu'il nous reçut, qualifia modestement sa maison de campagne de villula, mais en réalité il s'agissait d'un ensemble de bâtiments imposant, conçu pour un agréable séjour dédié au repos et à l'étude. Construite de manière à profiter au maximum du soleil et de la mer, la villa avait une architecture harmonieuse et les différents édifices se fondaient dans le paysage, suivant le goût des Romains et offraient des points de vue différents, ici sur les bois, là sur la mer, au loin sur les Monts Albains. En outre les jardiniers paysagistes qui maîtrisaient à la perfection l'art topiaire, s'étaient appliqués à créer des paysages avec des plantes telles que lauriers, acanthes, genêts, buis, myrte et arbousiers. C'était vraiment magnifique. Lia précisa que suivant la saison les jardins se couvraient de fleurs sauvages, violettes, cyclamens, renoncules, marguerites et autres. 

         La jeune fille nous conduisit enfin dans une sorte de salon muni de sièges confortables où nous attendait Pline. Il était tel que je l'imaginais, plutôt beau garçon, des traits réguliers, mince, élégant et d'une exquise courtoisie. Il se déclara enchanté de notre visite et fit apporter des fruits et des boissons fraîches. Cependant son regard teinté de mélancolie se perdait parfois au loin, il nous confia que l'approche du 24 août l'attristait, c'était la date de la mort de son oncle sur la plage de Stabie, asphyxié par les vapeurs méphitiques dégagées par l'éruption du Vésuve. Sa curiosité et son esprit scientifique l'avaient poussé à s'en approcher le plus possible pour étudier le phénomène et cela l'avait perdu.

         Nous avons chaleureusement félicité notre hôte pour la beauté de son domaine et sa position enviable près du quartier résidentiel du Laurentinum doté de splendides villas. Il sourit et nous confia en être très fier. Il aimait à s'y retirer afin de retrouver la sérénité après les tracas de la vie politique romaine. Il la préférait d'ailleurs à ses autres villas, deux sur le Lac de Côme, sa ville natale, et une en Toscane.

         Le soleil déclinait et les murs de tuf et de briques roses prenaient des tonalités intenses qui s'alliaient harmonieusement avec le vert sombre des arbres. Il était temps de prendre congé.

 

         C'est alors que je sentis une main me secouer sans trop d'égards et une voix familière m'apostropha – Si t'as envie de passer la nuit ici fais comme tu veux, nous on emmène les gosses à la plage ! »

         J'eus quelques difficultés à récupérer mes esprits, je me voyais encore dans la merveilleuse villa de Pline.

         Certains rêves valent vraiment la peine d'être vécus !

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