Voir une comédie ou un western "à l’italienne", s'habiller, cuisiner, divorcer "à l'italienne" nous emporte loin des normes et des usages, avec la promesse, bien sûr, que tout sera surprenant, la plupart du temps magistral. Le hic de l'histoire ? Que ce qui se fait, s'avale, s'utilise à l'italienne ne soit pas toujours si italien que ça et parfois, aïe aïe, révèle a contrario nos petites manies "à la française".
La glace à l’italienne ? ça n’existe pas !
Toute en spirale, colorée, foraine et quasi fiabesque, c'est la fête lorsque la glace à l'italienne sort de sa machine aux allures de bandit manchot. Sauf que voilà, la glace à l'italienne, eh bien ça n'existe pas. Eh non. Enfin, pas en Italie. Un vendeur de glaces ambulant de l'État de New York l'aurait inventée par hasard dans les années 30 : son camion aurait crevé et sa glace à moitié fondue aurait miraculeusement fait le bonheur de ses clients. Vrai, pas vrai, cette nouvelle glace à la texture aérienne appelée soft ice cream (crème glacée molle) fut un succès aux États-Unis et on fabriqua une machine tout exprès pour lui donner, chaque fois, la bonne consistance. Ce n’est qu’autour de 1950 qu'elle arriva sur nos côtes, sous les noms de "semifreddo" au Portugal (semi-frio), "glace automatique" en Roumanie (inghetata la dozator), "glace torsadée" en République Tchèque (točená zmrzlina). En fait, en Europe, elle n'est à l'italienne qu'en France et en Pologne, une glace digne de ce nom se devant sans doute d'être un peu italienne. Toujours est-il qu'elle apparaît en Italie, timidement et assez tard, sous le nom de gelato alla spina (sur le modèle de birra alla spina, bière pression), gelato espresso (comme un café, elle est rapide et sort d'une sorte de percolateur) ou gelato soft. D'abord dans les parcs d'attraction, les fêtes foraines, petit à petit sur des promenades, passages touristiques, bords de plage. Coup de théâtre : dans le pays où la glace est reine, la célébrissime marque Algida (qui chez nous se nomme Miko) tente d'ouvrir le marché à ses cornetti soft industriels et, pour qu'on ne rate pas la nouveauté, propose avec ses nocciola, stracciatella, caramello, vaniglia et fragola un étonnant bubble gum unicorno (chewing-gum licorne) aux couleurs bleu bizarre et rose malabar et aux parfums chewing-gum, framboise. Du jamais vu... à l'italienne !
Douche à l’italienne vs bagno francese
La douche (d'un doccia italien) à l'italienne, construite au niveau du sol, carrelée jusqu'aux murs et sans rideau : pratique et épurée, elle séduit de plus en plus les foyers français. Elle serait d'inspiration romaine, dit-on, de la Rome antique. Mais les Italiens ne parlent pas beaucoup de leur doccia all'italiana : pour eux, la grande question serait plutôt le bagno francese (salle de bain française). D'abord, horreur, malheur, où sont les wc ? Pas de panique, c'est une minuscule pièce séparée, hélas pas nécessairement adjacente et, heu, presque toujours sans lavabo, qui l'accueille. Oui, bon, et le bidet alors ? Et là, c'est la catastrophe : les maisons sans bidet et les passants portant leur baguette sous l'aisselle, il n'y a pas pire cliché pour nous transformer en personnages guère touchés par l'hygiène. Le mystère du bidet (laissé bidet ou italianisé en bidè), souvent absent des appartements français mais toujours présent en Italie, subsiste. Bizarre, car l'objet serait d'origine française. Les premiers modèles ressemblaient à un cheval jouet d'où son nom, bidet voulant dire petit cheval de poste, sur lequel, c'est l'évidence, on s'assoit à califourchon. Une rumeur voudrait qu'une reine de Naples le découvrit au château de Versailles, s'y rafraîchit, ô merveille, et le fit adopter dare dare dans ses palais napolitains. Ah, les chassés croisés du bidet. Puis il disparait des salles de bain françaises au cours des seventies à cause de l'exiguïté des nouveaux appartements, la douche, oui, bon, c'est pas toujours pratique, faisant l'affaire. Au même moment le ministère de la santé italien promut un décret (article 7 du 5 juillet 1975) l'exigeant, pour des questions d'hygiène, dans chaque logement. Ce qui, malédiction, vint définitivement conforter notre réputation d'hurluberlus pas nets.
Le lit à l’italienne vs il letto alla francese
Les hôtels proposent de plus en plus de lit à l'italienne : deux lits à une place qu'on a rapprochés puis accrochés pour n'en faire qu'un, 180 cm de largeur en tout. Belle trouvaille car plus grand qu'un lit double standard (letto matrimoniale, 160 cm) ou qu'un letto alla francese (140 cm), offrant de surcroît l'assurance de ne pas sentir remuer son voisin. Le lit italien agace malgré tout le dormeur français en veine de chipoter. D'abord l'oreiller. Eh oui, l'italien est rectangulaire, le français carré. Un léger contretemps pour les expatriés qui apprennent à acheter oreillers et taies tout ensemble dans le même pays, d'origine ou d'adoption. Tiens, à propos, ça se dit comment, oreiller, en italien ? On eut bien le très ressemblant origliere, mais cela se lit chez Boccace et c'est inusité dans les familles. Le mot se traduit par guanciale, de guancia qui veut dire joue, ou plus familièrement par cuscino (coussin). L'étymologie est une sacrée discipline qui nous entraîne de curiosités en révélations bien utiles l'oreiller est fait pour poser l'oreille, le guanciale la guancia, le coussin-cuscino la cuisse (d'un coxa latin signifiant justement cuisse). On est prévenu. Et voilà aussi que, d'une langue à l'autre, l'expression carrément acrobatique "dormir sur ses deux oreilles" devient tout à fait praticable et confortable avec le dormire tra due guanciali (littéralement dormir entre deux oreillers). C'est dit, mieux que la valériane et la mélatonine, dormir à l'italienne est la solution trouvée à l'insomnie.
Ultime avertissement, le traversin n'est pas dans les habitudes italiennes, le mot ne se dit pas, il s'explique par un vague cuscino cilindrico ; très rarement et seulement dans quelques maisons de l'Italie du Nord, traversino. Pour les batailles de polochon (la lotta ou battaglia dei cuscini, ça existe, mais seulement avec des oreillers), penser donc à s'en armer juste avant la frontière !
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