Pour la première fois, le tribunal de Turin s’est prononcé sur la relation de travail de Foodora avec ses riders. Une décision qui laisse l’avenir de ces travailleurs de la GIG Economy incertain et traduit la nécessaire intervention du législateur.
Les travailleurs de l’économie de plateforme, telle Foodora, vivent dans un climat d’insécurité juridique. Le 11 avril 2018, le juge de Turin a débouté le recours - le premier du genre en Italie -, présenté par six livreurs (surnommés riders) de la société allemande Foodora. Ces derniers portaient plainte contre la société qui avait interrompu brutalement leur relation de travail.
Le recours visait à « établir entre les parties une relation de travail subordonnée à durée indéterminée afin d’obtenir un traitement économique et professionnel correct, de reprendre la relation de travail interrompue et d’obtenir en plus l’indemnisation des dommages et le paiement des cotisations de sécurité sociale dus ». Mais le juge de Turin a considéré que les livreurs n'étaient liés à Foodora par aucun rapport de travail subordonné, les caractérisant ainsi de collaborateurs indépendants. Une décision qui continue à faire discuter dans le cadre du débat concernant la régulation des rapports de travail de la "Gig Economy", ce monde nouveau du travail basé sur des services à la demande où l'offre et la demande sont gérées en ligne à travers des plateformes numériques et applications.
Des livreurs au statut libéral
Pour exclure le caractère subordonné de la relation de travail en question, le juge de Turin a considéré que les riders « n'étaient pas obligés d’effectuer le service et l'employeur de l’accepter ».
Les travailleurs de Foodora peuvent en effet donner leur disponibilité à travailler pendant l'un des roulements indiqués par l'entreprise, sans être contraints de le faire. De même, l'entreprise n'est pas obligée d'accepter la disponibilité donnée par les livreurs, ni de les inclure dans les roulements de travail qu’ils demandent. Cette circonstance exclut donc que les travailleurs soient soumis au pouvoir de gestion et d'organisation de l'employeur, le critère fondamental pour reconnaître l’existence de la subordination.
Et selon le tribunal, même lorsque les travailleurs effectuent les livraisons, le pouvoir de gestion n’existe pas.
Les travailleurs contestaient Foodora au motif que l’entreprise leur donnait des « directives techniques détaillées sur la procédure de livraison », notamment le choix du point de départ et l'heure du roulement, tout en vérifiant qu’ils activaient le profil sur l’application interne des travailleurs et en rappelant les livreurs qui tardaient à accepter un service.
Des considérations qui selon le juge relèvent uniquement d’une légitime activité de coordination des livraisons de la part de Foodora.
Le juge a également exclu la soumission des travailleurs à tout pouvoir disciplinaire de la part de Foodora, compte tenu du fait que les livreurs ont toujours la possibilité non seulement de révoquer leur disponibilité, mais également de ne pas accomplir la livraison pour laquelle ils s’étaient réservés, sans que cette circonstance donne lieu à une sanction.
La décision traite en outre l'aspect du traitement des données des travailleurs : les requérants accusaient en effet la société d'avoir violé la loi en ce qui concerne l'accès aux données personnelles et le contrôle à distance. Pour autant, le smartphone étant un outil nécessaire pour travailler en tant que livreur à travers une plateforme numérique (conformément à l'art. 4 du statut des travailleurs tel que modifié par le Jobs Act), aucun accord préalable n'est requis quant à l'utilisation des informations recueillies, a estimé le juge de Turin. A voir si une telle interprétation se verra confirmée lors de prochaines décisions.
Une intervention législative attendue
Le tribunal de Turin ne s’est borné qu’à déterminer « la nature de la relation de travail entre les parties » et non pas « l’indemnisation adéquate, ni l'exploitation présumée des travailleurs par l'entreprise ». L’intervention du législateur apparait donc comme nécessaire pour définir un cadre technique et juridique en la matière et ainsi satisfaire les intérêts en jeu. Une solution qui peut difficilement être trouvée en comptant sur les institutions juridiques et économiques du passé, mais qui nécessitera l'introduction d'un nouveau modèle de contrat de travail, le « Jobs App ».
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