L'histoire polonaise est émaillée de drames que le pays a jusqu'ici toujours surmontés dans l'unité, le mythe national polonais puisant sa force dans le sacrifice et l'héroïsme. La catastrophe de Smolensk, par les enjeux politiques qu'elle soulève depuis 12 ans, met cette unité à mal et révèle une société polonaise divisée que la martyrologie ne suffit plus à (ré)unir. Le 10 avril 2010 à 8 heures 41 (heure de Varsovie) le Tupolev présidentiel polonais, transportant 96 personnalités dont le Président Lech Kaczyński, s'écrase aux environs de Smolensk, en Russie, alors que le chef de l’état devait se rendre aux commémorations du massacre de Katyn.
Si au départ la catastrophe avait provoqué un émoi unanime en Pologne, elle ne cesse aujourd'hui de diviser l'opinion. Ce drame est devenu un véritable enjeu politique, engendrant une crise profonde, inégalée. La vérité ne devrait pas tarder à être enfin révélée, si on en croit la déclaration de Jarosław Kaczyński, du 10 avril 2022.
« Nous n’avons aucun doute qu’il s’agissait d’un assassinat » a déclaré Jarosław Kaczyński, le 1er Avril 2022
Le 10 avril 2010 à 8h41 (Varsovie) le Tupolev présidentiel polonais, transportant 96 personnalités dont le président Lech Kaczyński, frère jumeau de Jarosław Kaczyński, président du parti Droit et Justice (PiS), s'écrase aux environs de Smolensk, en Russie, alors que le chef de l’état devait se rendre aux commémorations du massacre de Katyn où plusieurs milliers de Polonais avaient été massacrés en 1940, par la police politique de Staline.
Vendredi 1er avril 2022, le président du PiS, Jarosław Kaczyński, dans une interview pour la radio polonaise, déclarait qu’il ne faisait aucun doute qu’il y avait eu une attaque à Smolensk.
« Pour le moment, nous savons vraiment beaucoup de choses sur ce qui s’est vraiment passé à l’aéroport de Smolensk. Nous n’avons aucun doute qu’il s’agissait d’un assassinat, mais nous sommes d’un point de vue procédural dans une situation un peu plus difficile - clairement plus difficile - mais j’espère que nous l’améliorerons et que la finale sera probablement comme ça ». Jarosław Kaczyński
Dimanche 10 avril 2022, 12 ans après...
Hier, dimanche 10 avril, les sirènes ont retenti dans toute la Pologne, pour commémorer la mémoire des 96 victimes de la catastrophe, malgré l’opposition de plusieurs villes dont Varsovie, Cracovie, Katowice et Lodz. La raison ? Les sirènes annonçant les bombardements ainsi que les attaques aériennes, ces municipalités ont expliqué que leurs sons pourraient effrayer les enfants des familles réfugiées, traumatisés par ce qu’ils ont déjà vécu en Ukraine.
Peu après 21 heures, Jarosław Kaczyński, président du parti Droit et Justice (PiS) a fait un discours empreint d'émotion devant le palais présidentiel. Il a déclaré que la vérité sur la catastrophe était dorénavant connue et que cette vérité serait prochainement présentée aux Polonais. Quand ? Il ne l'a pas précisé... Ce discours était extrêmement attendu car devant annoncer des « actions concrètes »...
« (...) Vous devez être capable de collecter les preuves. C'était extrêmement difficile, cela a pris de nombreuses années. En dehors de la volonté d'obtenir la vérité, nous n'avions rien. Nous avions des gens qui voulaient obtenir la vérité. Leur travail a duré longtemps, très longtemps, peut-être trop longtemps. Aujourd'hui, nous savons ce qui s'est passé. Nous avons cette réponse. Pour la première fois, elle est complète, elle est cohérente, elle répond à toutes les questions, et elle a été vérifiée par de nombreux centres différents. Et cela sera discuté dans les jours et les semaines à venir. Elle sera présentée au public. Et c'est ce changement, ce grand changement dont je voulais vous parler aujourd'hui, à l'occasion du 12e anniversaire du crime, de l'assassinat (...) » Jarosław Kaczyński, le 10 avril 2022
12 ans après le drame, la plaie est loin d’être refermée, la faute aux nombreuses questions qui demeurent encore sans réponses. Les circonstances réelles de l’accident restent floues, générant de multiples tensions comme autant de braises sur lesquelles souffler afin d’attiser l’euroscepticisme, le conservatisme, de nombreuses théories du complot. Décodage.
Smolensk : « attentat », « coup d’état », « déclaration de guerre », accident ou pilotes sous pression ?
L'enquête principale sur les causes et le déroulement de la catastrophe de Smolensk a été lancée le jour même de l'accident, le 10 avril 2010. Dans le cadre de cette enquête, l'exhumation de 83 victimes du crash a été réalisée. Les restes de l'épave à l'aéroport de Smolensk ont été inspectés à plusieurs reprises. Une équipe d'experts internationaux a également été désignée pour élaborer un avis complet.
Quand, le 10 avril 2010, le président Kaczyński trouve la mort accompagné de 95 hauts responsables politiques et militaires polonais, la Pologne réaffirme son unité. En témoignait alors la rencontre du premier ministre Donald Tusk (Plateforme Civique, PO) et du frère du président disparu, Jarosław Kaczyński (Droit et Justice, PiS) le jour même de l'accident. Cependant les enjeux politiques ont rapidement repris le dessus.
En juillet 2010, le parti PiS annonçait mener sa propre enquête, refusant que la Russie ne mène une enquête officielle. L'enquête russe, reconnue par le gouvernement polonais, conclut à un accident lié à l'attitude de l'équipage. Mais selon le PiS, il s'agirait d'un attentat, en témoigneraient des explosions avant le crash. Une thèse étayée en novembre 2012 par un article de Rzeczpospolita, article que le journal a lui-même démenti par la suite, et renforcée par les faiblesses de l'enquête russe. Pour Antoni Macierewicz (PiS), « l'attentat » aurait été une « déclaration de guerre » un « coup d'Etat » mené par la Russie et le gouvernement Tusk, tous deux opposés aux vues politiques de Lech Kaczyński. Des mots durs, révélateurs des clivages traversant la société polonaise.
Le révélateur de clivages durables dans la société polonaise
Depuis 2010, la catastrophe de Smolensk divise non seulement les partis mais également la société. Le drame a amplifié cette scission. La thèse de l'attentat de 2012 vise ainsi un gouvernement (PO) libéral, partisan de l'intégration européenne et de la normalisation des relations, toujours tendues, avec la Russie. Elle est défendue par le PiS, parti conservateur et souverainiste.
Au pouvoir de 2005 à 2007, le PiS ne s'était alors pas opposé à l'intégration européenne de la Pologne. Mais en janvier 2012, Jarosław Kaczyński proposait l'idée d'un référendum sur la présence de la Pologne dans l'UE, et affirmait son soutien entier au gouvernement hongrois de Viktor Orbán dont les politiques subissent régulièrement les foudres de Bruxelles depuis 2010. Smolensk a radicalisé les positions de la droite polonaise et l’a renforcée politiquement… contribuant à la replacer de fait, à la tête du pays.
En 2013, la Pologne était plus que jamais divisée. Alors que 18% des Polonais croyaient en la thèse de l'attentat en avril 2012, ils étaient le double en 2013. L'attitude des Polonais vis-à-vis du drame de 2010 a conditionné l'avenir de la Pologne et notamment son avenir au sein de l'Union européenne. Le soupçon, lui, s’est renforcé, à mesure que les révélations sur une enquête mal menée donnaient du crédit à un Jarosław Kaczyński meurtri par la disparition de son frère.
En janvier 2018, Le ministre polonais de la Défense, Antoni Macierewicz, a suggéré, lors d'une conférence à Torun, que la mort du président Lech Kaczynski en 2010 à Smolensk, dans l'ouest de la Russie, pouvait être le résultat d'un acte criminel.
« La Pologne avait été la première victime du terrorisme dans les années 1930. Après Smolensk, nous pouvons dire que nous avons également été victimes d'un terrorisme moderne dans le conflit qui se déroule sous nos yeux » a déclaré le ministre polonais. « Il n'y a aucun doute que ce qui s'est passé à Smolensk avait pour but de priver la Pologne d'un leadership qui devait mener notre nation vers l'indépendance » a indiqué M. Macierewicz, sans pour autant prononcer le nom du pays visé par cette déclaration.
Jeudi 31 mars 2022, décès du procureur général adjoint Marek Pasionek
Le procureur général adjoint Marek Pasionek, qui a supervisé l’ensemble de la procédure, est décédé jeudi 31 mars 2022.
En 2010, Marek Pasionek était le procureur chargé de superviser l'enquête du bureau du procureur militaire du district de Varsovie sur le crash de l'avion Tu-154 à Smolensk.
Après 2016, dans le cadre de la fonction qui lui avait été confiée en tant que procureur général adjoint, il a supervisé les travaux de l'équipe d'enquête n° 1 du bureau du procureur national, qui s'occupe d'expliquer les causes de la catastrophe de Smolensk. Comme le procureur Łapczyński l'a assuré au PAP (Polska Agencja Prasowa – Agence Pologne Presse), cette équipe continue de fonctionner et de mener les activités prévues dans l'enquête.
Le 5 avril 2022, Maciej Lasek : « La cause [de la catastrophe] était une violation très claire des procédures »
Dans un entretien diffusé le 5 avril 2022 sur le site d'information polonais Onet.pl, Maciej Lasek, ingénieur spécialisé en mécanique de vol et président du Comité d’enquête sur les accidents aériens nationaux, qui a chapeauté la commission d’enquête sur le crash du Tu-154 de l’armée de l’air polonaise en 2010, a expliqué quelle était la cause du crash de Smolensk, selon lui :
« La cause était une violation très claire des procédures. Tout a été enregistré dans les enregistreurs, sources objectives de données. Il n'y a pas lieu de divaguer qu'il en a été autrement. Tous les spécialistes qui ont eu accès à ces données - et il s'agissait aussi bien de la commission de Jerzy Miller que de l'équipe d'experts du bureau du procureur militaire - ont déclaré que la cause du crash était une descente en dessous de l'altitude minimale à laquelle cet avion aurait pu descendre dans des conditions plus de cinq fois pires que celles décrites dans les procédures d'aviation ». Maciej Lasek
Le Président Ukrainien honore la mémoire des 96 disparus sur son compte Twitter
« Aujourd'hui, nous honorons la mémoire des victimes de l'accident d'avion près de Smolensk, qui a coûté la vie au président Lech Kaczyński et aux représentants de l'élite polonaise il y a 12 ans. Aujourd'hui, nous sommes solidaires des amis et alliés polonais, qui se tiennent aux côtés de l'Ukraine contre l'agression russe », a écrit Volodymyr Zelensky.
We honor the memory of the victims of the plane crash near #Smolensk, which took the lives of President Lech Kaczyński & ?? elite representatives 12 years ago. Today, we stand in solidarity with ?? friends & allies, who stand with ?? against Russian aggression. #smolenskpamietamy
— Володимир Зеленський (@ZelenskyyUa) April 10, 2022
Le ministre ukrainien de la Défense Oleksii Reznikov a fait une déclaration à la mémoire de « l'ami de l'Ukraine », sur les réseaux sociaux
« L'Ukraine sait par sa propre expérience ce qu'est la douleur de la perte. Et combien le soutien d'un ami est important dans un tel moment. Le président Kaczynski était un véritable ami de l'Ukraine. Notre douleur est partagée. Et aujourd'hui, alors que l'Ukraine repousse héroïquement l'agresseur russe, la Pologne ne reste pas à l'écart. L'accueil hospitalier de nos réfugiés, l'aide militaire et la pression des sanctions sur la Russie sont des manifestations concrètes de l'union polono-ukrainienne. Cette unité est notre force commune. »
96 Polonais - et non des moindres : le président de la République de Pologne Lech Kaczyński et son épouse Maria Kaczyńska, le dernier président de la République de Pologne en exil Ryszard Kaczorowski, les vice-présidents du Sejm et du Sénat, un groupe de 18 parlementaires, les commandants de toutes les forces armées de la République de Pologne, les employés de la Chancellerie du président, les chefs des institutions de l'État, des ecclésiastiques, des représentants des ministères, des organisations d'anciens combattants et des organisations sociales ainsi que des personnes accompagnantes - étaient à bord de l'avion Tupolev 154. La délégation polonaise venait commémorer le massacre de Katyn - dont c'était le 70e anniversaire.
Katyn et Smolensk, enveniment depuis 82 ans les relations entre la Pologne et son voisin russe. Un poison insidieux qui a aujourd’hui un drôle de goût amer - surtout depuis le 24 février 2022 avec l’attaque de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine. Jarosław Kaczyński a promis, dans son discours du 10 avril 2022 que la vérité serait très prochainement présentée aux Polonais, pożyjemy zobaczymy, attendons de voir...