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Écriture des Sept Monts : Coralie Neuville « Au-delà des collines »

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Écrit par Le Petit Journal de Rome
Publié le 16 mars 2021, mis à jour le 16 mars 2021

Découvrez la très belle nouvelle de Coralie Neuville, première lauréate du concours « Écriture des Sept Monts » du Petit Journal de Rome. Intitulée « Au-delà des collines », elle dépeint une histoire d’amour brutalement interrompue par un mystérieux concours de circonstances.

 

Paris, janvier 2019. Encore une journée difficile au travail. En rentrant chez moi, je m’étais arrêtée à Monoprix pour acheter un plat préparé. Les lasagnes au four, je m’étais servi un verre de vin avant d’ouvrir mon courrier. Principalement de la pub pour annoncer l’arrivée des soldes. Il y avait aussi une enveloppe. Une carte de vœux, certainement. Mon adresse avait été imprimée. Aucun expéditeur. C’était un de ces services d’envoi en ligne où on choisissait la carte, le message et l’application s'occupait du reste. Le timbre indiquait la France. Qui de ma famille ou de mes amis envoyait encore une carte de bonne année ? À l’intérieur, il y avait une carte postale représentant une rue. Au dos, une inscription en italien : Quattro Fontane. Quirinale. Rien de plus, rien de moins.   

Qui m’avait écrit ? Un ancien collègue ? Un ami en vacances à Rome ? Lui ? Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi après dix ans ?  

 

Rome, mars 2009. Je devais m’activer. Je ne pouvais pas arriver en retard le premier jour de mon stage dans un prestigieux cabinet d’avocats en droit européen. J’avais obtenu ce stage grâce aux recommandations de mon professeur à l’université de Paris 2. Je regardai ma montre. J’avais encore vingt minutes. Je devais traverser le carrefour de via delle Quattro Fontane. Trois mois dans la capitale italienne, pensai-je. En passant devant un cinéma, un homme m’interpella : « Signorina, la sua sciarpa! ». Que me voulait-il ? Je me retournai et il s’approcha avec mon écharpe qui venait de glisser à terre. « Grazie! », lui répondis-je. « Vous êtes française ? ». Arrivée depuis une semaine dans la ville éternelle, je ne comptais plus le nombre de fois où on avait reconnu mon accent français ! « Oui ! » Il me sourit et me souhaita une bonne journée. Je devais à présent me dépêcher si je ne voulais pas arriver en retard. Je pris à droite sur via di San Vitale. C’était dans cette rue que se situait le cabinet, juste derrière le palais présidentiel, le Quirinal. Le cœur de la vie politique romaine.   

Cette première journée avait été intense. Mon niveau d’italien que je pensais plutôt bon était en fait complètement rouillé. Mes collègues étaient sympathiques et patients avec moi. Des jeunes et des moins jeunes, tous très bien habillés. Le style romain dans les gestes et dans le style. C’était à la fois passionnant et déroutant. En rentrant, je repassai devant le cinéma. Un cinéma d’essai. Un cinéma qui semblait un peu abandonné. « Vous aimez le cinéma italien ? » C’était l’homme de ce matin. Cette fois, je lui souris. « Je m’appelle Camillo. Esther. » Il me tendit la main.  

  

Paris, janvier 2019. Cela ne pouvait être que Camillo. Mais pourquoi maintenant ? Les Quattro Fontane, le début de ma découverte de Rome. Camillo m’expliquait l’histoire de la ville enrichie d’anecdotes. Les empereurs, les papes, les rivalités, les morts atroces, les maladies, la pauvreté, la guerre, les années de plomb. Je buvais ses mots. Il m’emmenait dans des lieux méconnus des touristes. Dès que je finissais au cabinet, je courais le rejoindre. Le jour où nous nous étions rencontrés, il remplaçait un ami au cinéma Quattro Fontane. Un joli hasard, un caso comme il m’avait dit. Et puis, un jour, il avait disparu.   

Ce pan de ma vie appartenait au passé. Je me resservis un verre de vin, j'allumai la télé et je mangeai, tentant d'oublier la carte postale.  

 

Une semaine plus tard. Une autre journée difficile au travail. J’aimerais quitter Paris, pour de bon. Comme la dernière fois. En prenant mon courrier, une autre carte postale m’attendait. Cette fois-ci, c’était une place. Piazza Madonna dei Monti. Viminale 

  

Rome, avril 2009. Camillo avait un studio dans le quartier de Monti. Je dormais de plus en plus chez lui, délaissant ma chambre de bonne située dans le quartier étudiant, près de de Piazza Bologna. Monti, j’aimais son côté bohème, ses boutiques vintage, prendre un verre dans un de ses bars, danser jusqu’au matin. Monti, des rues sinueuses où je tombais nez à nez avec le Colisée, le joyau de la ville. Monti, c’était l’insouciance, ma dolce vita. 

 

Paris, janvier 2019. Que voulait me dire Camillo en m’envoyant ces cartes postales ? Je le connaissais trop bien pour savoir qu’il y avait un message. Combien de fois m’avait-il parlé de codes, de mots cachés, de souterrains dans une Rome où tout pouvait se savoir. 

Le lendemain, je trouvai non pas une mais deux cartes postales. Sur la première, je reconnus le jardin des orangers. Giardino degli Aranci. Aventino. La deuxième représentait le forum romain. Fori Romani. Palatino. Deux merveilleux endroits. Deux moments magiques vécus dans les bras de Camillo. Le coucher de soleil au printemps, l’odeur des fleurs d’oranger, une bouteille de Falanghina et nous deux admirant la ville dominée par ses collines, ses rioni et le Tibre. Au loin, la coupole de Saint Pierre. Er Cupolone, comme on l'appelait à Rome. Je lui avais dit que je ne voulais pas retourner en France. Il m’avait proposé de rester. La promesse de deux amants, un soir sur la colline de l’Aventin. Je sentais l´émotion me gagner. Trop de souvenirs refoulés. Je pris une boîte dans mon armoire. À l’intérieur, une photo. Lui et moi posant devant les ruines du forum. À ce moment-là, je croyais que notre amour était éternel comme ces vieilles pierres qui servaient de décor. Quelle ingénue ! Je remis la photo à sa place. J’étais en colère contre lui. Que me voulait-il ? Il m’avait abandonnée. Il avait effacé toute trace. Je l’avais cherché pendant de longues semaines avant de retourner définitivement en France.

Je ne dormis pas bien les nuits suivantes. L’ombre de Camillo était là. Ma vie défilait devant moi. Je n’arrivais pas à me concentrer au travail. Paris m’oppressait. J’attendais un signe. Plusieurs jours passèrent avant de recevoir une autre carte. Villa Celimontana. Celio.  

  

Juin 2009. Nous nous promenions à Villa Celimontana. Il tenait à me faire découvrir le Caelius, la colline résidentielle des empereurs romains. Il faisait beau. Que j’aimais la vie à Rome, loin de la grisaille parisienne. Je me sentais vivante ici. Camillo contribuait à mon bonheur. J’avais décidé de m’installer à Rome, je pouvais continuer mes études à La Sapienza, faire reconnaître des crédits et obtenir un double diplôme en droit. Cela semblait si simple, si parfait, comme cette journée dans le parc de cette magnifique villa du Cinquecento. Mon téléphone sonna. « Tiens, c’est ma mère. »  

Je raccrochai. Ma vie venait de changer.  

« Esther, non ti senti bene? 

  • ­C’est mon père. Il est malade. Très malade. Je dois rentrer à Paris. 
  • Mi dispiace. » 

Camillo me prit dans ses bras. Quelques jours plus tard, je rentrai en France pour être au chevet de mon père à qui on venait de diagnostiquer un cancer en phase terminale.  

  

Paris, janvier 2019. Je regardai par la fenêtre pensant à mon père, à sa maladie fulgurante. Il décéda quatre semaines après mon retour. J’aidai ma mère à organiser l’enterrement, à faire les nombreuses démarches. J’étais moi-même un automate. Je me sentais piégée. Je ne savais plus quoi faire. Un soir, ma mère trouva la force de me parler : 

« Esther, je ne vais pas te demander de rester et de veiller sur moi. C’est dur pour moi, pour toi. Mais tu as ta vie. Si tu veux repartir, repars. Ne reste pas pour moi.  

  • Mais il est trop tôt maman. 
  • Ce ne sera jamais le bon moment Esther. En revanche, tu as ton avenir à construire. Tu as tes études à finir. Tu as quelqu’un qui t’attend. Tu dois vivre. Fais-le pour toi, pour moi, pour ton père. » 

 

Je repartis pour Rome le 16 août.  

 

Je devais prendre un verre. Ma consommation d’alcool avait fait un bond ces trois dernières semaines. Je ne comprenais toujours pas les intentions de Camillo.  

Le lendemain, une autre carte postale m’attendait. Basilica di Santa Maria in Aracoeli. Campidoglio. Notre dernier déjeuner ensemble. Camillo voulait me changer les idées. Nous avions passé la matinée aux Musei Capitolini avant d’aller déjeuner dans une trattoria du Ghetto, non loin du Capitole. Tandis que nous traversions le Portico d’Ottavia, j’avais dit à Camillo que si nous avions une fille, je voudrais l’appeler Ottavia. Il avait ri. Nous avions mangé des carciofi alla giudia. Nous avions parlé de mon départ et Camillo m’avait rassuré.  

« Esther, pense à ton père, à ta mère, à toi. Moi, je serai là, dans mon studio à Monti, à peindre en t’attendant.  

  • Tu m’attendras ?   
  • Certo, bambina. Quand tu reviendras, je serai là et je t’emmènerai manger une bonne carbonara parce qu’en France, vous ne savez pas cuisiner ! 

Je me mis à rire avant d’éclater en sanglots : 

  • J’ai peur Camillo. Tellement peur. De perdre mon père, de te perdre. De me perdre. 
  • Tranquilla. Pendant que tu seras au chevet de ton père, tu devras être au chevet de ton père. On ne s’appellera pas. Tu sais que je n’aime pas ça. Mais cela ne veut pas dire que je ne penserai pas à toi. Tu es là, insista Camillo en me montrant son cœur. J’insiste Esther. Tu dois penser à ton père. Te focaliser sur lui. Nous, on aura tout le temps. 

Cette conversation me poursuivit longtemps. Savait-il déjà à ce moment-là qu’il allait disparaître ? M’abandonner ? La maladie de mon père, avait-elle été un prétexte pour me quitter ? En m’envoyant ces cartes postales, jouait-il avec moi ? Avais-je pu me tromper à ce point sur lui ? Je noyai mon chagrin, mes interrogations, ma colère dans le vin. On ne sait peut-être pas cuisiner en France mais on a du bon vin au moins, pensai-je. 

 

Février 2019. Les cartes n’arrivaient plus depuis plusieurs jours, et pourtant, je n’arrêtais pas de penser à lui. Alors que je montai les escaliers, je croisai mon voisin.  

« Esther, bonjour.  

  • Bonjour Monsieur Lévêque. Vous êtes rentré du Portugal ?  
  • Oui, hier soir. Oh, mais j’y pense. J’ai quelque chose pour vous. Tenez. Le facteur m’a donné cette enveloppe le jour où je suis parti. J’étais en retard pour prendre le taxi pour l’aéroport et du coup, elle a voyagé avec moi au Portugal.  
  • Oh ! 
  • Je suis désolé Esther. 
  • Ne vous inquiétez pas. Merci. » 

Je rentrai chez moi en serrant bien fort l’enveloppe. Elle renfermait peut-être les réponses à mes nombreuses questions. J’avais pris un calendrier pour vérifier la date où j’aurais dû la recevoir. Elle devait être la première de la série. Je l’ouvris. Santa Maria Maggiore. Esquilino. Notre au revoir. La dernière fois où nous nous vîmes. On avait remonté via Cavour et on s’était arrêtés en face de la Basilique de Sainte Marie Majeure pour prendre un espresso. Puis, il m’avait accompagné jusqu’à la gare de Termini. 

« Esther, ce n’est pas un adieu. Rappelle-toi. Tu es dans mon cœur, comme je le suis dans le tien. » Nous nous étions embrassés une dernière fois. Le contrôleur de train avait sifflé. Le Leonardo Express était sur le point de partir pour l’aéroport. 

La boucle était bouclée avec cette dernière carte postale même si le puzzle me semblait incomplet. Cette carte était la première de la série de sept cartes : 

Santa Maria Maggiore, Esquilino. Quattro Fontane, Quirinale. Piazza Madonna dei Monti, Viminale. Giardino degli Aranci, Aventino. Fori Romani, Palatino. Villa Celimontana, Celio. Basilica di Santa Maria in Aracoeli, Campidoglio.           

  Des lieux que j’avais fréquentés. Des pièces d’histoire. Des pièces de mon histoire, de notre histoire.

Ensemble, ces pièces voulaient dire quelque chose. Camillo était un artiste, un passionné de la Rome Antique et de la Rome de la Renaissance. Il aimait les mystères. Je devais percer l’énigme. 7 cartes. 7 mais oui 7, m’exclamai-je ! 7 comme les sept collines de Rome : Esquilino, Quirinale, Viminale, Aventino, Palatino, Celio, Campidoglio.  

Ces 7 collines cachaient un message, je le savais, je le sentais. Je googlisais les sept collines pour tenter d’en savoir plus. Je ne trouvai rien. Je tapai dans le moteur de recherche « Quels sont les différents codes ? » puis « Comment écrire un code ? ». Je tentai plusieurs combinaisons. Rien ne fonctionnait. Puis d’un coup, j’eus un flash. J’essayai et j’obtins : 

Es – Qui – Vi – A – Pa – Ce – Cam.

En prenant la première syllabe, une phrase apparaissait : Es(ther), qui via Pace. Cam(illo). Un rendez-vous. Camillo me donnait rendez-vous via della Pace.  

J’ai rencontré Camillo le 10 mars 2009. Pour notre première sortie, deux jours après, il m’emmena prendra un verre à l’Antico Caffè della Pace, un bar historique de Rome, non loin de la place Navone. Nous avions parlé musique, cinéma et littérature. Il avait voyagé plusieurs fois en France, surtout à Paris. Il adorait Gainsbourg. Il m’avait fait écouter dans son iPod Celentano et Mina. Nous avions échangé notre premier baiser.   

Je regardai mon portable. Nous étions le 12 février. J’avais un mois pour m’organiser et partir à Rome. J’avais rendez-vous avec mon histoire. 

  

12 mars 2019. Il ne viendrait pas. Je le savais. Avais-je mal interprété son message ? J'étais pourtant certaine que non. C'était au bar de l'Antico Caffè della Pace que nous avions commencé notre histoire.   

Il ne viendrait pas. Comme un signe, l’Antico Caffè della Pace avait fermé il y a quelques années. Ce chapitre de ma vie, était-il, comme ce bar, clôt pour toujours ? Je regardai ma montre, encore une fois. Je jetai un dernier coup d’œil à ce café mythique de la ville, ce café qui avait accueilli de nombreux amants et de nombreux artistes, ce café qui n’existait plus, qui avait été abandonné. Je devais moi aussi tourner la page. Je repris la rue della Pace quand soudain...

Un portrait se dressait devant moi. C'était moi, nue, il y a 10 ans. Je rentrai dans la galerie.

« Buonasera, je vous attendais. » Un homme se tenait devant moi. Je ne l’avais jamais vu. « Ceci est pour vous. » Il me tendit une lettre.   
   
« Amor, si tu lis ces mots, cela signifie que tu as reçu mes sept cartes postales représentant les sept collines de Rome et que tu te trouves dans la galerie de Pietro qui essaiera de répondre à toutes tes questions si tu en as encore après avoir fini la lecture de cette lettre. J’aimerais te dire que je vais arriver et te surprendre. J’aimerais te voir et être à côté de toi. Ce n’est pas moi qui t’ai envoyé les cartes postales mais Pietro qui a suivi mes indications, mes dernières volontés. Pietro, c’est cet ami loyal qui nous a permis de vivre notre histoire d’amour. Si je ne l’avais pas remplacé ce jour-là, nous ne nous serions jamais rencontrés. Je lui ai confié une lourde tâche. Organiser une chasse au trésor pour que tu puisses enfin avoir les réponses à ce qui s’est passé il y a 10 ans.  Quelques jours après ton départ pour la France, j’ai eu un malaise. J’ai alors mis ça sur le manque de sommeil. J’étais en train de travailler sur mon œuvre « Au-delà des collines », ton portrait. Je ne me suis pas inquiété. Puis, j’ai eu un autre malaise. Cette fois-ci, j’étais avec Pietro. Il m’a emmené au Policlinico. Après plusieurs examens, les médecins m’ont diagnostiqué un problème cardiaque et ils m’ont condamné à six mois de vie. J’ai alors pris la décision la plus difficile de ma vie. Une décision peut-être égoïste mais qui crois-moi était dictée par l’amour. Tu étais en France pour ton père, lui aussi condamné. Je ne voulais pas que tu choisisses. J’ai choisi de t’abandonner. Je voulais chérir nos merveilleux moments, nos doux souvenirs. Je me suis effacé, j'ai disparu. J’ai déménagé à la campagne où je suis en train de rédiger cette lettre. Je savais qu’un jour, une fois ta blessure cicatrisée, tu devais connaître la vérité. J’ai donc organisé comme cadeau d’adieu ce jeu-mystère. Reparcourir notre histoire à travers Rome. De Roma à toi mon Amor, ma vie a été heureuse. Je t’aimerai au-delà. Camillo. » 

Je levai la tête vers Pietro.

« Camillo est mort le 23 novembre 2009. Jusqu’à son dernier souffle, il a pensé à toi Esther. »

  

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