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Chronique : Bombetta et borsalino, les deux mots d’une tête au top

De la bombetta au borsalino, l’histoire de deux chapeaux contraires, qui ont habillé les têtes du Napolitain Totò à Delon et Belmondo.

jeune homme assis avec chapeau borsalino sur la têtejeune homme assis avec chapeau borsalino sur la tête
Photo de Nadya Glo sur Unsplash
Écrit par Françoise Danflous
Publié le 15 mai 2024, mis à jour le 20 mai 2024

C’est l’histoire de deux chapeaux contraires, le premier dur et l’autre mou, ayant coiffé tour à tour une bonne moitié de la planète. Le plus ancien, la bombetta, c’est avec ce petit mot cocasse que les Italiens nomment le chapeau melon, troqua sa réputation de couvre-chef à gentleman pour prendre un tour définitivement comique dans l’imaginaire italien. Et le borsalino, italien du tout au tout, quitta une petite ville du Nord de l’Italie pour endimancher le monde entier se voulant au top du chic et du charme.

Première moitié de l’autre siècle : sortir sans chapeau, c’était comme descendre dans la rue sans chaussures ou torse nu. Pire pour une femme dehors sans coiffe ni fichu ; elle était en cheveux, forcément bougresse et de mœurs guère avouables. C’est dit, le chapeau, il cappello, qui habillait contre le froid, la pluie et le soleil, annonçait aussi, beaucoup, la position sociale et la profession des gens qui en agrémentaient leur tenue. Le chapeau melon eut même l’étonnant privilège de jouer sur plusieurs tableaux, donnant parfois l’élégance compassée du banquier londonien, parfois la dégaine drolatique des Laurel et Hardy, Stanlio (de Stanley Laurel) e Ollio (d’Oliver Hardy) comme disent les Italiens. On l’a doté de nombreux noms, bowler en Angleterre (du nom de son créateur), derby aux États-unis (les amateurs de cette course hippique s’en paraient). Les francophones y mirent plus de fantaisie en jouant sur sa forme, chapeau melon en France et chapeau boule en Belgique. Mais nous sommes en Italie et, tout bombé qu’il est, le voici transformé spontanément, joyeusement, en bombetta que, c’est vrai, nous avons aussi avec la bombe, le chapeau rond du cavalier. Et là, oh my God, la bombetta abandonna à jamais toute inflexion britannique ! Elle devint l’apanage du Napolitain Totò, monstre sacré du théâtre et du cinéma comiques italiens avec d’un coup, accents, gestes et démesures du profond Mezzogiorno !

Le costume de Totò écarta d’un grand rire le so british du chapeau melon: « sotto la bombetta ci poteva stare solo la faccia di Totò » (seul le visage de Totò pouvait exister sous un chapeau melon) aurait dit l’acteur en se l’appropriant d’une seule phrase. Le chapeau melon a réussi un voyage fichtrement improbable du smog londonien aux soleils de Campanie. Au fil des représentations et des films, l’homme et sa bombetta se transformèrent en maschera, c’est-à-dire en personnage type de la comédie italienne dont vêtements, caractère et ville natale font tout un, comme chez cet autre Napolitain versatile et fanfaron, le Pulcinella (Polichinelle) bossu à gros ventre et nez crochu toujours vêtu de blanc. Totò, sacré principe della risata, prince du rire, imposa donc son burlesque à bombetta et pantalon a saltafosso (ou zompafuosso en napolitain) : un pantalon trop court, comme si on allait sauter, saltare (ou zompare) par-dessus un fossé. Ah tiens, mais c’est fou ça, plus au Nord, on le désigne d’un facétieux pantaloni acqua in casa comme si on sortait d’un chez soi bien inondé. Plus loin, chez nous, on parle d’un pantalon feu de plancher ! Caricature accomplie ! Et si Totò n’est plus, la sacro-sainte bombetta lui survit et trône : l’une fut déposée dans une vitrine du théâtre San Ferdinando de Naples, une autre sur son cercueil. Quant à la troisième, dite bombetta di Totò, une redondance inutile mais l’excès, à Naples, ça compte, c’est une tuerie de petit gâteau, crème et chocolat, hommage de Poppella, pâtisserie historique de la ville.

C’est comme tout, les choses vont, viennent faisant que parfois les goûts qu’on croyait les plus définitifs déclinent et voilà que la bombetta finit par tout doucement passer de mode. Ce sont les borsalinos (borsalini ne se dit pas en italien non plus) qui la remplacèrent dans les rues et les galas. Giuseppe Borsalino, mastro cappellaio formé dans les années 1850 à Paris, conçut son modèle iconique dans sa ville piémontaise d’Alessandria : une ample silhouette à beau ruban, avec ce je ne sais quoi de terriblement et toujours aguicheur. D’emblée, une allure folle à l’italienne ! Mais il reste une question : ce renfoncement, là, des deux côtés du chapeau, une invention pour faire encore plus beau ou autre chose ? Réponse à la grand méchant loup : c’était, dit-on, pour mieux attraper le dessus et levarsi il cappello, se découvrir, devant les dames ! C’est ça le borsalino, un chapeau des bienséances qui entoure son propriétaire d’une aura de charisme et mystère. Tout le monde s’en empara, aussi bien les vilains (gangsters, mafieux) et les bons (détectives privés, reporters) de la vraie vie que les beaux du noir et blanc (Greta Garbo, Marlene Dietrich, Humphrey Bogart) et du technicolor avec, bien sûr, les Delon, Belmondo dans leur « Borsalino », où le titre sur l’affiche est figuré par la célébrissime signature-logo de la marque.

Un croche-pied à traducteur

Le nom des chapeaux est un croche-pied à traducteur ; le berretto est une casquette ou un bonnet selon qu’il a ou pas une visière. Le béret se dit basco, en souvenir du béret basque et, nous y sommes, Borsalino est le nom de l’entreprise qui fabrique, entre autres, la bombetta – micmac et sac d’embrouilles ! - ainsi que le fedora, que l’on appelle communément… borsalino. Respirons d’un bon souffle car voici tout de suite une nouvelle trappe à néophyte : ce n’est pas la mais le fedora qu’il faut dire, en français comme en italien. Quelque peu saugrenu si l’on fait remonter le mot à Sarah Bernhardt qui, dans « Fédora », une pièce de Victorien Sardou, portait un chapeau en feutre mou s’en approchant. Femme excentrique très engagée, la divine offrit donc une facette inattendue au couvre-chef à beau gosse, le transformant en symbole des droits des femmes et des suffragettes. Quelques années plus tard, la communauté des borsaline, surnom des ouvrières des usines Borsalino, bouscula à son tour les tabous de l’époque, sortant le soir sans messieurs, bigre, ou créant avec cran et toupet une véritable équipe de foot en 1948 ! Hé non, certes que non, le borsalino n’est pas là que pour faire beau : c’est de surcroît le chapeau de toutes les bravades, devenu révolutionnaire malgré lui. Et de toutes les longévités, de toutes les postérités car on l’a vu aussi figurer sur un timbre, comme le pape et la reine d’Angleterre !

 

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