Moka ! La cafetière italienne, chic et fameuse comme une Vespa ou une Cinquecento, ne s’est pas grippée derrière les zonzons électriques des machines à capsules et dosettes médiatiques.
Moka ! Quatre lettres comme un cri de ralliement. La cafetière italienne, chic et fameuse comme une Vespa ou une Cinquecento, ne s’est pas grippée derrière les zonzons électriques des machines à capsules et dosettes médiatiques. Caféinomanes, nostalgiques, italophiles, tout un monde répond encore à ses gargouillis qui donnent le la aux matins italiens et, glou, disent que le meilleur café du monde est en train de se faire !
Ah, la cafetière ! Aussi loin qu’on s’en souvienne, sa bonne bouille lui valut des noms comme on en donne aux jouets. Il y eut la caféolette (jouant sur café au lait car l’eau y remplaçait souvent le lait), la vesuviana, la bikinette, l’atomic. Ou la cocasse cuccumella (en latin « petit chaudron »), cafetière napolitaine par excellence que l’on retourne pour faire passer l’eau et qui, mais si, fut inventée en France au début du siècle dernier. Le mot moka quant à lui donne l’écho d’une lointaine Moka, un port du Yémen qui embarquait les meilleurs cafés vers l’Europe. Périple après périple et par assimilation avec sa cargaison, Moka, la ville, cassa sa majuscule pour devenir moka, le café. Avec l'arrivée fracassante en 1933 de la Moka Express d’Alfonso Bialetti, le moka se dédoubla en la moka, cafetière à pression, aujourd’hui consacrée dans les dictionnaires italiens ; chez nous, allez savoir pourquoi, Le Petit Robert oui, le Petit Larousse, non. Au cours du temps, la famille Bialetti se laissa toucher par le goût du mot et lança la Mokina, moka miniature, la Mokona, la grosse, grande moka (comme on dit testa, tête, testona, grosse tête), la Mokissima puis la Mukka Express pour faire des capuccinos, où le cousinage moka mucca, vache, se lit très vite. Bref, sitôt fabriquée sitôt adoptée, la moka et son mot déboulèrent dans les cuisines italiennes devenant la reine de toutes. La chose ne se discute plus : dire cafetière italienne ou, plus affectueusement, macchinetta del caffè, eh bien c’est parler d’elle.
L’Omino coi baffi
L’Omino coi baffi, petit bonhomme à moustache, comme l’ont baptisé les Italiens, se tient gravé droit comme un i sur les Mokas Express. Chaussures, veste, papillon, chapeau, moustache tout d’un fier noirissime ! L’index levé ? Ah, mais si on avait le son, ce serait quelque chose comme « un caffè per favore ! » qu’on entendrait. Ne cherchons pas, c’est Renato Bialetti, le fils d’Alfonso l’inventeur. Apparu autour des années 50, l’Omino et la moka furent dès lors indissociables pour tous, tellement qu’un beau jour, par le plus étonnant des passe-passe, Renato est entré tout entier dans sa cafetière ! Ni farce ni feinte, l’histoire en laissa beaucoup pantois : les cendres de l’homme furent déposées dans une urne en forme… de grosse Moka Espress. L’Omino coi baffi et sa créature rejoignirent l’éternité après avoir scellé leur aventure à celle d’autres Omini, petits bonshommes publicitaires, l’Omino Michelin, notre Bibendum (hé non, le mot Bibendum ne dit rien à personne de ce côté-ci des Alpes) ou l’Omino Bianco, grande marque de détachant italienne. Et formé le trio historique des mascottes de télévision avec la Linea, des articles de cuisine Lagostina, et le Calimero des lessives Ava.
La cafetière lessiveuse
À propos de lessive, et si on faisait une petite pause en préparant un café dans une lessiveuse ? Fichtre et fouchtra, c’est quoi ce délire ? ! Délire ? Mais c’est l’intuition du siècle ! La sublime révélation d’un Français, Louis Bernard Rabaud, qui imagina en 1822 la cafetière lessiveuse, c’était son nom, selon le principe de la percolation : en quelques mots, l’eau bouillait, traversait la lessive, ici la mouture de café, et remplissait le réservoir. Alfonso Bialetti, le père, ingénieur italien émigré en France, en aurait perfectionné l’idée en observant sa femme laver le linge dans sa lisciveuse (de liscivia, la lessive d’autrefois). Plus facile à utiliser, plus rapide que l’adorée cuccumella napolitaine que la moka détrôna en quelques années. Bref, avant, le café espresso, l’Italien ne le buvait que debout, al banco (au comptoir) d’un bar. La Moka Express lui donna le goût du bar au saut du lit. D’ailleurs, cet omino coi baffi… œil mi-clos… pantalon rayé… Et si c’était monsieur Bialetti oui mais le matin, tout en tenue de distrait, mi-costume mi-pyjama ?
Quel rapport y a-t-il entre la moka Bialetti et un avion ? La forme ? Du tout. Et puis, pour dessiner les huit larges pans de sa cafetière, la légende dit bien qu’Alfonso Bialetti a longtemps regardé les grandes jupes de sa femme Ada. Bon, la famille Bialetti aime bien recouvrir sa cafetière vedette de petites mythologies et celle-ci, avouons-le, s’y prête à merveille. Tiens, la moka n’a pas le don de la parole mais celui du mime, on s’y croirait : ce manche qui ressemble à un bras posé sur la hanche, ne dirait-on pas un « c’est à cette heure-ci que tu rentres ? » réprobateur de madame Bialetti ? C’est ça. Vrai, pas vrai, ça va, ça court, on en rajoute et ça étoffe l’objet le plus à part de nos cuisines : mitica (mythique), inconfondibile (incomparable), irrinunciabile (indispensable) moka ! disent les amateurs de ses cafés. Oui mais l’avion là-dedans ? La question porte en fait sur le métal ; à l’époque de la fabrication de la Moka Express, le régime fasciste forcé à l’autarcie encouragea la production de produits nationaux comme l’aluminium. Réponse à la devinette : on en fit beaucoup d’aeroplani… ainsi qu’une petite cafetière bizarroïde et bon enfant, résistante, légère, d’une belle couleur argentée et, mille hourras, si réussie qu’elle figure à la fois dans les dictionnaires, sur nos fourneaux quotidiens et dans les plus prestigieux musées du design !