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Carosello et Giostra, deux drôles de mots pour un manège

Par quelle diablerie, alors que rien ne les rapproche d’un millimètre ni à l’œil ni à l’oreille, nos trois "manège", "carosello" et "giostra" sont en fait quasiment la même chose.

manège caroussel illumine la nuitmanège caroussel illumine la nuit
Photo de Ran Berkovich sur Unsplash
Écrit par Françoise Danflous
Publié le 11 janvier 2024, mis à jour le 15 mai 2024

En italien manège peut se dire carosello ou giostra. Bon mais nos deux langues ne sont-elles pas si cousines que tout s’y dit d’une manière ressemblante, bonjour buongiorno, colline collina, soldat soldato ? Tout doux : paysan donne contadino, moutarde senape etc. etc. et il y a sans doute plus de mots dans cette veine-là. En fait, la question qui se pose ici, c’est de savoir par quelle diablerie, alors que rien ne les rapproche d’un millimètre ni à l’œil ni à l’oreille, nos trois manège, carosello et giostra sont en fait quasiment la même chose.

Tout commence le plus simplement du monde : manège descend bien d’un maneggio s’en approchant comme deux gouttes d’eau. Sauf que là, et c’est le piège, on ne parle pas d’une attraction pour enfants à gros flonflons, pompons rouges, mais du dressage des chevaux, et du bâtiment qui en abrite l’exercice. Pareil en français qui utilise manège dans ce sens, le dictionnaire plaçant même cette définition avant les autres. Le manège-maneggio s’appliqua en outre au mécanisme de la noria actionné par un cheval, une mule ou un âne, qui marchent et remarchent sur un seul rond. Par la scène tournante et obsédante qu’il montrait, le mot a tout naturellement fini par donner son nom au manège de luna-park. Enfin… à l’envers. En effet, les mots sont un tantinet filous et personne ici ne hennit ni ne renâcle, les chevaux sont en bois et c’est la piste sur laquelle on les a vissés qui tourne.

Et cette giostra qui désigne les manèges tels qu’on les connait aujourd’hui, on la met où ? Deuxième pirouette, c’est le français joute qu’elle montre au bout de sa lignée. Ce n’est donc, pas encore, une machine de fête foraine mais un tournoi médiéval, d’ailleurs toujours en vogue en Italie comme la fameuse giostra del Saracino (joute du Sarrazin) d’Arezzo. Un tournoi, c’est une succession de joutes réglées sur des figures prévues, exactement dans le principe du carrousel qui devait lui succéder. De joute, ou tournoi, au manège pour enfants, il n’y a pas si loin, ça va et vient et on se tient comme on peut sur des chevaux gardant les mêmes distances et allant toujours dans la même direction.

Tiens, tiens, à propos, en Belgique comme en Suisse le manège pour enfants se dit justement carrousel. Emprunté à l'italien carosello, qui ne désigne que la giostra dei cavalli, le manège avec des chevaux de bois, le mot montrait également une parade de cavaliers ainsi que le lieu où elle se déroulait ; la place du Carrousel à Paris où Louis XIV offrit un spectacle équestre à la naissance de son fils en perpétue le souvenir. Un chouia saugrenu, ce carosello qui n’est pas à proprement parler italien mais… napolitain. Le carusiello était une petite balle en argile que se lançaient les cavaliers d’un jeu introduit par les Espagnols ainsi qu’une tire-lire en terre cuite, par ressemblance avec la tête lisse et rasée (carusata) de petit garçon (caruso). Oh, oh ! Alors, et pour rester dans le ton de l’histoire, adieu poils, crinières et panaches des créatures de manège ! Et Caruso, le ténor ? Non non, la question n’est pas toute idiote car les noms de famille s’inspiraient souvent du physique : ici, le mystère ne devrait pas être gros, il y avait sans doute une habitude de pelés tondus chez ses aïeux.

Bien ancré dans la mémoire collective des Italiens, Carosello était aussi l’émission culte des années 60. Une parade de sketchs publicitaires s’enchaînant à vive allure, comme dans un manège, avec des noms illustres, chanteurs (Mina, Patty Pravo, Ornella Vanoni, Gianni Morandi), acteurs (Alberto Sordi, Virna Lisi, Vittorio Gassman), cinéastes (Ettore Scola, les frères Taviani, Fellini). Deux petits personnages farfelus bientôt célébrissimes y firent leurs débuts. Le Calimero des frères Pagoto, un poussin noir coiffé d’une coquille d’œuf, ambassadeur tristounet de la lessive Ava et dont le « c’est vraiment trop injuste ! » (« ma è un’ingiustizia però ! » dans la langue originale) a remporté un succès fou. Tellement que médecins et psychologues ont ajouté au livre de leurs pathologies le syndrome de Calimero répertoriant toutes les manies des gnangnans casse-bonbons de nos entourages. Puis la génialissime Linea d’Osvaldo Cavandoli, ligne blanche prenant la forme d’un petit bonhomme onomatopéique et ronchon, mascotte des cocotte-minute de la marque Lagostina. Le programme se clôturait sur le fatidique « E dopo Carosello tutti a nanna » (« et après Carosello, dodo tout le monde ») dans les années où les petits Français recevaient le Bonne nuit les petits de Nounours et son marchand de sable. Des deux côtés des Alpes, on s’endormait avec la télé bienveillante et bon enfant d’une époque sacrément révolue !

On est ridicules sur un cochon rose bonbon ou sur un Donald grandeur nature. On verdit, on flageole, on s’égosille de maisons hantées en montagnes russes. Et, entre chaque tour de manège, on avale hot-dogs, chichis et barbes à papa dans n’importe quel ordre, à n’importe quelle heure. Ouf, dix fois ouf, ni la caricature ni la nausée n’ont jamais tué personne. Bref, que ce soit sur un carosello ou tout autre manège et giostra, l’autre douce diablerie du trio mécanique et festif est qu’on s’y transforme chaque fois en créatures guère reluisantes et que, pim, on y revient toujours avec délectation.

 

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