Pourquoi et comment a-t-on baptisé d'un Paparazzo plutôt insolite le photographe de La Dolce Vita ? Enquête sur un mystère digne des grandes étymologies, pour un mot qui s’est imposé dans de nombreuses langues !
Grand chasseur de scoop honni des divas, le paparazzi se pose aux antipodes de ses confrères photographes. D'abord parce qu'avec lui, on ne prend pas la pose. Il ne prononce pas non plus la formule le petit oiseau va sortir (en italien guarda l'uccellino, regarde le petit oiseau) qui nous impose une apnée le temps d'un déclic, ni le saugrenu ouistiti (les Italiens disent cheese, comme nous parfois) pour nous garantir un portrait aimable et souriant. Avec lui, c'est au contraire le flou, la grimace, le vilain geste qui sont le gage d'une photo volée, donc réussie.
On l'imagine, le nom d'un personnage de conte, roman, film, ne se ramasse pas comme ça, au détour d'un chemin. Alors la question vient toute seule : pourquoi et comment a-t-on baptisé d'un Paparazzo plutôt insolite le photographe de La Dolce Vita ? Fellini qui adorait brouiller les pistes laissa fermenter la légende. Un jour, il avait laissé croire que c'était tout simplement un copain d'enfance de Rimini. Bon. Giulietta Masina, sa femme, que le mot paparazzo était la rencontre de pappataci (petits moustiques de la plaine du Pô) et de ragazzo (garçon) ou, selon d'autres, razzi (éclairs du flash), c'est-à-dire l'expression du parfait importun. Belle trouvaille. Ennio Flaiano, le scénariste fétiche de Fellini, s'amusait, quant à lui, à comparer le mitraillage des déclics des paparazzi au clic clac des valves d'une espèce de palourdes, paparazze en dialecte des Abruzzes. Pas mal. Sauf que : aucun démenti, pas une fois, aucune concordance sur rien. Au fil des interviews et des révélations, le mot devenait aussi insaisissable que le personnage qu'il incarnait : un mystère digne des grandes étymologies.
La 2e, 3e et 4e vie d'un Calabrais inconnu
Dans un article publié dans le journal L'Europeo puis dans les carnets La solitudine del satiro, Flaiano donna la vérité. Il y est écrit que, lors du tournage de la Dolce vita, le réalisateur et son scénariste se consultaient, en vain, pour trouver un nom à leur photographe. Quand tout à coup, le hasard y mit sa patte. À cette époque, Fellini lisait un récit de voyages, Sur les rives de la mer Ionienne, de l'écrivain anglais George Gessing. Flaiano en parcourut quelques pages. L'Anglais avait traversé l'Italie du sud. Oui. Il avait séjourné à Catanzaro en 1897. Bon. Dans une chambre de l’Albergo Centrale. Et alors ? Tenu par un certain... Coriolano Paparazzo. Pa-pa-raz-zo ! Eureka ! Il fallait un nom détonant comme le photographe qui allait le porter et Flaiano, scénariste au grand flair, venait de tomber pile dessus. C'est ainsi qu'un Calabrais inconnu du fin fond de l'Italie et mort depuis longtemps reçut une deuxième vie, finissant dans les feuillets d'un écrivain de passage.
Puis, de là, une troisième en entrant bras dessus bras dessous avec les grands Mastroianni, Anita Ekberg et Anouk Aimée dans un film qui remporta la Palme d'or à Cannes en 1960. Le 23 octobre 1999, sur la façade de l'ancien hôtel, une plaque commémorative fut dévoilée en l'honneur de monsieur Coriolano Paparazzo dont le nom, y lit-on, « allait devenir célèbre de nombreuses années plus tard grâce à Federico Fellini, Ennio Flaiano et au film La Dolce Vita ». Une autre petite histoire ? Disons que là, au moins, c'est du solide : une plaque en travertin vissée sur des pierres pluri-centenaires.
La figure du paparazzi se montra dès les débuts du cinéma, traquant Greta Garbo, Fred Astaire et tous les divas, divos qui s'ensuivirent. Mais le bonhomme n'était alors que « photographe de presse », « photographe à scandale » comme on disait ou quelque chose s'en s'approchant. Ce paparazzo tout frais sorti d'une Dolce Vita désormais célébrissime sonnait si bien à l'oreille qu'il allait combler ce vide et entrer tel quel dans de nombreuses langues. Et ce fut le début d'une quatrième vie, celle-ci quasi éternelle. En France, il s'imposa surtout au pluriel ; on dit un paparazzi et pas un paparazzo (comme ravioli ou panini) peut-être parce qu'il se déplace souvent en essaim. On n'attendit pas très longtemps pour lui donner un verbe : paparazzare (paparazzer, oui oui, ça se lit, ça s'entend quelquefois dans les journaux, à la radio), pour dire photographier une célébrité à son insu. Puis la paparazza (on dirait une danse espagnole) s'embusqua à son tour derrière les portes et dans les cages d'escalier pour tenter de décocher le cliché du siècle. Il y eut la paparazzata, paparazzade, pour indiquer une filature ou une photo volée. Depuis quelque temps d'ailleurs, la mode est aux paparazzades truquées, des photographies prises avec l'accord (eh oui, c'est à n'y pas croire) de certains héritiers de familles royales ou de starlettes en mal de célébrité laissant croire qu'elles ont été volées, pour crier au scandale et faire du battage autour d'eux.
Par le plus grand des hasards, les dictionnaires italiens consacrèrent paparazzo dans les années où un cocasse gossipparo (de gossip, ragot), son alter ego scribouillard colporteur de potins mondains, y fit son apparition. Tiens, celui-ci n'est jamais passé en français, pourtant le mot nous manque. On ressortirait bien les potinier, cancanier, jacassier de nos grands-mères mais ils ne sont pas assez médiatiques, ils sentent vraiment la vieille concierge. Y aurait-il un écrivain voyageur, un scénariste de génie et un cinéaste extravagant dans le sud de l'Italie en ce moment ?