Quand les noms des petits gâteaux posent de gros soucis aux pâtissiers… alors que certains auraient pu titiller d'autres susceptibilités mais sont pour l’instant épargnés. Excursion gourmande et historique, en France et en Italie.
La meringue au chocolat se cherche...
Les têtes de nègre, célébrissimes meringues à la crème recouvertes de chocolat, les petits Français d'il y a une ou deux générations en réclamaient tout le temps à la sortie des écoles. Aujourd'hui, c'est fini, elles ont disparu. Enfin, c'est leur nom qui a disparu, nègre ayant des connotations indéniablement racistes. Les parents (pour avoir la paix) et les pâtissiers (pour relancer leur affaire) firent pression afin de ressusciter ces têtes bien embarrassantes sous un nom différent.
Le Larousse 2023 proposa donc une meringue-choco bon enfant mais, disons-le, d'une platitude à fendre l'âme. Nous sommes loin des esprits d'antan qui nous laissaient rêveurs en inventant des noms comme Paris-Brest, Forêt-noire, saint-Honoré. Mais ce nouveau nom est-il aussi irréprochable qu'il ne paraît ? Lorsqu'en fier Sherlock Holmes, nous jouons à remonter la piste du mot meringue, comme ça, histoire de voir et parce qu'on a le temps, c'est l'horreur. Plusieurs anecdotes se disputent la paternité de ce mot de rien du tout, c'est vrai, mais le dictionnaire historique de la langue française d'Alain Rey met à la première place (et la première place, ça marque) le polonais murzynka voulant dire... « négresse » !
Sacré nom d'une poisse ! Sans compter que la meringue, heu, ben c'est blanc. Et voilà que nos mémoires, par paresse ou par stupeur, vont s'arrêter à la première supposition et retenir une négresse-choco plus abominable que le mot qu'elle remplace. Échanger le mot meringue pour recueillir à la place sa définition toute crue et conjurer d'ultérieures mauvaises surprises ? Par exemple « blancs d'œuf cuits au four » ? L'envie d'y goûter vous tombe tout net.
Mêmes gros soucis pâtissiers en Italie. L'affaire vient de Suisse et d'une mousse de meringue enrobée de chocolat puis enveloppée dans du papier doré, très prisée des Italiens. D'ailleurs, quand ils passaient la frontière, bambins, grands frères, sœurs et parents, tout le monde en faisait de belles razzias. La gourmandise, à l'époque moins chère qu'en Italie, s'appelait Mohrenköpfe (tête de Maure) en Suisse alémanique, Moretto (petit Maure) dans les cantons italophones et tête de nègre, ce que nous sommes indécrottables, dans la Suisse francophone.
En 2017, la presse suisse s'acharna contre ces friandises guère recommandables, articles, pamphlets, pétitions voletèrent un peu partout. La polémique atteint son paroxysme après le meurtre d'un Afro-Américain par un policier à Minneapolis. Là, le grand supermarché suisse Migros n'hésita pas à les retirer de ses magasins. Puis, comme en France, sous la pression de ses aficionados chagrins, la confiserie réapparut sous le nom de tête au choco en français puis Schokoküsse et bacio di cioccolato (baiser de chocolat) en allemand et en italien. D'autres magasins décidèrent pour un kiss passe-partout cucul et de grande fadeur linguistique. Un massacre est-il lancé ? Et alors le café marocchino (petit Marocain), genre de cappuccino serré pour les accompagner, on l'appellera comment ? Et les délectables teste di Moro, têtes de Maure, (génoise, rhum, chocolat) qu'on trouve partout en Italie, aux oubliettes itou bientôt ? Remplacées par ces sfere al cioccolato (sphères au chocolat) que l'on commence à lire dans certaines vitrines pâtissières prétendues chics ? Heu, nous sommes en train de parler de mots pour nous faire saliver d'avance... ou de suppositoires ?
Pets de nonne, tette delle monache… Des gourmandises et des histoires
D'autres noms de gâteaux auraient pu titiller d'autres susceptibilités mais allez savoir pourquoi, ceux-là n'ont jamais, ou pas encore, provoqué de holà. Les très appétissants pets de nonne de chez nous ou les tette delle monache (seins de bonnes sœurs) venues des Italiens du Sud. Que l'on soit croyant ou pas, il faut l'admettre, ces pâtisseries ne sont pas vraiment respectueuses. Du Vatican voisin, pourtant, pas de rappel à l'ordre, rien. Trop gourmets, les prélats, distraits ou malicieux ? La mésaventure d'une religieuse de l’Abbaye de Marmoutier s'écoute comme un conte pour enfants : une nonne péta, sursauta, fit tomber sa pâte à chou dans une marmite et il en ressortit un drôle de beignet à l'odeur, comble d'ironie, terriblement alléchante. Du La Fontaine ? Du Perrault ? La légende italienne courant sur les tette delle monache, de toutes petites génoises à la crème, raconte encore une maladresse. Une religieuse du couvent de Santa Chiara d'Altamura, dans les Pouilles, se trompa dans la fabrication de son dessert et des boules légèrement pointues ressemblant un peu, beaucoup, à la folie, à de petits seins, apparurent dans son four. Un délice était inventé et, le sucré et le fripon faisant souvent bon ménage, son nom naturellement donné. On peut aussi savourer des minne della monaca ou di sant'Agata (seins de bonne sœur ou de sainte Agathe), cassatine de Catane en hommage au martyre d'une jeune femme ayant eu les seins arrachés pour avoir dit non à un proconsul romain. Dans les Abruzzes, les sise delle monache (tette, minne, sise, le mot change selon les régions), toujours génoise et crème, sont rigoureusement vendues par trois. Peut-être en souvenir d'un vieil usage des Clarisses qui glissaient quelque chose entre les seins pour masquer leur féminité. Peut-être en souvenir des trois plus hautes montagnes des Appenins du coin.
Et misère si on devait renommer ces petits gâteaux sfere alla crema car voilà, une pâtisserie, c'est exactement ça : une gourmandise et une histoire. C'est drôle, c'est meilleur. Et quand il faut remplacer, remplaçons mais mille au secours vraiment si on nous empêche de rêver avec des noms sans imagination, ingrédientesques et platouillards !