Édition internationale

Joséphine de Chazournes : une entrepreneure française durable, depuis l’Italie

Arrivée en Italie en 2004, Joséphine a progressivement quitté sa carrière dans la finance pour s’investir en faveur du développement durable. Partie d’une société agricole qu’elle a créé en se retroussant les manches, elle multiplie désormais les projets à plus grande échelle.

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Écrit par Marie-Astrid Roy
Publié le 3 juin 2025, mis à jour le 4 juin 2025

Aujourd’hui agricultrice, après plusieurs années dans la finance, vous avez un parcours insolite ! Comment êtes-vous devenue cette personne engagée pour l’environnement ?

Juste après l’université, j’ai commencé à travailler dans la finance à Londres. C’est là que j’ai rencontré mon mari, un Italien, avec qui je suis ensuite venue vivre en Italie en 2004. Dès mon arrivée j’ai travaillé à la Bourse de Milan en tant que responsable des relations avec les investisseurs institutionnels. J’ai eu de la chance, le cadre était favorable pour les jeunes mères, j’ai eu trois enfants durant cette période.
Mais alors que j’étais enceinte de mon premier enfant, mon mari et moi avons eu envie de créer un équilibre pour notre famille. Déjà à l’époque, surtout dans la finance, nous étions tout le temps en ligne et ultra connectés. C’est ainsi qu’en 2005, nous avons acheté un champ de blé de 15 hectares dans le Sud de la Toscane, en Maremme, sur lequel nous avons  planté nos arbres, dont plus de 2.500 oliviers afin de produire de l’huile d’olive.
Comme il s’agit d’une région très protégée, on ne peut construire que si l’on exerce une activité agricole. Il a donc d’abord fallu planter nos arbres avant de construire une maison pour l’agriculteur.

On ne plante pas plus de 2.500 arbres comme cela… Quel a été le cheminement pour y arriver et fonder le domaine de Poggio Lecci ?

Je n’avais absolument aucune notion ! Tout en travaillant toujours à la Bourse de Milan, j’ai suivi une formation sur le tard, puis j’ai passé l’examen d’agriculteur. Nous étions entourés d’experts mais ce n’était pas facile au début d’affirmer mes projets : j’étais une femme, jeune, et en plus étrangère !
Aujourd’hui, nous avons 2.600 oliviers, près d’un hectare de vigne, des arbres fruitiers, un verger où ne poussent que des fruits antiques,  des agrumes variés, un potager et de nombreuses herbes officinales et fleurs comestibles qui nous permettent d’assurer les principes de la permaculture et à diversifier notre activité. 
J’ai finalement quitté la finance en 2019 pour me consacrer entièrement à mon entreprise agricole, tout en continuant à vivre entre la Toscane et Milan. Aujourd’hui, avec nos neuf variétés d’oliviers, nous produisons trois types d’huile extra vierge biologiques et pressée à froid : le cru OliVi Classico, l’OliVi Leggero et l’Olivi Forte.

Comment s’est passée la transition de la finance à l’agriculture ?

J’ai appris beaucoup de choses de mon premier métier, de la rigueur bien sûr mais aussi une grande éthique du travail. Sauf qu’il y a un abysse entre la finance et l’agriculture. On ne peut pas faire de prévision avec la nature. En 2018 par exemple, 800 arbres ont gelé. On peut ainsi passer de la production de 5.000 litres à 10.000 litres d’huile d’olive par an.

En 2024, l’Italie n’était que le cinquième pays producteur d’huile d’olive… Comment se positionne votre huile d’olive OliVi par rapport à la concurrence ?

Olivi est une huile extra vierge biologique qui a le mérite d’être positionnée sur le segment Premium. Une qualité récompensée quatre fois depuis 2021 par le Premier Prix Slow Food national, une référence en Italie, ce qui nous permet notamment d’être vendus dans des restaurants étoilés.
Avant le Covid, 80% de notre chiffre d’affaires était réalisé grâce aux restaurants. Cette période difficile nous a incité à développer la vente en ligne, ce qui nous a permis de toucher de nouveaux pays. Nous vendons ainsi partout dans le monde, principalement en Europe, nos trois premiers marchés étant le Royaume-Uni, la France et l’Italie. 
Après le Covid nous avons aussi beaucoup développer le marché des cadeaux d’entreprise, surtout à Noël avec nos coffrets dégustation, ce qui a été très efficace car il représente aujourd’hui 50% de notre chiffre d’affaires.
 

50% des agriculteurs devraient fermer d’ici 10 ans en Europe si on ne fait rien pour les aider à être rentables

Aujourd’hui, votre activité d’agricultrice passionnée ne se limite pas aux 15 hectares de votre ferme agricole. Vous avez développé une activité de conseil en « restauration agricole ». De quoi s’agit-il ?

Il faut savoir que 50% des agriculteurs devraient fermer d’ici 10 ans en Europe si on ne fait rien pour les aider à être rentables. L’enjeu est de taille. Ce sont eux qui préservent le territoire et nous permettent de manger sainement. Que va-t-il se passer s’ils abandonnent leurs terres ? Il risque d’y avoir plus de feux, d’érosion, et nous allons devoir importer une grande partie de ce que nous mangeons...
C’est ainsi que j’ai fondé Semper Sylva en 2022, une société à travers laquelle j’aide les agriculteurs à faire une transition vers l’agriculture régénératrice, comme nous l’avons fait à Poggio Lecci en plus de l’agriculture biologique. 
J’entends développer mon activité en m’appuyant sur une nouvelle règlementation européenne, intitulée CSRD, qui demande aux sociétés cotées en bourse de faire un reporting pour montrer leur impact sur l’eau, la biodiversité, le sol, etc. Cela représente une réelle opportunité pour leur faire financer des projets avec des pratiques agricoles plus durables car ils doivent aussi penser à l’impact du changement climatique sur leur chaine de valeur et comment mitiger ce risque.

En effet, si le changement climatique oblige les agriculteurs à arrêter leur activité, il n’y aura plus de vache et donc plus viande pour Bigard, plus de lait pour Lactalis et plus de cuir pour des marques comme Louis Vuitton ou Ferragamo.

Ceci est d’autant plus important que les vaches sont un des meilleurs outils naturels que l’on connaisse pour restaurer les sols en pâturage dynamique, elles sont même Carbon positive !
Aujourd’hui, je cible mes projets sur les chaînes de valeur du cuir, de la laine et des fruits secs, toutes trois fabriquées en Europe.

 

arbres couchés par terre
Forêt détruite par la maladie du mélèze Ramorum après de fortes tempêtes (novembre 2021) ont abattu une partie de la forêt | Lac Windermere (Angleterre)


En parallèle, vous œuvrez également depuis quelques années pour la restauration de forêts en Europe. Quels projets avez-vous développé à ce jour ?

Je travaille effectivement avec le cabinet de forestiers Sylva Nova, pour chercher des sociétés cotées en bourse qui doivent faire leur bilan de développement durable, afin de dénicher des mécènes pour des projets de forestation ou de restauration de forêts.
Cette année nous avons par exemple développé un projet de plantation d’arbres dans une forêt dévastée par un feu en Ecosse. Nous avons également travaillé avec la fondation Life Terra (financée par l’Europe) pour planter des arbres avec les écoles, près des villes, comme à Milan et autour de Paris.
Dans les Pouilles, ce sont 130 hectares d’oliveraie qui ont pu être planté après les ravages causés par la bactérie Xylella fastidiosa. Mais il reste encore des milliers d’hectares à restaurer dans la région.
On espère aussi profiter de la lumière de Milano-Cortina (jeux olympiques de 2026) pour faire financer notre projet dans la région du Trentin où des milliers d’hectares sont à restaurer après la tempête Vaia de 2018 qui a abattu 42 millions d’arbres, des montagnes entières. 
Aujourd’hui,  il nous est néanmoins plus facile de financer de tels projets en France et en Angleterre, qui ont des législations nationales intéressantes. 
En France par exemple, le système « label bas carbone » du ministère de l’environnement permet de planter des arbres sur une terre peu productrice, et en contrepartie, on peut émettre des crédits de carbone pour l’équivalent de ce que les arbres plantés vont absorber pendant leur vie, que les entreprises peuvent ensuite acheter sur le marché. Un tel système n’existe pas encore en Italie, la démarche est donc pratiquement philanthropique et valorisante uniquement pour de la communication ou du marketing pour la société. Il faudra attendre la réglementation européenne, qui n’arrivera pas avant trois ans, car l’autre solution aurait pu être les labels internationaux, mais ils sont exorbitants pour les projets italiens qui sont en grande majorité sur des petites parcelles.

 

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