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C. Masset : "Une mission portée vers l’expression du potentiel de notre relation"

Christian Masset, Ambassadeur de France en Italie pendant six ans, un mandat exceptionnellement long pour un diplomate, s’apprête à quitter le Palais Farnèse et laisser la place à son successeur, Martin Briens, à compter du 17 juillet 2023. Avec Son Excellence Christian Masset, retour pour lepetitjournal.com sur l’évolution de la relation bilatérale France-Italie, une relation diplomatique intense, marquée par l’importance du paradoxe de la proximité qui caractérise l’amitié entre les deux pays.

Christian MassetChristian Masset
Christian Masset, Ambassadeur de France en Italie (de septembre 2017 à juillet 2023)
Écrit par Marie-Astrid Roy
Publié le 11 juillet 2023, mis à jour le 14 juillet 2023

L’Italie et la France sont le deuxième client l’un pour l’autre. Au-delà des chiffres sur la relation bilatérale entre la France et l'Italie, quelle est votre vision personnelle des relations entre les deux pays ?

Nous sommes l’un pour l’autre des partenaires indispensables. Nous avons des liens extrêmement forts tant sur le plan économique, culturel, universitaire qu’en matière de sécurité. Pour nos entreprises, l’autre pays partenaire représente entre 10 et 15% de l’activité, ce qui est considérable. Nos économies se complètent, le développement des échanges est beaucoup plus rapide que celui du PIB, et ceci est corroboré avec des investissements croisés.

En matière d’éducation, une véritable intégration de nos systèmes se développe. Il existe notamment 4.000 accords pour la mobilité entre les universités françaises et italiennes, soit plus du double par rapport à 2018.
Nous sommes également le premier partenaire culturel l’un pour l’autre.

Nos deux pays se renforcent mutuellement par cette coopération, d’autant plus dans cette période très particulière où nous sommes confrontés à de grands défis géopolitiques et de concurrence économique. Dans une Europe qui doit pouvoir s’affirmer et protéger ses intérêts, la France et l’Italie ont beaucoup d’intérêts communs, qu’elles doivent défendre et promouvoir ensemble.

Le partenariat entre la France et l’Italie est indispensable, mais il ne va pas de soi. Malgré « cette histoire qui nous dépasse », comme le dit le président de la République, c’est-à-dire cette interaction qui existe depuis des siècles et qui est sans commune mesure avec d’autres pays européens, nous avons toujours des difficultés à nous comprendre et à nous parler. J’ai moi-même connu toutes les saisons d’une relation bilatérale, toutes les couleurs de l’arc en ciel d’une relation diplomatique. Il nous faut prendre en compte le paradoxe de la proximité qui caractérise notre amitié.

 

Les Italiens et les Français sont en effet à la fois très proches et très différents. Quelle distinction principale, selon votre expérience, est à connaître et à comprendre pour mieux nous apprécier ?

Deux aspects me viennent à l’esprit. Tout d’abord, nous n’avons pas la même façon d’agir collectivement, et cela vient d’un rapport différent à l’Etat. En France, l’Etat a fait la nation, alors qu’en Italie la nation a fait l’Etat. Par ailleurs, nous connaissons en France une verticalité et une centralisation qui n’existent pas en Italie. La nation italienne est le fruit d’une juxtaposition d’histoires : pendant des siècles, celle de Naples a été totalement différente de celle du Piémont ou de Venise. Il en résulte une Italie constituée d’identités très fortes. J’en suis d’ailleurs toujours frappé lors de mes très nombreux voyages, on ressent que ces villes ont été des capitales, et qu’elles s’en souviennent. Le collectif est donc plus complexe. C’est cette complexité qu’il faut comprendre.
En Italie « la meilleure façon d’arriver à un point n’est pas la ligne mais l’arabesque », comme le dit un auteur italien.
Deuxièmement, il y a nos manières de penser. Nous avons une approche plus conceptuelle en France, contre une approche plus historique et pragmatique en Italie. C’est une notion à prendre en compte lorsque l’on travaille ensemble sur un projet commun, et cela peut d’ailleurs produire une formidable synthèse.


Au cours de votre mandat exceptionnellement long, de nombreuses péripéties ont eu lieu, de la crise diplomatique traversée en 2019 à la signature du Traité du Quirinal le 26 novembre 2021. Comment définissez-vous votre mission en tant qu’Ambassadeur ?

Ma mission d’ambassadeur a toujours été portée vers l’expression du potentiel de notre relation. Mon action a visé à faire en sorte que secteur par secteur, on puisse avoir un langage commun et développer une régularité dans notre travail de coopération, de façon à pouvoir exploiter totalement ce potentiel : en matière de politique industrielle, d’investissements croisés, en renforçant nos liens au niveau de la jeunesse, en développant le concept d’autonomie stratégique au bénéfice de nos industries spatiales et d’armement. Dans le domaine de la sécurité intérieure, il s’agit de faire en sorte d’avoir une gestion de nos frontières à la fois plus efficace et apaisée.

Et quel bilan en tirez-vous ?

Pendant ces six ans, je suis passé de la discorde -au moment de mon rappel-, à l’entente avec le Traité du Quirinal. Je suis fier d’y avoir contribué, c’est ma plus grande satisfaction. Par ailleurs, depuis six ans, le dialogue organisé entre sociétés civiles s’est beaucoup développé. Il existe désormais le forum économique du Medef et son équivalent italien Confindustria, les Dialogues franco-italiens pour l’Europe qui sont conduits par la LUISS et Sciences Po avec Ambrosetti, ainsi que les journées de l’IREFI (Institut pour les relations économiques France-Italie) qui ont pris de l’ampleur. Nous avons aussi créé le Forum économique France-Mezzogiorno, la Chambre de commerce France Italie a créé le Farnèse d’Or pour célébrer les liens entre la France et l’Italie, ou encore la communauté French Tech Milan, récemment renommée French Tech Italy pour déployer sa mission à travers la Péninsule. Son dernier événement s’est déroulé à Naples, et il a connu un grand succès.

France-Italie : 5 récompenses attribuées lors du prestigieux Gala « Le Farnèse d’Or »

 

Quelles collaborations entre les deux pays aimeriez-vous voir se développer davantage ?

Mon premier vœu concerne la jeunesse. Nous avons déjà beaucoup progressé concernant les doubles-diplômes : il en existe 350 aujourd’hui contre 200 il y a six ans ; il y a aussi 24 universités françaises et italiennes dans les 44 alliances d’universités européennes. La mobilité étudiante a également beaucoup augmenté, notamment à Milan. J’aimerais désormais que la collaboration soit renforcée au niveau de l’enseignement professionnel, par des jumelages entre des lycées professionnels et BTS français (les campus des métiers et des qualifications) et leurs équivalents italiens, les ITS, dont la montée en gamme est remarquable. C’est un point majeur car ces métiers sont fondamentaux pour l’avenir économique de nos pays. En ce sens, nous avons commencé avec un jumelage entre la Franche-Comté, le Piémont et la Lombardie.

Rencontres à Turin pour la création de centres professionnels franco-italiens

Mon autre vœu porte sur le renforcement des coproductions cinématographiques franco-italiennes. Nous avons connu un âge d’or des coproductions franco-italiennes, à tel point que Claudia Cardinale définissait le cinéma franco-italien comme celui « d’un seul pays ». Le traité du Quirinal en porte l’ambition, et les coproductions se développent à nouveau, c’est un signe prometteur.

 

La communauté française en Italie est à la fois très vaste et diverse. Comment la qualifieriez-vous ?

Il s’agit d’une communauté importante, composée d’environ 100.000 Français (un peu moins de 50.000 inscrits), très bien intégrée dans ce pays et qui aime l’Italie. Il s’agit aussi d’une communauté très solidaire. Je l’ai constaté pendant le Covid à travers le tissu associatif très riche, qui a été au rendez-vous pour aider ceux qui en avaient besoin puis pour la reprise après la pandémie.
Je le constate également par le travail des conseillers des Français de l’étranger, toujours animés par l’intérêt général.

 

Votre relation avec l’Italie a commencé très tôt, dès l’adolescence par le cinéma puis en tant qu’étudiant à la Bocconi, jusqu’à ces six dernières années en tant qu’Ambassadeur. Quel sentiment garderez-vous après votre départ ?

Un sentiment de gratitude. Ces années ont été pleines. Je remercie les Italiens de leur accueil, de m’avoir fait découvrir leur pays dans toute sa diversité. Je suis très reconnaissant à la communauté française de sa confiance, d’avoir été constamment présente et engagée pour le développement de notre amitié franco-italienne.

 

Pour finir, quel livre ou auteur italien recommanderiez-vous pour mieux comprendre l’Italie ?

Plus qu’un livre, des auteurs m’ont beaucoup frappé. Je citerais notamment Leonardo Sciascia pour sa façon d’expliquer la Sicile et Curzio Malaparte avec La Peau, un livre qui s’est révélé pour moi une ouverture sur l’Italie.
Le théâtre italien brille particulièrement aussi, notamment avec Pirandello. Durant ces années italiennes, j’ai connu le dramaturge Eduardo De Filippo, un auteur napolitain et universel, qui sait appréhender la pâte humaine.
J’ai aussi un faible pour les biographies de Maurizio Serra, premier italien à avoir été reçu à l’Académie française. Ses personnages sont des clés pour comprendre l’Italie.

Et un film italien qui vous aurait particulièrement touché ?

Le cinéma est essentiel, il m’a d’abord appris à aimer l’Italie, puis à la connaître. Je suis arrivé à l’Italie à travers Federico Fellini, qui reste le grand maître. Pour comprendre le pays, je citerais les films du néo-réalisme, tels que Vittorio De Sica, mais aussi ceux de Luigi Comencini. Le film Nous nous sommes tant aimés, réalisé par Ettore Scola, m’avait aussi marqué.  Ce film parle de cette génération qui avait pour ambition de « pouvoir changer la vie » mais au lieu de cela, « c’est la vie qui [les] a changé ».

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