André Malraux l’avait prédit : « Le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas » !
Longtemps cantonnée à la sphère privée, la question religieuse se pose aujourd’hui à tous les niveaux de la vie sociale et professionnelle, au moment de l’offre d’emploi, de l’embauche et lors de l’exécution du contrat de travail. Comment la France et l’Italie abordent-elles ce thème en droit ?
Souvent présenté comme la solution, le principe de laïcité est envisagé différemment par nos deux pays.
La France reste marquée par son passé révolutionnaire : la laïcité fut l’un des piliers de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 suivie par la séparation de l’Église et de l’État avec la Loi de 1905. La loi du 11 octobre 2010 interdit quant à elle la dissimulation du visage dans l’espace public.
Le principe de laïcité a certes une valeur constitutionnelle et symbolique forte en France mais il ne s’applique pas à l’entreprise privée ! L’arrêt Baby Loup du 25 juin 2014 a rappelé que ce principe de droit administratif s’applique aux agents publics (ou aux entreprises privées en charge d’un service public) mais pas aux salariés des entreprises privées.
Dans le domaine privé s’appliquent :
- un principe de liberté de religion et son corollaire l’interdiction des discriminations ;
- des restrictions possibles (mais encadrées) à la liberté de manifester ses convictions religieuses :
Depuis la loi travail de 2016, le Code du travail admet que le règlement intérieur (obligatoire dans les entreprises d’au moins 20 salariés) puisse prévoir un « principe de neutralité », à condition que lesdites restrictions soient : a) proportionnées au but recherché et b) justifiées par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ou par l’exercice d’autres libertés ou droits fondamentaux.
Le juge (national et communautaire) intervient pour évaluer le juste équilibre entre les impératifs en jeu. La Cour de justice de l’Union européenne a aussi jugé le 14 mars 2017 qu’une entreprise privée pouvait interdire le port visible de signes religieux, en l’espèce le foulard islamique, dans son règlement intérieur.
« Laïcité relative »
Bien que le droit de l’Union européenne s’applique pareillement en Italie, le cadre global y est différent avec un principe constitutionnel de laïcité, tempéré par la primauté historique et culturelle reconnue par l’État italien à la religion catholique, à tel point que la doctrine évoque le terme de « laïcité relative ». La Cour européenne des Droits de l’Homme l’a rappelé dans l’arrêt Lautsi du 18 mars 2011, soulignant « le fait que l'Europe est caractérisée par une grande diversité entre les États qui la composent, notamment sur le plan de l'évolution culturelle et historique ». Cela conduit à des conceptions différentes de la laïcité entre les États membres, comme on le constate pour la France et l’Italie qui applique pour sa part la laïcité aussi bien dans le domaine public que privé.
La primauté de la religion catholique s’exprime ouvertement dans le domaine public italien où l’on voit des crucifix dans les écoles publiques et les tribunaux alors que ce serait impensable en France. Un arrêt rendu le 14 mars 2011 par la Cour de cassation italienne concerne le refus d’un juge de tenir une audience dans une salle où figure un crucifix, au motif que l’exposition de ce signe religieux aurait porté atteinte à sa liberté de religion et d’opinion. La Cour a jugé qu’il s’agissait d’un refus fautif de ce juge d’exécuter sa prestation de travail. En France, le principe absolu de laïcité dans le secteur public lui aurait au contraire donné raison !
Pour autant, dans l’entreprise privée, l’Italie promeut comme la France la liberté de religion et le principe d’interdiction de toute discrimination pour motif religieux (lors de l’embauche mais aussi du licenciement), conformément à la Convention européenne des Droits de l’Homme et à la Directive européenne 2000/78/CE en faveur de l’égalité de traitement dans le travail.
Il existe aussi une communauté de vue sur la prévalence des obligations du contrat de travail sur les obligations religieuses, avec toutefois un contentieux moins abondant en Italie. Sauf convention contraire, il n’incombe pas à l’employeur français ou italien de s’adapter à la religion de ses salariés (c’est différent aux États-Unis ou au Canada). Il n’est pas tenu d’aménager le temps de travail ou la configuration de ses locaux pour des motifs religieux (prières, fêtes religieuses, jeûnes ou impératifs alimentaires). Dans le cadre de son pouvoir de direction, il peut néanmoins décider autrement et prévoir notamment de mettre à disposition de ses salariés un local de prière (par roulement pour éviter toute discrimination entre les cultes).
Si la question du fait religieux n’est pas nouvelle en soi, la crise morale post-attentats conduit les entreprises des deux pays à approfondir la réflexion sur le « vivre ensemble » dans l’entreprise et sur l’harmonisation dans l’espace public et privé de nouvelles formes d’expression religieuse.
A cet égard, on observe :
- en France, des dispositions légales récentes et la multiplication de « guides pratiques de laïcité », signes du questionnement autour d’un principe de laïcité dont l’usage s’avère peu aisé dans une société encore choquée mais en quête de cohésion notamment dans le cadre professionnel ;
- en Italie, pas de loi récente mais l’applicabilité du droit de l’Union européenne et un débat sur la laïcité parfois vif et a priori plus lisible, mais encore aux mains des professionnels du droit, dans un contexte moins passionnel.