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Jean-Yves Leconte: "Le désengagement de l’État a été encore plus brutal à l’étranger"

Représentation des Français établis hors de France, projet de loi « Asile et Migration », engagement politique, tels sont les thèmes abordés par Jean-Yves Leconte, candidat socialiste à sa réélection aux sénatoriales 2023.

jean yves Leconte candidat aux senatoriales 2023jean yves Leconte candidat aux senatoriales 2023
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 10 septembre 2023, mis à jour le 26 septembre 2023

 

Mon engagement européen, qui est à la base de mon engagement politique, ne saurait m’inciter à « raccrocher » au moment où l’avenir de l’Europe se joue en Ukraine.

Pourquoi souhaitez-vous vous représenter aux prochaines sénatoriales ?

J’ai le sentiment de pouvoir continuer à apporter mon expertise et mes convictions dans le travail parlementaire sans que le temps n’ait réduit ma capacité d’indignation et ma volonté d’action. Sur plusieurs sujets comme la dévolution de compétences délibératives aux élus des Français de l’étranger, la capacité d’emprunt de l’AEFE, l’accompagnement par l’état de la CFE ou l’évolution des services consulaires, j’ai des propositions qui doivent être défendues et peuvent être mises en œuvre, si on ne lâche pas en route. Quand je vois nos situations de Français établis hors de France, il y a tant de difficultés, d’injustices et d’indifférence qu’il n’est pas possible de ne pas mobiliser nos capacités d’action pour corriger cela.

Le projet de loi « Asile et Migration » arrivera en discussion à l’automne et je veux pouvoir continuer à défendre nos propositions, au nom du groupe socialiste, lors de ce débat. C’est un sujet essentiel où il faut qu’une parole précise et réaliste, distincte de celle du gouvernement et de la droite, puisse être portée. Une parole de confiance et d’ouverture en faveur d’une mobilité dont nous avons besoin si elle est ordonnée et conforme à la dignité des personnes et au droit. Une parole constante qui s’inscrit dans la durée et doit être écoutée, tant pour faire évoluer nos lois que des dispositions européennes méritant d’être changées. Car, quand vous êtes membre d’un parlement national, vous pouvez aussi peser sur les projets de directives et de règlements européens, lorsqu’ils s’élaborent sur la base des propositions de la commission, dès lors que vous avez une capacité d’expertise sur le sujet concerné.

Je vois aussi trop souvent des prises de position politiques décalées, car ne prenant pas en compte les évolutions technologiques et leurs implications sur la société. C’est le cas de décideurs politiques sans culture scientifique, ou qui pensent qu’il suffit de voter un texte pour bloquer une évolution, contredire la réalité ou, au contraire, fixer un cap sans se rendre compte de ce qui est vraiment possible. Cette attitude est à mon sens lourdement responsable de la défiance populaire envers l’action politique. Mon passé et ma culture sont à l’opposé de cela. Enfin, mon engagement européen, qui est à la base de mon engagement politique, ne saurait m’inciter à « raccrocher » au moment où l’avenir de l’Europe se joue en Ukraine. Je connais bien cette partie de l’Europe et réside en Pologne depuis 1991 : je pense donc pouvoir être utile.

 

Les moments les plus agréables restent les annonces de libération de personnes qui étaient incarcérées de manière illégitime, arbitraire et dans des conditions indignes

 

Qu’est ce que vous aimeriez que l’on retienne de votre dernier mandat ?

D’une manière générale, j’aimerais que l’on retienne que je ne lâche pas tant que l’évolution que je souhaite n’est pas acquise. Le rapport remis en juillet 2023 avec Christophe-André Frassa sur la représentation des Français établis hors de France constitue ainsi une proposition transpartisane qui mérite maintenant d’être votée. Et je crois que c’est mûr aujourd’hui. Donner des compétences délibératives aux élus était déjà dans l’air il y a dix ans, mais cela a été enterré par la loi de 2013. J’en ai été le rapporteur, mais je n’avais pas le soutien du gouvernement pour y insérer ce qui avait pourtant été dans notre programme politique quelques mois auparavant…

Les moments les plus agréables restent les annonces de libération de personnes qui étaient incarcérées de manière illégitime, arbitraire et dans des conditions indignes et pour lesquelles vous vous étiez spécialement mobilisé. A chaque fois, vous n’êtes qu’un rouage d’une chaine de solidarité et de mobilisation, mais la fonction de parlementaire vous confère un rôle et une responsabilité particulières lorsque vous vous engagez. Comme lors de mon premier mandat, j’ai eu trois fois ce sentiment depuis 2017, pour trois libérations dans deux pays différents.

Autre sujet, la période de la crise sanitaire, où j’ai voulu rappeler combien nos situations de Français installés hors de France exigeaient d’être pris en compte dans les décisions et restrictions qui étaient prises. Je n’ai manqué aucune des délibérations en Commission des Lois et en séance pour défendre nos besoins spécifiques d’accompagnement et nos besoins de reconnaissance des certificats de tests, vaccins, contamination établis à l’étranger lors de la mise en place des passes sanitaires. Je pense avoir contribué à la mise en place des dispositions qui furent progressivement mises en place pour nous accompagner. Ce fut tard et partiel, mais il a fallu se battre pour cela. J’aime me déplacer à la rencontre des Françaises et Français installés à l’étranger et je sais qu’ils apprécient lorsqu’ils sont écoutés. Mais je sais aussi combien cela réclame de travail ensuite pour enclencher derrière les actions à mettre en œuvre pour répondre aux problèmes ou situations identifiés lors de ces déplacements. J’aimerais que l’on retienne cette volonté de passer de l’observation à l’action. Même si ce n’est jamais parfait.

 

Je ne désespère pas d’arriver à faire évoluer certaines pratiques en matière d’état civil, de reconnaissance des actes étrangers qui constituent des freins à la mobilité et à la liberté des personnes

 

Comment voyez-vous ce possible nouveau mandat ?

Un mandat pour poursuivre les actions entreprises et qui n’ont pas suffisamment avancé ou pour lesquelles nous n’avons pas eu pour l’instant de majorité… D’abord pour donner de réelles compétences et moyens aux élus des Français de l’Étranger comme nous le proposons dans notre rapport de juillet. Une proposition de loi sera bientôt issue de ce rapport : nous devrons la voter au Sénat et convaincre une majorité à l’Assemblée Nationale pour nous suivre. Je pense que c’est tout à fait possible.

Il reste à convaincre sur l’AEFE, sur la CFE, mais je pense qu’il est possible de trouver des majorités pour avancer sur ces sujets. De même, je ne désespère pas d’arriver à faire évoluer certaines pratiques en matière d’état civil, de reconnaissance des actes étrangers qui constituent des freins à la mobilité et à la liberté des personnes.

Cela devra aussi être un mandat au service de la reconstruction d’une gauche qui puisse donner confiance à une majorité de Français, afin d’être une force d’alternance crédible. Il y a urgence à cela pour éviter que l’extrême-droite ne se renforce comme étant la seule alternative perçue au pouvoir actuel. Ce dernier en joue et cela ne sert pas la démocratie. La capacité de travailler avec toutes les forces de gauche demeure un atout pour y parvenir. Ma candidature en second sur une liste d’union reflète bien cet état d’esprit.

Nous, sénatrices et sénateurs représentant les Français établis hors de France, observateurs des risques et opportunités du monde, nous devons aider notre pays à prendre sa place et contribuer à être un « passeur » d’idées et d’expériences sur les défis de l’humanité, ceux qui dépassent les frontières. Les défis climatique, écologique, comme le défi numérique et ses impacts sur nos modes de vie et nos libertés en font partie. C’est peut-être loin des préoccupations d’un Français qui ne peut renouveler son passeport, ou bénéficier d’une bourse trop faible pour scolariser son enfant. Mais tous ces combats méritent d’être menés, qu’il soit possible d’obtenir un succès seul, d’ouvrir une porte pour réparer une injustice rencontrée lors d’une permanence ou lorsqu’il faut s’y mettre à plusieurs millions de personnes pour avoir une chance de succès. D’ailleurs, réussir les premiers donne confiance pour s’engager dans les seconds.

 

Le Sénat n’a de rôle que s’il travaille suffisamment pour apporter une valeur ajoutée aux textes examinés au-delà des marqueurs politiques.

 

Qu’est ce qui caractérise selon vous le rôle de sénateur ?

La mission d’un parlementaire est bien de voter la loi et de contrôler l’action du gouvernement. Nous devons le faire sur le fondement des principes et des idées présentés lors de notre élection et en réponse aux besoins qui s’expriment sur le terrain, mais aussi en fonction des évolutions de situation que nous percevons. Sénateurs représentant les Français établis hors de France, je crois que nous avons un double rôle particulier : celui de relier les Français à l’étranger avec notre pays et celui de faire entrer dans les débats au parlement  « les idées et observations du monde » telles que nous les percevons lors de nos déplacements à l’étranger au contact de nos compatriotes. C’est aussi pourquoi j’ai attaché autant d’importance au rôle que nous avions lors de la crise sanitaire.

Il y a aussi quelques caractéristiques particulières au Sénat, liées à nos pouvoirs constitutionnels et à notre mode d’élection. La plupart des textes passent en procédure accélérée, c’est-à-dire que l’Assemblée nationale a le dernier mot. Un Sénat composé de membres sans compétence technique et sans esprit de compromis ne peut pas jouer de rôle, car l’Assemblée ne retiendra rien de ses travaux. Le Sénat n’a de rôle que s’il travaille suffisamment pour apporter une valeur ajoutée aux textes examinés au-delà des marqueurs politiques. C’est à cette condition que les dispositions qu’il vote peuvent être retenues par l’Assemblée en seconde ou dernière lecture. Il y a donc une exigence de travail, de compétence et d’écoute si nous voulons exercer plus qu’un ministère de la parole. Pour réussir une modification législative, le travail individuel est nécessaire pour avancer et élaborer des propositions mais il faut ensuite convaincre une majorité pour la voter.

 

Le désengagement de l’État a été encore plus brutal à l’étranger

 

Les Français expatriés peuvent se sentir à tort ou à raison parfois oubliés par l’État français. Quel est votre sentiment ?

Il est double. D’une part, nous pouvons dire que peu de pays dans l’Union européenne et dans le monde disposent d’une représentation politique complète de leur diaspora. L’étude de droit comparée que j’ai commandée et qui a été publiée au printemps dernier sur ce sujet le montre bien. De l’autre, oui, sur certains aspects, nous avons une image de privilégiés, parfois d’exilés fiscaux. Des clichés qui, parfois, guident les choix du gouvernement sur de nombreuses dispositions législatives et réglementaires qui nous concernent. C’est bien loin de la réalité et cela engendre parfois des dispositions injustes auxquelles certains ont du mal à faire face. Ainsi, nous sommes loin de l’égalité devant l’impôt. Chaque année, quelques dispositions sont votées au Sénat pour atténuer cela, mais elles sont systématiquement retoquées par la majorité présidentielle et disparaissent dans un 49.3 budgétaire…

Enfin, sans méconnaitre l’affaiblissement des services publics en France, le désengagement de l’État a été encore plus brutal à l’étranger : état civil, délivrance des pièces d’identité, relation à la nationalité (sujet plus complexe car nous ne résidons pas sur le territoire national), accès à FranceConnect. Autant de combats à mener. La modernisation et la dématérialisation sont une chance si les motivations pour s’y engager sont d’améliorer le service public. Mais si l’objectif est d’abord de faire des économies, ça ne fonctionnera pas… Je suis d’ailleurs convaincu qu’il est possible d’en faire, des économies, mais pas en détruisant le service public. Quel est le sens de fermer notre consulat à Edimbourg si des milliers de Françaises et Français doivent ensuite aller à Londres pour demander un renouvellement de passeport ? Pensez-vous qu’on a construit un système globalement plus économique et écologique ? Ce désengagement engendre aussi une insécurisation des Françaises et Français installés à l’étranger. D’abord parce qu’ils ne peuvent plus faire valoir leurs droits correctement. Ensuite car, s’il arrive une crise politique, une guerre, une catastrophe climatique, naturelle ou industrielle, alors qu’ils sont de moins en moins inscrits au registre consulaire en proportion du nombre de Français installés à l’étranger, il sera de plus en plus difficile d’identifier le niveau des moyens à mobiliser pour répondre à leurs besoins.

 

Nous devons donner à nos compatriotes confiance dans le monde de demain.

 

Quels ont les principaux défis des Français de l’étranger ?

Faire valoir notre pleine intégration à la communauté nationale, éviter des politiques publiques construites sur des clichés, faire connaitre notre diversité, mieux faire savoir à nos concitoyens combien nous sommes au service de la France. Savez-vous par exemple qu’il est très probable que les entreprises étrangères crées par des Français engendrent en France plus d’emplois que le plus gros employeur privé de France ? N’est-ce pas une force pour notre pays et pour son économie ?

Nous devons donner à nos compatriotes confiance dans le monde de demain. La souveraineté de demain, ce n’est pas l’autarcie, c’est la connaissance la plus fine possible du monde et de ses complexités. Les Français à l’étranger en sont en partie porteurs et ils en connaissent chacun une partie.

Enfin, je crois que l’un des plus grands défis que nous avons affronter à titre personnel quand nous sommes installés hors de France pour la vie, c’est de transmettre aux plus jeunes, à nos enfants, le sentiment d’appartenance à la communauté nationale et la langue française. Il est ainsi probable que plus de 30% des jeunes français qui vivent à l’étranger et qui y sont nés ne soient pas totalement francophones. Si cette observation illustre combien les Français installés à l’étranger sont intégrés dans leur pays d’accueil, ce que je salue, c’est un échec pour nos politiques publiques et le maintien du lien avec la France car ceci subsiste malgré notre réseau d’enseignement (qui scolarise moins de 1/3 des enfants français en âge d’être scolarisés) malgré les classes francophones, malgré les programmes FLAM. Il y a encore tant à faire….

 

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