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Joseph Roche : “La guerre est dans leurs vies, moi je ne la vis que par procuration”

Installé à Kiev quelques semaines après l’invasion russe, le journaliste franco-belge Joseph Roche plonge chaque jour au cœur du conflit, à la frontière entre vie personnelle et devoir professionnel. Un métier aussi essentiel qu’éprouvant, dans une réalité où s’habituer à l’horreur ne signifie jamais l’accepter.

Joseph en train de photographier sur le terrainJoseph en train de photographier sur le terrain
Le journaliste Joseph Roche sur le terrain © José Hernandez
Écrit par Léa Degay
Publié le 22 novembre 2024, mis à jour le 11 décembre 2024

 

Depuis presque trois ans, Joseph Roche vit à Kiev. Il s’est installé dans la capitale ukrainienne seulement cinq semaines après l’invasion russe. Être au cœur de l’actualité le conduit dès le début à écrire des piges et vendre ses premiers papiers… et, tout simplement, devenir journaliste. 

Vivant au milieu de la population ukrainienne, difficile pour Joseph Roche de séparer les sphères professionnelle et personnelle. Comme ce jour de juillet 2024 où la Russie a bombardé un hôpital pour enfants à Kiev, le journaliste rentrait de plusieurs semaines dans l’est du pays et prévoyait de se reposer chez lui. « C’était littéralement à 300 mètres de chez moi, alors je suis allé voir » raconte-t-il. « Quand on vit sur place, on est à la fois acteur et témoin. Mais mon rôle, c’est d’être porteur de témoignages, même lorsque je vis moi-même les événements dont je parle dans mes papiers. » 

 

Joseph Roche avec son appareil photo
Joseph Roche, avec son appareil photo. © Nicolas Cleuet

 

Quand la sphère personnelle se confond avec le terrain

Ce rôle, essentiel et pourtant méconnu, n'est pas sans paradoxes. En première ligne pour informer sur les drames de la guerre, le journaliste reste souvent dans l’ombre, un témoin silencieux dont le nom s’efface derrière ses reportages. Si les images et les récits marquent les esprits, peu de lecteurs pensent à l’individu derrière l’objectif. « Le monde a une idée fausse de la guerre. Il pense souvent que nous vivons en permanence sous les bombardements, que nous sommes constamment en danger. La réalité est différente. La guerre, c’est surtout beaucoup de silence, beaucoup d’attente. Mais ce que les civils subissent, moi je ne le vis que par procuration. Même si avec le temps, leurs peines, leurs souffrances et leurs craintes deviennent les nôtres. »

 

Joseph Roche sur le terrain
« Le plus difficile, c'est de ressentir leur impuissance et leur détresse. Tout ce que je peux faire, c’est d’écouter leurs récits, écrire leur histoire, pour que leur voix soit entendue en Occident. » © Nicolas Cleuet

 

Pour tenir face à l’horreur, Joseph a dû s’endurcir. « Au début, voir un cadavre en photo était difficile, explique t-il, « aujourd’hui, en voir un physiquement ne me fait plus rien. On finit par s’habituer, même à l’odeur de la mort. » Mais il ne cache pas que cette protection émotionnelle a un coût. Lui qui, avant, pleurait sans aucun problème, n’y parvient plus depuis deux ans. « Je pense que cela arrivera un jour, peut-être quand la guerre sera finie. » Face à ce blocage émotionnel, il utilise beaucoup l’humour comme moyen de gommer la tristesse mais aussi la foi, « je suis croyant, il m'est arrivé de nombreuses fois de prier pour les personnes autour de moi. Eux aussi sont très croyants, cela aide. »  

 

S’habituer à l’insoutenable

S’habituer aux images violentes ne signifie pas s’insensibiliser à la souffrance. Joseph - qui vit chaque jour parmi ceux dont les villes sont détruites et les proches au front -, ne peut éviter l’empathie envers eux. « Le plus difficile, c'est de ressentir leur impuissance et leur détresse. Tout ce que je peux faire, c’est d’écouter leurs récits, écrire leur histoire, pour que leur voix soit entendue en Occident. »

Malgré le poids des témoignages, Joseph se considère comme privilégié. Il a choisi cette vie. Et si l’expérience est souvent éprouvante, il garde en tête qu’il ne vit pas la guerre dans sa chair comme les populations locales. « Nous, nous n’avons pas de frère au front, pas de ville à reconstruire. Si demain, je veux quitter l’Ukraine, je prends un train vers la Pologne, en sécurité. Les civils, eux, ne savent pas de quoi demain sera fait. Ils subissent la guerre ; moi, je l’ai choisie. Cela me force à ne pas m’apitoyer. »

 

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