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Mon coin ciné : Nous nous sommes tant aimés

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Écrit par Louisette Crombet
Publié le 7 décembre 2017, mis à jour le 29 décembre 2017

Voilà plus de 40 ans que ce chef-d'oeuvre d’amertume mais aussi de drôlerie, de tendresse et d'émotion est sorti et il n’a pas pris une ride, ni dans la forme, ni dans le fond ! Il est même d’une surprenante actualité.

Ce film d’Ettore Scola est un peu l’histoire de l’Italie depuis l’après-guerre jusqu’aux années 70 à travers la vie de 3 amis : Gianni, Antonio et Nicola et d’une femme Luciana qu’ils ont tour à tour aimée. « La guerre était finie, l’après-guerre éclatait ». Le terme « éclatait » n’est pas anodin, il reflète la force de la jeunesse prête à se libérer des années de fascisme et désireuse de reconstruire le pays, avec des idéaux de solidarité et de justice sociale. Mais ces idéaux généreux et cette belle amitié durera-t-elle avec le temps qui passe ?

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Gianni (magnifique Vittorio Gassman) est avocat, prêt à défendre les plus faibles, mais se laissera finalement « corrompre » par un riche homme d’affaires peu scrupuleux dont il épousera la fille. Nicola (Stefano Satta Flores) intellectuel féru de cinéma veut devenir un critique reconnu et s’accroche à son projet :« Pourquoi faut-il choisir entre son idéal et sa famille ? « Parce que le monde est comme ça ! » lui répond sa femme. « Alors, il faut changer le monde ! ». Il abandonnera sa femme et  son fils et les  perdra à cause de ses choix  intransigeants et ses convictions extrêmes. Antonio le brancardier, superbement interprété par Nino Nenfredi, restera fidèle à lui-même et à ses combats pour le prolétariat. Et certainement le plus heureux.

Et puis, il y a La femme : Luciana, ( Bellissima Stefania Sandrelli), aimée de tous, dont on ne connaît pas vraiment la vie, mais qui est le lien, le point d’attache entre eux trois durant les trente années relatées dans ce film. Trois amis, trente ans de récit, trois périodes de l’histoire de l’Italie illustrées par des hommages aux grands cinéastes admirés par E. Scola : «Le voleur de bicyclette» de Victorio de Sica (le film lui est d’ailleurs dédié) restitue cette période trouble de l’après-guerre, avec les problèmes des classes populaires, où il faut survivre quand tout repère semble avoir disparu.

ettore scola



Pour filmer l’ère du «miracle économique», E. Scola rend hommage à Fellini, d’abord par quelques clins d’œil : le beau-père de Gianni et sa famille, vulgaires et incultes malgré leur fortune, mangeant goulûment un cochon, apporté au moyen d’une grue. On pense inévitablement au début de «La dolce vita» où une statue du Christ suspendue à une grue, survole les nouveaux quartiers de Rome en construction. Puis, il fait se retrouver Antonio et Luciana sur le tournage de la mythique scène de la fontaine de Trévi, Fellini et Mastroianni, interprétant leur propre rôle. Ensuite, dans la dernière période, c’est en hommage à Antonioni que le cinéaste évoque le couple formé par Gianni et son épouse. 

Illustration de l’embourgeoisement de l’avocat et d’une crise d’incommunicabilité : sa femme enregistre ce qu’elle veut lui dire car ils n’arrivent plus à se parler. J’aurai encore beaucoup de choses à dire sur ce superbe film, mais je conclurai en laissant Robert Guédiguian nous donner ses impressions :«La première fois que j'ai débarqué à Rome, un été, au petit matin, c'était sur la Piazza del Popolo. La place où le personnage de Nino Manfredi retrouve celui de Vittorio Gassman, son ami qu'il n'a pas vu depuis très longtemps. Pour moi, le film, c'est d'abord cette Rome-là, cette place du Peuple. Manfredi incarne  le vrai peuple de gauche, issu de la résistance, mû par des valeurs de solidarité et d'honnêteté. Il est bafoué, mais il reste debout.. “Nous pensions changer le monde et c'est le monde qui nous a changés”, constate un personnage. Avec cette réplique clé, Scola reconnaît qu'on ne peut transformer la société de manière radicale, mais qu'on peut en changer des fragments chaque jour. Manfredi fait une surprise à ses deux vieux amis : il a fini par épouser Stefania Sandrelli, la femme tant aimée des trois. Moment superbe où Manfredi chante en regardant sans rancune Gassman et Stefano Satta Flores, les intellectuels qui ont trahi, l'un par narcissisme, l'autre pour le pouvoir...

La parabole est claire. Scola “offre” Stefania à celui qui est resté fidèle à ses idées. Ce grand film populaire, au sens où le peuple peut s'y reconnaître, est à voir "comme un remède à Berlusconi !"

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