Laissez vous bercer par la douce mélancolie du poème-nouvelle de Marie Derley, arrivée troisième au concours de nouvelles littéraires « Écriture des Sept Monts » du Petit Journal de Rome.
C’est dimanche, il fait glacial et c’est la pandémie.
Double peine.
Je voudrais retourner à Rome.
Je peux : j’ai jeté une pièce dans la Fontaine de Trevi.
Mais je ne peux pas : les frontières sont fermées.
Fermer les yeux. Faire le tour des sept collines.
Aventin, partir à l’aventure, franchir les murs,
je m’y vois, fouler les avenues, entre azur et avenir,
découvrir les rues, les places, la beauté, la pauvreté,
trouver le passé, s’enivrer
Cælius, son nom en « ussse »
comme Romulus et Remus, Septimius Severus, Janus, Vénus
Passer du mythe, aux antiques splendeurs des bâtisseurs
regarder le ciel par la fenêtre, sur le lit d’hôtel, en decubitus
le ciel découpé de pins parasols où s’accrochent les cumulus
rêver, rêver toujours, malgré le satané virus
Esquilin, je m’esquiverais, je partirais sans laisser de trace
pour recommencer une vie sous une autre identité
avec un aquilon qui rafraîchirait les étés trop chauds
De ruelles en escaliers, passer dans le moyen-âge
les tours, les forteresses et les églises exquises
plus nombreuses que les dévots, mille excuses
Palatin, regard au loin sur la colline des potins
Papoter devant les palais, les villas de la Renaissance
Quand j’étais petite, ayant appris le latin dans Obelix
je croyais que Domus Augustana
c’était le domicile de dame Augusta
Quirinal qui ne cesse de construire
qui s’embarque et s’enquille dans le baroque
revoir la fontaine de Trevi où les êtres ravis
jettent les pièces de leurs envies
Viminal, descendre par les voies vicinales
vitales pour la ville devenue capitale
revoir le Vittoriano, au coin de la via où j’ai vécu
et les palais Mussolini, aux lignes fluides et pures
Capitole, les oies sont devenues folles
les certitudes capitulent pendant qu’un virus pullule
nous voici, espèce menacée comme des colonnes décapitées
les civilisations passent, les humains passent
s’en aller en voiture décapotée, capter le vent
Tous les chemins mènent à Rome,
alors pourquoi pas mon chemin ?
Ce pays où je n’ai pas vécu
qu’en coup de vent
en coup de pierres, en coup de mer,
pour quelques jours de voyage, d’impressions,
marcher à en avoir les mollets durs
et les pieds sales dans les sandales
ce pays où je n’ai pas vécu
qu’en pensées
tous les siècles à la fois,
ce pays où je n’ai pas vécu
que j’ai lu dans ses pierres
dans ses livres, dans ses gens
ses marchands, ses passants et
ses voyageurs amoureux
ce pays où je n’ai pas vécu
qui me manque
comme s’il était celui d’une vie défunte
comme s’il était de mon passé
comme si je l’avais oublié
il y a eu un avant dont je me souviens
il y aura des après