Les dictatures délogées, les Italiens ont vite repris le français comme petite coquetterie dans leur langue. Tour d’horizon et histoires autour de ces mots disparus puis réapparus dans la langue de Dante.
Quel rapport y a-t-il entre cocktail et insalata russa (macédoine de légumes) ? Heu ... Bon, posons-le autrement. Pourquoi ces mots furent-ils un jour officiellement troqués, le premier, d'origine anglaise, contre bevanda arlecchina (boisson arlequine), le deuxième contre insalata tricolore (salade tricolore) en hommage au drapeau italien, vert petit pois, blanc pomme de terre et rouge carotte ?
A l'époque du fascisme, les mots étrangers italianisés
A l'époque du fascisme, parler une autre langue relevait de la haute trahison et faisait encourir de 5.000 lires d'amende à 6 mois d'emprisonnement. Certains mots étrangers furent italianisés, taxi devint tassì, le x ne figurant pas dans l'alphabet italien. D'autres furent éliminés : l'anglais playboy et le français viveur, plutôt bien installés en italien, s'échangèrent contre un vitaiolo inventé de toutes pièces (de vita, vie et iolo, pouvant avoir une valeur péjorative, voir donnaiolo, coureur de jupons). Jusqu'à ces caricatures comme tout droit sorties du journal de Mickey, Louis Armstrong apparu en Luigi Braccioforte (Louis Brasfort) et Buenos Aires en Buonaria (Bonair), tombées depuis de tous les lexiques. La fin des haricots pour les mots français qui, au cours des siècles, des voyages, des alliances, avaient l'habitude d'habiter ça et là un italien d'ordinaire bienveillant.
De coiffeur à parrucchiere et acconciatore
Lors de ces terribles années de répression, un étrange casimir ou casimiro se montra dans la Péninsule. Le Français qui a été enfant dans les années 70/80 y verrait un dinosaure bien orange et patapouf. Perdu. Il s'agit du mot cachemire passablement cabossé pour rendre ses origines françaises méconnaissables. Même si, en fait, il calquait son nom sur celui d'une région de l'Inde et qu'il existait autrefois pour un tissu dont on faisait certains vêtements pour homme. Mais les mots retombent toujours sur leurs pattes.
L'oppresseur congédié, les dictionnaires italiens reprirent à leur compte le français cachemire, et toc, tout comme l'anglais cashmere, retoc, rescapés l'un et l'autre de leur lointaine disgrâce. On réserva le même sort au mot coiffeur, en français détesté, qui fut retiré au profit d'un parrucchiere plus italianisant. Sauf qu'on imposa d'éliminer un mot français pour en instituer un autre d'origine... française, parrucca, descendant direct de notre perruque. Bien fait pour les censeurs. Et maintenant ? Pas si mort que ça le coiffeur, sachant toutefois que celui-ci ne coiffe que les femmes, comme dans le français parlé au Canada ou au Liban. Plus couramment, parrucchiere. Plus élégant, acconciatore.
Quant au barbiere (en Italie il s'occupe aussi des cheveux) longtemps resté vieillot et, on l'aura imaginé, exclusivement masculin, la mode actuelle des bacchantes et des barbiches de toutes sortes l'a paré d'une aura très vintage.
Brioscia et purè
Et la nourriture, sacrebleu, on la vit passer à la trappe à son tour. Du jour au lendemain, fi du croissant et de la brioche du matin qui étaient couramment utilisés sous cette forme auparavant. Dans les bars et boulangeries du quartier, il était désormais convenu de demander un cornetto (petite corne) ou une brioscia à l'écriture et aux inflexions plus péninsuliennes. Après la guerre, lorsque les Italiens retrouvèrent leur parole, la fameuse viennoiserie se déclina en trois versions : brioche, croissant, cornetto. Ce serait, dit-on, une question de géographie, parfois de recette, au Nord brioche, au centre et dans le sud cornetto mais les choses ne sont pas si rigides. A midi, le soir, les assiettées de purée, ou plutôt de purè (le mot est masculin en italien), furent bannies du pays et la mamma appelait sa progéniture à taaaaaaaaaable! en annonçant sa fameuse poltiglia (bouillie) faite maison. Dommage que le mot veuille dire aussi vase et boue et qu'à l'oreille ce ne soit certes pas du même effet. Mais, vive les Italiens, dans les cuisines et les cantines d'après-guerre, très vite et tout comme avant, les enfants retrouvèrent le droit de réclamer leur double portion de purè.
Et quand un incendie se déclarait quelque part ? Horreur, car il n'y avait plus un seul pompiere sur le territoire ! Eh non, le mot formé sur le français « pompier » était sorti des rangs. Sans compter qu'on le devait à Joseph Bonaparte, frère de Napoléon et roi de Naples, qui avait institué le Corpo dei Pompieri. On invita Gabriele D’Annunzio, poète du régime à ses débuts, à trouver la parade. Celui-ci ressuscita les vigiles de la Rome antique qui étaient chargés d'éteindre les incendies et de veiller à la sécurité du peuple. Ainsi naquirent les vigili del fuoco (ne parle-t-on pas nous aussi des «soldats du feu» ?) aux accents cette fois-ci historiquement italiens et en deçà, c'est vrai, du « pompier » français sorti d'une « pompe » très terre à terre. Les vigili ont traversé les temps, c'est la dénomination officielle du corps des sapeurs-pompiers italiens. Quant à pompiere, il a tout à fait résisté, c'est la même chose en plus familier.
Le retour du français dans la langue italienne
Les dictatures délogées, les Italiens ont vite repris le français comme petite coquetterie. Parmi leurs dernières acquisitions, un drôle de dehors avec le sens retouché de « terrasse de bar ou restaurant ». Nous, pareil, nous aimons faire italien chic en empruntant des mots, quitte parfois à en altérer le sens, comme ce tout récent latte (lait) prononcé latté, pour un café au lait aux allures italiennes surmonté d'une belle mousse. La langue bouge, s'amuse, s'enrichit et c'est sa première poésie. Et on voit que les mots sont les meilleurs amis de l'homme puisque, en plus, ils nous donnent des leçons d'optimisme et de survie même dans les périodes de grand marasme.