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Le contrôle de présence au bureau des salariés par Micosoft Teams, est-il légitime ?

Microsoft prépare une mise à jour de Teams qui suscite de nombreuses interrogations en matière de protection des données et de contrôle de l’activité des salariés. En France comme en Italie, plus que la technologie elle-même, c’est la philosophie du contrôle qu’elle véhicule qui est interrogée.

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Photo de Ed Hardie sur Unsplash
Écrit par Lablaw
Publié le 28 décembre 2025

Microsoft prépare une mise à jour de Teams qui suscite déjà un vif débat. À partir de 2026, la plateforme pourra signaler aux employeurs si un salarié se connecte depuis le réseau Wi Fi de l’entreprise, grâce à une mention spécifique visible lors de la participation aux réunions. La fonctionnalité repose exclusivement sur la connexion au réseau interne de l’entreprise et n’implique pas de système de géolocalisation en temps réel. Selon Microsoft, l’objectif affiché est organisationnel : mieux planifier les réunions, faciliter le travail en équipe et améliorer la coordination entre les collaborateurs présents sur site. Cette annonce soulève toutefois de nombreuses interrogations quant à sa compatibilité avec les règles européennes et nationales en matière de protection des données et de contrôle de l’activité des salariés.

Un outil de travail ou un moyen de contrôle ?

Même en l’absence de géolocalisation précise, le fait de pouvoir déduire si un salarié se trouve physiquement dans les locaux de l’entreprise constitue une information sensible dans le contexte professionnel. La question centrale n’est pas tant celle de la technologie utilisée, mais celle de l’usage qui peut être fait de cette information par l’employeur. Dans plusieurs États européens, la jurisprudence rappelle depuis longtemps qu’un outil de travail peut devenir, de facto, un instrument de contrôle dès lors qu’il permet de collecter des données sur le comportement ou la présence du salarié.

Le point de vue du droit italien

En Italie, le débat s’inscrit dans un cadre juridique particulièrement structuré, celui du Statuto dei Lavoratori. La référence centrale est l’article 4 du Statut, qui encadre strictement le contrôle à distance de l’activité des salariés. Cette disposition repose sur une idée fondamentale : la technologie ne peut être utilisée pour surveiller le travailleur, sauf dans des hypothèses précisément définies et à des conditions rigoureuses. La question posée par la nouvelle fonctionnalité de Teams est donc de savoir si l’indication de la présence ou non du salarié dans les locaux de l’entreprise peut être considérée comme un élément essentiel à l’exécution de la prestation de travail. Or, la position constante du ministère du Travail italien et de l’autorité garante pour la protection des données personnelles est particulièrement restrictive sur ce point. Est jugé essentiel uniquement ce qui est strictement nécessaire à l’organisation du travail, et non ce qui relève d’une simple commodité managériale. Dans cette perspective, un outil permettant de déduire le lieu de connexion du salarié risque d’être qualifié de contrôle à distance, même indirect, dès lors qu’il fournit à l’employeur une information sur la présence physique du travailleur. En conséquence, son utilisation ne peut être admise qu’à condition de respecter les garanties prévues par la loi, à savoir la conclusion d’un accord syndical ou, à défaut, l’obtention d’une autorisation de l’inspection du travail. À défaut de ces prérequis, les données collectées ne peuvent être utilisées, notamment à des fins disciplinaires. Cette interprétation restrictive du contrôle à distance trouve un appui supplémentaire dans la jurisprudence italienne récente, qui, même en présence d’outils numériques professionnels, réaffirme la primauté de la protection de la sphère privée du salarié et limite strictement l’usage des données collectées par l’employeur. Un exemple significatif qui a jugé que les communications privées des salariés demeurent protégées même lorsqu’elles transitent par des dispositifs ou des infrastructures informatiques de l’entreprise, est la décision de la Cour de Cassation n. 24204/2025, avec laquelle le Suprême Collège  a affirmé que les e-mails privés des travailleurs restent inviolables même s’ils transitent par des dispositifs ou serveurs fournis par l’entreprise, et ne peuvent être utilisés comme preuve sans respecter la vie privée des salariés. Cette position s’enracine, aussi, dans l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège la vie privée et la correspondance, et limite ainsi les pouvoirs d’investigation des employeurs sur les outils numériques mis à disposition des travailleurs. Ce précédent a été largement commenté comme une avancée significative en matière de tutelle de la vie privée en milieu professionnel, car il impose des limites strictes aux contrôles d’entreprise qui empiéteraient sur la sphère personnelle du salarié

En France, le contrôle des salariés à l’épreuve des outils numériques

En droit du travail français, la question du contrôle de l’activité des salariés s’inscrit dans un équilibre délicat entre le pouvoir de direction de l’employeur et la protection des libertés individuelles. Si l’employeur peut organiser et superviser le travail, ce pouvoir n’est jamais illimité. Le Code du travail pose un principe clair : toute atteinte aux droits et libertés des salariés doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et strictement proportionnée à l’objectif poursuivi. Ce cadre juridique trouve une application particulièrement sensible lorsque l’entreprise recourt à des outils numériques susceptibles de produire des informations sur l’activité, le comportement ou la présence des salariés, qu’ils travaillent sur site ou à distance.

La jurisprudence française rappelle de manière constante que la licéité d’un dispositif ne dépend pas uniquement de sa qualification formelle, mais surtout des données qu’il permet de collecter et de l’usage qui en est fait. À cela s’ajoute une exigence procédurale forte : les salariés doivent être informés de manière claire et préalable, et les instances représentatives du personnel doivent être associées lorsque le dispositif est susceptible d’affecter les conditions de travail. Cette approche est étroitement complétée par le droit de la protection des données personnelles. En France, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) veille à l’application du RGPD dans le contexte professionnel, en rappelant que les traitements mis en œuvre par l’employeur doivent respecter des principes fondamentaux tels que la licéité, la transparence, la limitation des finalités, la minimisation des données et la proportionnalité. Autrement dit, la technologie ne peut pas servir de raccourci pour instaurer une surveillance continue ou excessive des salariés.

Surveillance au travail : le cas d’Amazon France Logistique

C’est précisément à la lumière de ces principes qu’a été analysé le cas Amazon France Logistique, devenu un précédent majeur en matière de surveillance au travail. Par une décision du 27 décembre 2023, la CNIL a infligé à l’entreprise une amende de 32 millions d’euros, estimant que le système mis en place dans les entrepôts portait une atteinte disproportionnée aux droits des salariés. Concrètement, chaque employé utilisait un scanner permettant d’enregistrer en temps réel les tâches effectuées. Les données ainsi collectées servaient à produire des indicateurs extrêmement détaillés de productivité, de performance et de temps d’inactivité, allant parfois jusqu’à exiger la justification de chaque interruption. Pour la CNIL, ce dispositif dépassait ce qui pouvait être considéré comme nécessaire à la gestion logistique, en instaurant une forme de pression permanente sur les travailleurs par l’accumulation et la conservation systématique d’informations relatives à leur comportement quotidien. L’autorité de contrôle a ainsi conclu que ces traitements ne respectaient ni le principe de minimisation des données ni les obligations d’information et de transparence prévues par le RGPD. Au-delà de la sanction financière, la décision Amazon clarifie comme même lorsqu’un objectif organisationnel est légitime, il ne peut justifier des dispositifs qui aboutissent, dans les faits, à une surveillance intrusive et continue de l’activité des salariés.

Présence, performance et confiance, repenser le contrôle à l’ère du travail à distance

Le développement du télétravail et des formes hybrides de travail a profondément transformé la relation salariale. Là où la présence physique constituait autrefois un indicateur implicite de l’exécution de la prestation, le travail à distance impose aujourd’hui un changement de perspective : ce n’est plus le lieu qui compte, mais le résultat et l’organisation de l’activité. Dans ce nouveau contexte, la tentation d’utiliser les technologies numériques pour reconstituer artificiellement une forme de présence ou de contrôle est forte. Les outils collaboratifs, initialement conçus pour faciliter la communication et la coordination, peuvent ainsi devenir des instruments permettant de collecter des informations indirectes sur les habitudes, les rythmes ou la localisation des salariés.

C’est dans cette perspective que les débats juridiques autour de fonctionnalités comme celle annoncée par Microsoft Teams prennent tout leur sens. Plus que la technologie elle-même, c’est la philosophie du contrôle qu’elle véhicule qui est interrogée. La frontière entre organisation du travail et atteinte à la vie privée devient d’autant plus ténue lorsque le domicile du salarié se confond avec son lieu de travail. Les expériences française et italienne montrent que, quel que soit le lieu d’exécution du travail - en présence, à distance ou en mode hybride - les technologies numériques ne peuvent servir à étendre sans limite le contrôle de l’employeur. Le télétravail accentue ces tensions, sans en modifier la nature, dans un cadre qui s’inscrit désormais dans des principes européens communs de proportionnalité, de transparence et de protection de la vie privée des travailleurs.

 

Angelo Quarto Beatrice Russo

 

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