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Minute franco-italienne : Le pois chiche et le persil

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Écrit par Françoise Danflous
Publié le 3 février 2021, mis à jour le 29 décembre 2023

Quel rapport y a-t-il entre un épi de blé, un pois chiche et du persil ? Une histoire de linguistique, symbolisant les premières manifestations de glottophobie, la discrimination par l’accent.

Quel rapport y a-t-il entre un épi de blé, un pois chiche et du persil ? Ce sont des plantes et elles sont comestibles. Heu, c'est ça, le scoop ? Ce sont des plantes, ce sont aussi les mots qui les désignent et gare à celui qui les écorche. Voilà. Tout habile et cultivé soit-on, on parle rarement une langue étrangère sans l'altérer d'un petit quelque chose qui ne sonne pas juste et nous identifie d'emblée. On appelle ça l'accent. C'est ainsi que l'épi de blé, le pois chiche et le persil furent un jour des paroles empoisonnées, capables de faire passer illico dans l'autre monde ceux qui les estropièrent. Ces paroles malfaisantes et mortelles portent un nom d'ovni et d'abracadabra venu de temps bibliques : le schibboleth.

Tout commença par une guerre très lointaine entre tribus. Les gardiens du Jourdain, pour reconnaître leurs ennemis qui voulurent le franchir, imaginèrent une astuce imparable. Ils montrèrent un épi de blé et il fallait en dire le nom : « schibboleth ». Le tour fut vite joué : certains connaissaient le mot mais leur accent les démasqua et on les égorgea sur-le-champ.

Au XIIIe siècle, les Siciliens lancèrent une rébellion contre la domination française, connue sous le nom des Vêpres siciliennes. On raconte que des Français endossèrent alors dare dare le costume de la population locale pour se fondre dans la foule. Schibboleth ! On montra une poignée de pois chiches et il fallut en dire le nom : « cìciri » en sicilien (se dit tchìtchiri). Trahis par le c, trahis par le r, trahis par l'accent, peu courant en italien, sur la première syllabe, les Français, aïe aïe aïe, bredouillèrent des sisìri et kikìri si mal fagotés qu'ils furent aussitôt débusqués, trucidés.

Même histoire, sur une autre île d'une autre mer d'un autre temps. Dans les années 30, le président de la République dominicaine voulut se débarrasser des Haïtiens travaillant dans ses champs de canne à sucre. Oui mais comment les distinguer des Dominicains, cousins dans l'âme et dans l'allure ? Schibboleth ! On montra une branche de persil et il fallut en dire le nom. Persil, « perejil » en espagnol : trahis par le r, trahis par la jota, les Haïtiens, francophones, bredouillèrent ce qu'ils purent comme ils purent. Débusqués, trucidés.

Aux oubliettes les schibboleths ? Mmm. Un accent, c'est une moustache à la Groucho Marx, on ne voit, on n'entend que ça. Un Milanais ferme son e partout (vénto pour vento), un Italien du Sud redouble ses consonnes (libbero pour libero); un Parisien a un accent pointu bien serré (Mareuc pour Maroc), un Français du Midi des voyelles écarquillées (pomme pour paume). Il n'y a pas si longtemps, un leader politique célébrissime rétorqua à une journaliste à l'accent toulousain une phrase étonnamment cinglante : « Quelqu’un a-t-il une question formulée en français ? ».  C'est pour mettre le holà aux manifestations de glottophobie (la discrimination par l’accent, national, régional ou social) de plus en plus fréquentes (en politique mais aussi dans les entretiens d'embauche) que, en novembre dernier, l'Assemblée nationale a débattu d'un projet de loi : jusqu'à trois ans de réclusion et 45 000 euros d’amende à tout contrevenant.

Séduction plutôt que discrimination

Ne voyons pas tout noir. De récents sondages ont aussi confirmé l'engouement historique des Français pour l'accent l'italien, des Italiens pour l'accent français. Le schibboleth pourrait donc se jouer à l'envers et, d'outil de détection et discrimination linguistiques, se poser en véritable atout de séduction. On peut donc faire chavirer d'émotion n'importe qui d'un simple mot mâchouillé tout de travers ? Oui oui oui. Alors surtout ne tentons pas d'abolir toutes nos cadences maternelles. Un bel accent frenchy ou des r roulés à l'italienne en guise de bouquet de roses rouges et périssables pour la prochaine Saint-Valentin, juré craché, ça peut marcher !

 

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