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Minute franco-italienne : La métamorphose du postillon

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Écrit par Françoise Danflous
Publié le 29 décembre 2020, mis à jour le 19 octobre 2023

Entre les mots qui tombent en désuétude et ceux qui changent de sens au fil des années, Françoise Danflous nous fait voyager, toujours entre la France et l’Italie, avec un « postillon ».

Le temps passe, les gens changent, des choses vont et viennent et les mots, naturellement, bougent avec. Certains, souvent par désuétude, tombent dans une si petite forme qu'ils finissent par s'estomper des dictionnaires. Un claude était un imbécile, on s'en souvient ? D'autres se laissent dominer par un seul de leurs sens, comme zizanie : mauvaise herbe, le premier, s'efface devant celui, plus couru, de discorde. D'autres en changent carrément : formidable, jadis redoutable, aujourd'hui magnifique.
Et « postillon », je le mets où ? Tout le monde connaît le conducteur des diligences de la poste qu'il désigne, « postiglione » en italien, même s'il est désormais relégué dans les livres d'histoire ou dans les contes. L'autre « postillon », le seul vraiment actif de nos jours, dit, en français, tout à fait autre chose : goutte de salive projetée quand on parle. En italien, aucune trace de « postiglione » dans ce sens-là ; on parle simplement de « goccioline » (gouttelettes). Et le verbe « postillonner » voulant dire voyager avec les postillons ? Évanoui dans ce sens. Aujourd'hui, moins romantique, plus dégoûtant, il signifie cracher à la figure des autres.


L’emprunt au « postiglione »

Le « postillon » fut emprunté au « postiglione » italien, lui-même issu de « posta » qui désignait les relais de chevaux de poste. Ajustons nos lorgnettes. Le postillon-postiglione, qui montait à cheval à l'avant du véhicule (le cocher conduisait l'attelage assis sur un siège), transportait les voyageurs le plus rapidement qu'il pouvait.  On retrouve l'idée de célérité dans « en poste » pour « très vite » et « correre le poste » ou « andare per le poste » pour « être rapide ». Mais aussi chez Charles Perrault qui s'inspira des bottes du postillon (énormes, lourdes et puissantes pour le protéger en cas de chute) pour ses bottes de 7 lieues, la distance qu'elles faisaient franchir en une seule enjambée. Puis, après la disparition des relais, le postillon-postiglione déclina peu à peu. En italien, le langage de tous les jours perdit ses traces. En français, le mot commença à se clochardiser et rejoindre les bas-fonds, finissant par désigner une boulette de mie de pain contenant un message que les prisonniers se lançaient pour communiquer. Le sens courant de gouttelette de salive projetée involontairement en parlant, arrivé plus tard, se rattache à cette image. A chaque boulette, sa dépêche. A chaque gouttelette, son microbe, son virus.

Des mots à postillons

Accordons-nous à ce propos une petite digression d'actualité. Le 1er avril dernier, Le Monde publie un canular révélant que certaines consonnes comme b, p, t ou d, ont la vertu de projeter les postillons avec une telle puissance qu'elles peuvent être à l'origine d'une transmission de coronavirus.  Le journal insiste, le lecteur sourit : il faut les abolir, ne pas dire un plat plein de pâtes mais une assiette garnie de nouilles, et notamment « interdire le tutoiement dans les lieux publics » avec ses dangereux tu, toi, te, ton, lui préférant le vouvoiement qui, de surcroît et par nature, favorise la distanciation sociale. Oui mais voilà, ironie du sort, la blague a été revue puis validée par des scientifiques. Eh oui, des mots tout ronds tout bêtes peuvent réellement devenir de véritables pistolets à corona, comme papa (papà), baba (babà), pamplemousse (pompelmo) ou trottinette (monopattino). Et là, on s'incline : l'italien est mieux pourvu que nous avec ses doubles consonnes qu'il convient de prononcer : les latte (lait) et pappa (bouillie) et babbo (papa) apparemment tout inoffensifs sont de véritables mitraillettes ! On pardonnera alors plus facilement aux Français, souvent inaptes à bien dire les doubles italiennes, de ne pas les appuyer correctement sachant qu'un «cappello» (chapeau) peut avoir des dispositions plus assassines qu'un «capello» (cheveu). Un défaut qui pourrait bien cette fois avoir les mérites d'un... geste barrière. Foi de postillon.

 

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