Françoise Danflous, lexicographe, nous offre une échappée linguistique franco-italienne. Pour ce deuxième rendez-vous, plongeons dans les racines de maschera, l’un des mots les plus prodigieux de la langue de Dante, que les Italiens ont exporté.
Lorsqu'ils voyageaient hors de leur royaume, les reines et les monarques ne transportaient pas que couronnes, dentelles et pièces d'or dans leurs malles. Ils y déposaient aussi, sans y penser vraiment, tout un vrac d'us et curiosités que leurs voisins ne connaissaient pas. Les Italiens adoraient les divertissements dansants et travestis. Et quand ils posèrent le pied sur l'autre versant des Alpes avec leurs bals masqués et leurs atours étonnants, le monde du déguisement et les mots qui s'y rattachaient apparurent avec eux. Le mot travestito (déguisé) devint travesti dans nos lexiques ; posticcio (artificiel, factice) devint postiche ; la parrucca (chevelure, coiffure de faux cheveux), la perruque ; la maschera le masque et, de la même famille, notre oreille s'en serait doutée, la mascherata (fête masquée), la mascarade.
C'est justement avec maschera que les Italiens ont exporté l'un des mots les plus prodigieux de leur langue. La maschera désignait, certes, le faux visage de carton peint, carton-pâte, velours ou plâtre avec trois trous pour voir et respirer dont acteurs, danseurs et Zorro de tout poil se paraient afin de se rendre méconnaissables sur la scène, sur la piste ou pour déjouer la police. Un bel atout déjà. Mais l'origine italienne du mot raconte une autre histoire venue d'une époque lointaine et mystérieuse : elle fait remonter maschera au mot maska, qui désignait à la fois la suie et la sorcière. La suie dont se noircissait la sorcière pour préparer ses sortilèges. De bienveillants sortilèges si l'on sait que le mot « mascotte » appartient lui aussi à la famille de maschera et maska (par le biais du provençal mascoto). Ouh là là, c'est vrai, l'étymologie donne parfois le vertige ! Mais voilà, elle restitue aussi des vérités perdues et nous montre ici que le masque, que l'on ne croyait que ludique et trompeur, aurait une racine aux vertus magiques et bienfaisantes.
Masques et mascottes, étymologiquement cousins, sont capables de quiproquos carnavalesques mais aussi de prodiges quotidiens, sauvant de bien des maux fleurettistes, apiculteurs, soudeurs, plongeurs, soldats, chirurgiens et, tous les jours, à chaque croisement, tous les quidams que nous sommes en ces temps pesants de pandémie.