Originaire de la "vraie" Italie, le « pacco da giù » a existé bien avant qu’il y ait un mot pour le dire. Bien plus qu’un simple « colis », son ouverture est un rite, un événement.


Des rythmes plus ou moins rapides de pilon, de râpe et de fouet dans les cuisines du grand sud italien. Ça tape, ça bat, ça zeste. Pause. Puis ça reprend avec des bruits de cuisson, clapotis et crépitements en continu. Nous y sommes, le bataillon de mamme et zie et nonne est lancé pour rissoler et gratiner toute la journée. Et si ce n’est pas le moment d’un repas ni d’une fête, c’est qu’elles sont dans le feu du sacro-saint pacco da giù, le colis du sud, à expédier à leurs rejetons, rejetonnes, partis faire leurs études fuori sede (loin de la maison). Peut-être dans les brouillards milanais. Peut-être dans les pénombres turinoises. Pire, mannaggia, expatriés au fond d’un coupe-gorge londonien et perdant au réveil un kilo, une couleur, une bonne humeur en plus. Surtout pas de panique ! Si les signore des fourneaux se démènent à grands bras et recettes séculaires, c’est qu’elles connaissent le remède universel : le pacco da giù revigorant, à expédier tous les six mois. Tous les mois. Tous les matins dès l’ouverture de la poste si on les laissait faire.
Une tradition sacrée
Autrefois méchamment dénommé pacco terrone, colis du cul-terreux, le cadeau venu du Sud s’est définitivement rangé sous l’expression pacco da giù aux allures plus larges et inoffensives, trois petits mots qui n’en font qu’un et qui devraient recevoir bientôt les honneurs du dictionnaire. Obligé, depuis l’éternité qu’on en parle - le pacco da giù a existé bien avant qu’il y ait un mot pour le dire - depuis qu’on le fabrique dans chaque famille pour un, une destinataire qui vite vite le déballera comme à Noël !
Le mot pacco veut dire « paquet », ou « colis », c’est simple. Méfions-nous par contre de ce giù un peu bizarroïde à l’aspect trop sommaire ! Il signifie « en bas », dans un sens cartographique aussi, impliquant le Meridione, le Midi italien. Mais ce drôle de petit giù a des talents cachés car plus on s’éloigne du sud italien, plus sa définition se transforme. Chez les Italiens émigrés à Paris ou Berlin, giù peut renvoyer à n’importe quelle ville italienne, quel que soit le point cardinal sur lequel elle se trouve. Pour les Italiens émigrés dans un Pétaouchnock plus reculé, New-York ou Singapour, giù c’est l’Italie tout entière, d’un bloc et sans aucun chichi de clocher. C’est dire le pouvoir de la nostalgie, qui change un giù géographique de pas grand chose en incommensurable giù affectif et vital ! Et un carton ficelé, scotché avec les moyens du bord, en tradition incontournable et sacrée !
Des trésors affectifs qui voyagent
L’ouverture du pacco est un rite, un événement. Le célèbre chef napolitain Antonino Cannavacciuolo lui a consacré une émission de son MasterChef italien. Tout grand, gros, barbu, tout quasi ogresque qu’il se montre, il s’est fait désarmant, petit, fier et touché, devant son colis lorsqu’il l’a présenté à son public : questo me l’ha mandato la mia mamma : è il mio pacco da giù !, « c’est ma maman qui me l’a envoyé : c’est mon pacco da giù ! ». Ah, les trésors qu’on sait y renfermer ! D’abord ces pitances toujours à point et de saison qui ne verront jamais le jour hors Meridione : des citrons énormes qui sentent énormément le citron, des oranges à la saveur de véritable orange orange et des tomates étonnantes et gouteuses comme à tous les étals des marchés de là-bas. Des spécialités locales aux noms de formules magiques qui donnent du punch rien qu’à les écouter, tarallucci des Pouilles, culurgiones de Sardaigne, ‘nduja de Calabre ! Des spécialités de famille cuisinées maison, les sugo, parmigiana et pasta al forno de la mamma, les pelati de zia Immacolata et les cannoli de nonna Assunta, à se damner plutôt dix fois ! Plus le limoncello de zio Gennaro en prime, une livraison sur quatre, trois… ou deux ! Parfois, tiens donc, des spécialités de nulle part que l’on pourrait acheter partout, boîte de thon ou chocolat de supermarché, meilleurs simplement parce qu’ils ont fait le voyage da giù comme pour dire da casa, de la maison, et ajoutés en dernier, au cas où.

A l'intérieur, une mamma italienne
Au cas où quoi ? Au cas où tout. Parce que le pacco da giù, c’est aussi l’art de l’abondance. Et l’art de tout faire arriver comme à peine sorti des fours et des cocottes. L’art du bocal en verre, du sous-vide, du Tupperware. L’art de remplir les vides afin d’éviter la casse avec des légumes en vrac et des feuilles du journal local que la povera creatura exilée, forcément ennuyée, forcément éprouvée, finira bien par lire et commenter. Alors ? Misère ! Ce qui a été écrit plus haut ne vaut pas ! Le pacco da giù n’est pas une liste de bonnes choses tombées du ciel. Enfin, pas que. Ce qu’il contient en bref, en vrai et pour toujours, c’est une mamma italienne, invisible mais tout entière, génétiquement angoissée et qui veille : mangia che ti passa (mange, ça ira mieux) ! Et perbacco ce que ça marche !
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