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Victoire de Meloni en Italie : "Un grand moment d’incertitude politique" (Marc Lazar)

Giorgia Meloni a remporté les élections législatives en ItalieGiorgia Meloni a remporté les élections législatives en Italie
Giorgia Meloni, lors de son discours à l'issue du scrutin des élections législatives le 25 septembre
Écrit par Marie-Astrid Roy
Publié le 26 septembre 2022, mis à jour le 27 septembre 2022

Avec la victoire écrasante mais sans surprise de Giorgia Meloni aux élections législatives en Italie, un parti post-fasciste se retrouve aux portes du pouvoir pour la première fois depuis 1945, qui plus est dans un pays fondateur de l'Union européenne. Décryptage et entretien avec Marc Lazar, professeur émérite d'Histoire et de sociologie politique à Sciences Po et à l'Université Luiss à Rome sur ce qu’il qualifie de "tremblement de terre politique".

 

La nette victoire de Fratelli d’Italia confirme le leadership de sa cheffe de file Giorgia Meloni, qui mène la coalition de droite, née de l’alliance passée entre la Ligue de Matteo Salvini, Forza Italia de Silvio Berlusconi, et le parti post-fasciste Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), au pouvoir.
Selon les chiffres officiels publiés par le ministère de l’Intérieur ce lundi, au lendemain du scrutin des élections législatives qui se sont tenues le 25 septembre, le centre-droit a conquis 235 sièges à la Chambre des députés, contre 80 pour la coalition de centre-gauche, 51 pour le Mouvement 5 étoiles et 21 pour le Troisième pôle (Azione de Calenda et Italia Viva de Matteo Renzi). Au Sénat, le centre-droit obtient également la majorité : 112 sièges contre 39 pour le centre-gauche. Le Mouvement 5 étoiles a 28 sénateurs élus et 9 pour Azione/Italia Vica.
A noter, le nombre des parlementaires se voit réduit de plus d’un tiers à partir de cette élection – passant de 951 à 600 sièges, dont quatre cents de députés et deux cents de sénateurs - conformément à une réforme constitutionnelle adoptée en 2020.
C’est la première fois que les élections législatives se déroulent selon la loi Rosatellum bis datant de 2017, qui consacre le suffrage universel direct par un mode de scrutin dit mixte, combinant l’usage du scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel. En clair, deux tiers ont été élus députés et sénateurs à la majorité proportionnelle, et un tiers au scrutin majoritaire à un tour.
La coalition de droite présentait un seul candidat dans tous les collèges, et obtient près de 44%. De l’autre côté,  les opposants étaient donc majoritaires, mais comme ils étaient divisés, ils n'ont pas gagné.

 

Le jeune parti de Giorgia Meloni, Fratelli d'Italia, est dans l’opposition depuis sa création en 2012. En 10 ans, il n’a participé à aucun gouvernement, ni de droite, ni de gauche. En affirmant un discours conservateur durant sa campagne, elle marque une ascension fulgurante passant de 4% à 26% en moins de cinq ans.

 

Comment cette progression spectaculaire modifie-t-elle la géographie politique italienne ?

Marc Lazar : On assiste sans conteste à un événement inédit, d’abord car depuis la naissance de la République c’est la première fois qu’une femme va sans doute être présidente du Conseil. Et cette femme qui plus est, a eu un passé dans un groupement fasciste alors que nous sommes dans un pays où la Constitution est anti-fasciste. Giorgia Meloni a certes pris ses distances avec le fascisme, bien que parfois avec un peu d’ambivalence, mais elle souhaite transformer Fratelli d’Italia en un parti très à droite, conservateur et traditionaliste. Je crois que l’on va assister à un système de grande recomposition des partis avec sans doute de grandes difficultés pour certains leaders comme Matteo Salvini (Ligue), alors qu’à gauche le secrétaire du parti démocrate (PD) Enrico Letta a déjà annoncé qu’il ne serait pas candidat à sa propre succession.
On va donc être dans un grand moment de recomposition politique et à cet égard d’incertitude politique en Italie.
Mais il va d’abord falloir voir comment Giorgia Meloni va former son gouvernement, en fonction de ses rapports avec ses alliés, de sa volonté de rassurer et d’ouverture. Elle devra aussi bien sûr en parler avec le président de la République Sergio Mattarella ,car rappelons qu’aux termes de l’article 92 de la constitution, c’est lui qui désignera les ministres sur proposition de la présidente du Conseil. Le processus est long en Italie. Il faut attendre que les élus se réunissent (d’ici le 15 octobre), puis que le président de la République entame les consultations et seulement après le gouvernement sera nommé, probablement pas avant la fin octobre, début novembre.

 

L'Italie risque la même instabilité politique que ces dernières années

Après dix ans de fragmentation au Parlement, avec la victoire très nette de Fratelli d’Italia, c’est la première fois depuis longtemps que des élections n’avaient pas été remportées à une très large majorité en Italie. Peut-on penser pour autant à une future stabilité gouvernementale ?

Plusieurs facteurs indiquent que l’Italie risque la même instabilité politique que ces dernières années. La coalition est divisée, il existe des divergences sur des questions essentielles comme l’Union européenne, la politique fiscale ou encore la guerre en Ukraine. A cela s’ajoutent les rivalités personnelles entre Giorgia Meloni, Matteo Salvini et Silvio Berlusconi, ce qui laisse penser que ce gouvernement n’échappera pas à la fatalité d’une année et demie d’unité, qui éclatera par la suite. De l’autre côté, la droite attendait depuis longtemps de revenir au pouvoir, même si la Ligue et Forza Italia ont participé au gouvernement de quasi unité nationale. Ce facteur peut faire en sorte de résoudre les tensions et de faire compromis au sein de la coalition.  C’est d’ailleurs sûrement ce à quoi pense Giorgia Meloni pour durer et marquer de son empreinte tant que faire se peut, la politique en Italie.

 

Quel sera l’impact de ces résultats sur le plan européen ?

Giorgia Meloni a développé une thématique nationaliste, mettant en également en avant des valeurs conservatrices. Et après avoir tenté de « rassurer », elle a repris un discours extrêmement dur au cours des meetings de ces dernières semaines, comme à Milan le 11 septembre où elle déclarait : "La fête est finie, l'Italie va commencer à défendre ses intérêts nationaux, et après on cherche des solutions communes." Mais concrètement, on ne sait pas ce que cela signifie. Elle a par ailleurs affirmé qu’elle souhaitait revoir le Plan national de Relance et de résilience (PNRR) mais sa marge de manœuvre sur les questions économiques est étroite car l’Italie a une très forte dette publique et déficit public. Et surtout, elle ne peut pas trop tendre la corde, au risque de ne pas avoir les autres tranches d’aides promises par la commission européenne à l’Italie.
Néanmoins, sur les questions de migration et de valeurs sur lesquelles elle a beaucoup insisté avec un discours conservateur, en parlant notamment de droit au non avortement, elle essayera sans doute de marquer sa différence. Aussi, on ne peut pas exclure que le gouvernement italien se rapproche plus des polonais et des hongrois, ce qui pourrait engendrer un possible changement des rapports de force au sein de l’Union européenne.

 

Au-delà de la divergence idéologique profonde entre Giorgia Meloni et le président Emmanuel Macron, la raison d’Etat l’emportera.

 

A l’annonce de la victoire de Giorgia Meloni, le président Emmanuel Macron a lancé un appel pour « continuer à travailler ensemble ». Faut-il craindre une distanciation des relations entre la France et l’Italie ?

Il est certain que ce ne sera plus la même lune de miel qu’il existe entre Emmanuel Macron et Mario Draghi. On sait que Giorgia Meloni a souvent critiqué le président de la République Emmanuel Macron avec qui elle entretient des divergences idéologiques profondes. Cependant, dans une interview délivrée mi-septembre dans Le Figaro, elle déclarait qu’elle conserverait de bons rapports avec la France. Il y aura sans doute des sujets de tension, mais je pense que la raison d’Etat l’emportera, notamment car la France et l’Italie sont l’un pour l’autre les deuxièmes partenaires économiques et commerciaux. Les deux pays ont en outre un intérêt commun pour essayer d’obtenir un assouplissement des règles de dette et de déficit publics.

 

Et l’avenir du Traité bilatéral du Quirinal est-il menacé ?

Il risque d’y avoir une pause sur le plan institutionnel du Traité du Quirinal. On imagine mal par exemple, comment pourrait être organisée, comme une disposition le prévoyait, la participation au conseil des ministres français d’un italien, et vice-versa. Mais j’espère que cette nouvelle coalition au pouvoir n’empêchera pas l’éclosion de toutes les initiatives nées du Traité du Quirinal et actuellement en cours, sur le plan économique, social, culturel, de l’éducation, ou encore de la recherche.

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