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Les licenciements collectifs en Italie, examinés par la Cour de l'UE

Licenciement collectif italieLicenciement collectif italie
@Geralt Pixabay
Écrit par Lablaw
Publié le 29 octobre 2019, mis à jour le 29 octobre 2019

La législation italienne relative aux licenciements collectifs est-elle conforme au droit communautaire ? Sur ordonnance du Tribunal de Milan, il revient à la Cour de Justice des Communautés européennes de se prononcer. Explication

Le Tribunal de Milan a remis à l’examen de la Cour de justice des Communautés européennes (ordonnance datée du 5 août 2019) la décision de la conformité au droit communautaire de la législation italienne relative aux licenciements collectifs illicites. Cette dernière prévoit un régime de protection différencié du travailleur (réintégration ou indemnisation) selon que le salarié licencié a été embauché avant ou après le 7 mars 2015 (soit avant ou après l'entrée en vigueur du « Jobs Act »).

La norme de référence sur le sujet (l’art 5, loi n. 223/1991) indique les critères à suivre pour la mise en œuvre des licenciements collectifs. L'identification des travailleurs à licencier doit notamment se faire en relation aux besoins techniques, productifs et organisationnels de l’entreprise, conformément aux critères énoncés dans les conventions collectives conclues avec les syndicats. En l'absence de ces accords, ce sont les critères établis par la loi qui sont à considérer, à savoir : les charges familiales, l'ancienneté et les exigences techniques de production et d'organisation, à appliquer de manière partagée les unes avec les autres.

Et si le licenciement collectif viole les critères susmentionnés, deux systèmes de protection distincts sont mis en place, selon la date de l’embauche :
•    Pour les travailleurs embauchés à compter du 7 mars 2015, conformément à l'art. 10 du décret législatif n. 23/2015 (Jobs Act), la violation des critères de sélection des travailleurs à licencier implique la condamnation de l'employeur à payer une indemnité pour un montant égal à deux mois du dernier salaire pour chaque année de service. Le montant ne peut être inférieur à 6 mois, ni supérieur à 36 mois de salaire ;

•    Pour les salariés embauchés avant le 7 mars 2015, la violation des critères de sélection entraîne la réintégration sur le lieu de travail, ainsi que le paiement d'une indemnité compensatoire correspondant à la dernière rémunération globale, à compter du jour du licenciement, jusqu'à celui de la réintégration effective (dans la limite de 12 mois de salaire). Au lieu de la réintégration, le travailleur peut également opter pour le versement d’une indemnité de remplacement égale à 15 mensualités.

Dans l'affaire soumise à l'attention du Tribunal de Milan, le litige concerne plusieurs licenciements résultant de la même procédure de licenciement collectif - tous déclarés illégitimes pour violation des critères de sélection. Mais une seule employée avait en fait été exclue de la réintégration dans son lieu de travail, au motif qu’elle avait été recrutée initialement avec un contrat de travail à durée déterminée et que sa relation de travail avait été transformée pour une durée indéterminée à compter du 7 mars 2015, entrainant de ce fait l'application des protections prévues par le Jobs Act.

Le Tribunal de Milan souligne que ce licenciement, bien que relevant de la procédure collective, est réglementé par « un système de sanctions purement indemnitaires et objectivement différentes dans son sens péjoratif par rapport au précédent système » qui prévoit la réintégration. Par conséquent, selon le juge, « les nombreux profils de contraste, à la fois en termes d’adéquation et d’efficacité de la protection contre les dommages causés par la perte de l’emploi, et du caractère raisonnable de la coexistence de deux régimes de sanctions, influe le jugement du respect des paramètres constitutionnels et du droit communautaire, nécessaires au choix du système de protection applicable au licenciement enjoint ".

L'article 30 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne établit en effet le droit pour chaque travailleur de se protéger contre tout licenciement injustifié, "conformément au droit de l'Union et aux lois et pratiques nationales". En outre, l'article 24 de la Charte sociale européenne prévoit "le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnisation adéquate ou à un autre type de réparation approprié".

En substance, le Tribunal de Milan a identifié dans la protection actuelle fournie en cas de licenciement collectif illégitime trois profils d'incompatibilité avec les principes prévus par le droit communautaire :
•    l'adéquation et l'efficacité de la protection offerte par le Jobs Act par rapport aux dégâts dérivant de la perte d’emploi : selon le Tribunal de Milan, pour les personnes embauchées à partir du 7 mars 2015, le système d'indemnisation ne serait pas conforme aux principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le seul risque de la réintégration sur le lieu de travail (encore possible uniquement pour les travailleurs embauchés avant le 7 mars 2015) constituerait un frein adéquat aux entreprises qui procèdent à des licenciements collectifs illégaux ;

•    l’absence d’égalité de traitement entre les anciens et les nouveaux employés : l'ordonnance du Tribunal rappelle l'art. 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui établit la nécessité d'appliquer le même traitement aux personnes recrutées avec le même type de contrat (CDI) : la date différente d’embauche ne justifierait donc pas le traitement différent pour ce qui concerne les protections, comme prévu par la législation italienne ;

•    le critère de calcul de l'ancienneté de service : selon le Tribunal de Milan, le critère de calcul de l'ancienneté prévu par le décret législatif n. 23/2015 - qui soumet aux règles du Jobs Act même les CDD convertis en CDI après le 7 mars 2015 - constituerait une violation à l'art. 4 de la Directive 70/1999CE  concernant les contrats à durée déterminée (qui prévoit que l'ancienneté des travailleurs à durée déterminée soit calculée selon les mêmes critères que pour les travailleurs à durée indéterminée). Cela au motif que la durée du service des travailleurs à durée déterminée ne serait pas jugé utile pour faire appliquer aux travailleurs le régime de protection plus favorable de l’art. 18 Stat. Lav..

En conclusion, au vu du droit de l'Union européenne susmentionné (articles 20, 21 et 30 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union, également à la lumière de l'article 24 de la Charte sociale européenne), le Tribunal  de Milan a  donc demandé à la Cour de Justice si de tels principes peuvent être réellement « considérés comme compatibles avec un double régime contemporain de protection contre les licenciements qui établit, pour deux relations de travail ayant les mêmes caractéristiques, une protection plus forte pour les uns et plus faible pour les autres. En témoigne la réintégration pour certains et une sanction uniquement indemnitaire pour les autres ».

Il n’est pas aisé de prévoir comment la Cour de Justice répondra à ces doutes : divers arguments et précédents suggéreraient que le Jobs Act puisse être à l’abri des infractions au règlement critiquées. Mais les rebondissements auxquels nous avons été habitués par la jurisprudence - tant communautaire que constitutionnelle - empêchent de faire des prévisions sur l'issue du jugement.

 

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Lablaw
Publié le 29 octobre 2019, mis à jour le 29 octobre 2019

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