

Changement en vue pour les « Riders ». Ces travailleurs indépendants ont droit à une protection sociale renforcée, selon un récent arrêt de la cour d’appel de Turin.
Le 11 janvier 2019, la cour d’appel de Turin a partiellement accepté les requêtes présentées par cinq livreurs de la société Foodora, surnommés "riders" car ils livrent des plats à bicyclette. Elle leur a ainsi reconnu le droit de recevoir la rémunération versée par le CCNL du secteur de la logistique.
L’affaire a commencé lorsque cinq ex-employés de la société allemande de distribution de produits alimentaires, engagés avec un contrat de collaboration coordonnée et continue, avaient porté plainte auprès du tribunal de travail de Turin pour demander que soit reconnue l’existence entre les parties d’une relation ordinaire de CDI ainsi que l'indemnisation des dommages. Le tribunal avait toutefois rejeté les questions susmentionnées, affirmant que les employés de Foodora étaient libres de décider si et quand travailler, ce qui excluait l'existence d'une relation de travail subordonnée (voir notre article de mai 2018).
Le tribunal de Milan était parvenu à la même conclusion dans une procédure similaire quelques jours plus tard.
Mais par ce récent arrêt, la Cour d’appel de Turin a pris une décision différente. Elle reconnait aux riders des droits supplémentaires sur le plan économique. Bien que confirmant l’absence de subordination dans la relations de travail - les riders pouvaient déterminer si et quand travailler, sans devoir justifier le refus de la prestation (même s’ils avaient donné au préalable leur disponibilité) -, la Cour d’appel a en fait partiellement réformé le jugement de première instance. Elle a ainsi appliqué la règle énoncée par l'art. 2 du décret législatif 81/2015 (c.d. « Jobs Act ») prévoyant que la discipline de la relation de travail subordonné s'applique : « également aux relations de collaboration qui se concrétisent dans des prestations de travail exclusivement personnelles et continues où l’employeur définit et organise les modalités d’exécution concernant le temps et le lieu de travail ».
Une sorte de "tertium genus" de la relation de travail a été introduit dans le système juridique italien : il se situe entre la relation de travail subordonnée (caractérisée en vertu de l'article 2094 du Code civil, par l’existence d’un pouvoir de gestion et de discipline détenu par l’employeur) et le travail autonome. Même si ce dernier est effectué selon des procédures coordonnées et continues, comme le prévoit l'article 409 du Code de procédure civile n ° 3 : « lorsque, dans le respect des procédures de coordination établies d'un commun accord entre les parties, le collaborateur organise l'activité de travail de manière indépendante ».
Par conséquent, selon la Cour, l’application de cette disposition aboutirait pour les plaignants au droit à une rétribution correspondant au travail effectivement accompli en faveur de Foodora, calculée sur la base de la rémunération directe, indirecte et différée établie pour les employés du cinquième niveau du CCNL secteur fret et logistique, une fois déduit ce qui a déjà été perçu.
Une activité confirmée comme autonome
La réforme de l’arrêt en première instance n’a donc été que partielle, la Cour d’appel n’a pas reclassé la relation de travail, confirmant la décision de première instance qui définissait comme autonome l’activité effectuée par les riders.
En résumé, la Cour d'appel de Turin s'est concentrée sur l'analyse des trois éléments fondamentaux :
- La personnalité
- La continuité du service
- L'hétéro-organisation
Aucun doute sur la personnalité des performances des riders. Les deux autres éléments, nécessaires à l’application de la norme, représentent toutefois des concepts plus complexes.
En ce qui concerne l'exigence de continuité, la Cour a estimé que le caractère non occasionnel des services et leur répétition dans le temps, même s'ils sont entrecoupés de périodes d'inexécution, satisfait la condition précitée. Il s’agit donc d’une notion très large de continuité, comme l’admet la Cour elle-même, adoptée en tenant compte de la spécificité et de l’évolution constante des relations de travail en question.
Quant à l’« hétéro-organisation » ou organisation de l’extérieur de l’activité des collaborateurs, l’arrêt a affirmé que le travail qui s’exécute à travers une « application » préparée et gérée par Foodora, constitue la preuve que cette société organise le temps et le lieu de travail des collaborateurs.
Statut de travail indépendant particulièrement protégé
La décision finale du tribunal fut d’appliquer à l’activité des riders un statut de travail indépendant particulièrement protégé (celui prévu à l’article 2 du décret législatif n ° 81/2015 précité) en appliquant les dispositions légales et contractuelles prévues pour les employés en terme de santé, sécurité au travail, rétribution et classification, temps de travail, repos, vacances et sécurité sociale. En revanche, les dispositions concernant le licenciement des salariés ne sembleraient pas s’appliquer étant donné l’absence de subordination. Les requêtes concernant l’illégitimité des licenciements ont en effet été rejetées, compte tenu également de la nature des contrats.
En conclusion (conformément à l'article 36 de la Constitution), la Cour n'a reconnu aux cinq livreurs que le droit à un traitement comparable à celui des salariés employés de la même catégorie (niveau V de la logistique du CCNL), et « uniquement en ce qui concerne les jours et les heures de travail effectivement effectuées ».
Au-delà de la question concernant la nature de la relation de travail des riders, la décision de la Cour d’appel de Turin est particulièrement intéressante. Elle offre en effet et pour la première fois, une interprétation et une application pratique de l’art. 2 du décret législatif n. 81/2015 sur le travail "hétéro-organisé", qui avait déjà donné lieu à un vaste débat doctrinal.
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