« Groszek »(Petit-Pois) - son surnom, devenu officiellement son second nom de famille sur sa carte d’identité, est issue d’une longue lignée de femmes conteuses. Tombée enfant dans la marmite des « Il était une fois » qui ouvrent des portes et brisent les chaînes, Groszek Stanilewicz transmet inlassablement sa passion des mots qui pansent. De la prison, à son travail avec des personnes en situation de handicap, elle conte pour faire tomber les différences. Également thérapeute, elle a accepté de nous donner les clés de son monde fantastique, élément fondamental de son travail aux vertus bibliothérapeutiques.
Lepetitjournal.com Varsovie : Bonjour Groszek Stanilewicz, d’où vous vient ce surnom de « Petit-Pois » ?
Groszek Stanilewicz : Du côté de mon père (fils aîné de sa famille), on attendait un garçon, il y avait même toute une liste de prénoms préparée par la famille patriarcale, des prénoms masculins, bien entendu, tous d’origine lituanienne, c’était important. Apparemment, quelque chose s’est avéré être mal calculé dans le cadre des prévisions et c’est avec grand regret qu’on m’a nommé Grażyna. Un prénom qui sonne dur, belliqueux et râpeux sur les bords. Il ne plaisait pas trop à ma mère (à moi non plus d’ailleurs, mais à l’époque je n’avais pas grand-chose à dire). Puis un nouveau-né, c’est assez petit, vous savez... Donc, histoire de s’habituer, pour les quelques premiers mois, Maman m’appela « Groszek » (Petit-Pois). J'ai toujours aimé ce surnom.
Petit-Pois me va, il est à moi, c’est mon choix. Une fois adulte, j’ai fait en sorte qu’il soit officiellement admis sur ma carte d’identité.
Vous parlez beaucoup de votre mère, avec qui vous performez également, de l’importance des femmes de votre famille, de ce matriarcat, expliquez-nous cette transmission du conte par les femmes ?
C’est grâce à ma grande tante, Tante Alicja, que nous avons commencé. Je suppose que Tante Alicja, elle aussi, était influencée par des femmes. Elle a passé son enfance dans les années 20, aux frontières orientales, Kresy Wschodnie, une région de l’actuel Bélarus. Une enfance et une jeunesse chaotique marquée par la perte de son père mort fusillé par les nazis, des réinstallations obligatoires de population, par la guerre, par la défense de Varsovie, etc. C‘est une génération d’accros à la lecture et à l’imagination, les seules voies d‘évasions qui vous restent sous les bombardements, la faim et la peur. Quand à l’âge de 11 ans j’ai tout juste fait connaissance d’Alicja, elle m’a semblé être un personnage de roman à suspens. Quand elle se mettait à raconter un épisode de sa vie, le monde d‘ici se dissolvait petit à petit et on ne pouvait que la suivre dans une de ses aventures rocambolesques et palpitantes. En 2009 Alicja est décédée, un an plus tard Elisabeth, ma mère et nièce d’Alicja a décidé de prendre le relais. Un hommage, un grand manque, une envie de cœur... un peu tout, je crois. Je l’ai suivi.
Vous utilisez le conte comme mode de communication avec le monde ?
Cela a toujours été le cas, à mon insu. J’ai passé l’enfance à écouter les contes polonais que me lisait Ela - diminutif d’Elisabeth, ma mère. J’ai fait des études de lettres. Pour mon master, j’ai pris un sujet lié au conte. C’est en prenant du recul que je l‘ai remarqué. Pour moi les récits imaginaires c‘était toujours une façon de communiquer.
C’est aussi un outil pour la thérapie, comment procédez-vous ?
C’est un outil, en effet, mais j’insiste pour dire que ce n’est pas moi qui procède, c’est la parole, l’imaginaire et la disponibilité de l’auditeur qui font le travail.
Vous travaillez avec des personnes handicapées mentales, quels sont les bénéfices des contes sur eux ?
Le conte amène une ambiance, un travail sur les liens de cause à effet, sur les conséquences des actions, avec de l’humour et une fin souvent heureuse...
Dans la réalité qui devient illisible pour tout le monde, même pour ceux dits « en norme », le conte amène une douceur qui rend la vie plus accessible tout simplement.
Lorsque vous avez fait des études d’art-thérapie, vous avez planché pour l’obtention d’un diplôme sur la puissance du conte dans la thérapie des addictions, et pour cela, vous vous êtes rendue en prison, où il y avait un département des thérapies d’addiction. Le conte a-t-il le pouvoir de briser les barreaux ?
Le conte ou autre récit transmis oralement a les mêmes vertus bibliothérapeutiques qu’un livre. C’est à travers du récit que les personnes en difficulté psychologique, physique, sociale ou existentielle se remettent, se refixent. Je laisse aux lecteurs le soin de découvrir ce qu’est la bibliothérapie et son impact sur l‘Être et sa spiritualité ; Michèle Petit, anthropologue, mentionne la valeur d’une bonne lecture dans la reconstruction de soi.
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Pour certains, cette lecture solitaire peut s'avérer un défi, parfois insurmontable, je pense à ceux qui ont toutes sortes de déficiences : de concentration, intellectuelles ou autre, provenant souvent d’un passé difficile, détériorant irréversiblement les capacités cognitives. Pour ceux-là, le récit oral est une solution, pouvant apporter même un bienfait en plus du livre, comme une rencontre interpersonnelle, un espace de croisement de regard, de silence, de présence, d’acceptation. Tout ça dans la parole de l’autre.
Avec votre ami trisomique, Wojciech Birtus, vous avez créé un picture book, qui raconte l’histoire d’un aigle qui s’évade… Pouvez-vous nous en dire plus sur cette aventure humaine et littéraire avec votre co-auteur ?
Entre 2009 et 2017, j’étais volontaire auprès de l’association PSONI à Gdańsk (soutien de personnes avec handicap mental). Je jouais dans un groupe de musique, c’est là que j’ai fait connaissance de Wojtek, avec qui nous sommes vite devenus amis. L’idée d’écrire ensemble m’est venue lors d’une expo de peinture de Wojtek. BEYOND est un texte que j’avais écrit 5 ou 6 ans auparavant. Il marinait silencieusement au fond du tiroir comme d’ailleurs la majorité de mes textes, que j’ai rarement le courage de sortir. J’ai proposé à Wojtek de travailler dessus, sans s’attendre à ce qu’on finisse un jour. Juste comme ça, pour faire un truc ensemble. On y revenait et on a laissé tomber pendant environ 4 ans. On s’installait dans mon salon avec des pinceaux et des couleurs, et on discutait, on essayait, on explorait. Puis un jour on s’est dit « tiens on l’a fini ». Ça parle de l’amitié d’une fille et d’un aigle qui se libère de sa cage.
Le message : certaines cages, on ne peut pas les abandonner : une déficience (je suis malentendante, Wojtek a une trisomie 21), un handicap, parfois un état incurable… C’est comme ça. Ça fait partie du lot qu’on reçoit, on ne peut pas le changer, mais rien ne nous empêche de s’envoler avec.
Le livre est illustré et il est en deux langues : en polonais et en anglais, donc tout le monde peut le lire. En fait, c’est un peu l'histoire de l’approche du handicap. Pendant mes études de lettres, j’écrivais aussi des contes. Le thème des contes, c’est toujours un peu lié au thème de l’exclusion, des gens qui se sentent mal dans leur peau tout simplement…
J’ai écrit environ 4-5 contes et une dizaine d’autres récits, dont seulement 3 ont été édités. Il me semble que " Humanus " un texte en polonais est encore en vente sur Internet. " Umeme Changa - historia kameleona " en polonais lui aussi, n’est malheureusement plus en vente.
" Beyond " le picture-book créé avec mon ami Wojtek et traduit en anglais, on peut se le procurer en rendant visite à l’association NASZ PRZYJAZNY DOM pour laquelle je travaille.
Les autres contes étaient écrits il y a longtemps pour des concours littéraires francophones organisés entre 2002 et 2005.
En ce moment, si j‘écris un texte, c’est en général pour le raconter. Je change parfois les versions originales des contes connus pour en faire des histoires dont j’ai besoin.
Suivez-vous à chaque fois le schéma actantiel, cet enchaînement d’actions qui entraîne les personnages dans des aventures, de la situation initiale à la résolution finale ?
Tout dépend de ce je veux transmettre, de l’endroit où j’ai besoin de mettre l’accent, de « comment » je décide de répartir tout le spectacle. Le conte a l’air d‘être moins compliqué qu’un gâteau au chocolat, mais c’est bien moins traduisible en recette.
Quand je pense « conte » en général la première idée qui me vient à l’esprit c’est le motif du voyage du héros. Donc « le voyage de l’Exclu », qu’il soit orphelin, banni, bossu, roux, incompris, différent, bref il est d’une façon ou d’un autre un peu à part.
Il est appelé à l’aventure, il la refusera, puis finalement il prendra la route, défis après défis. Il subira une transformation, aura une révélation, subira quelque chose qui le rendra mature, beau et grand dans son propre regard, puis reviendra en vainqueur. C’est pour ça que je dis que le conte c’est souvent sur le thème de l’exclusion.
Quelle est votre définition du mot conte ? Comment naissent vos histoires ?
Si je peux me permettre une comparaison; le conte c’est ce cheval blanc sur lequel galopent Arwen et Frodo vers Rivendell échappant ainsi aux Cavaliers noirs. On le monte, il nous emporte vers un monde meilleur et nous sauve du mal d’ici.
L‘écriture dans ma vie a commencé naturellement avec les premiers devoirs en littérature qu’il fallait rendre dans les délais.
Quel âge ont vos lecteurs, auditeurs en général ? Quelles sont leurs réactions ?
Le public est très varié : entre 3 et 99 ans. Des participants de conférences professionnelles, les petits en maternelle, en école primaire, des femmes, des hommes de tout âge, de différentes origines, différents milieux ; les réactions, quant à elles, sont plus ou moins pareilles. Celles des enfants sont un plus spontanées, c’est tout. Je crois que ce n’est pas une question d‘âge, d’activité ou de style de vie, je pense sincèrement que c’est une question de disponibilité intérieure, un besoin ou un manque subtil et indicible, que l’on a ou non. Comme pour la musique de film ou classique par exemple, il y en a qui adorent, il y en a d’autres qui préfèrent la techno.
Qu’est-ce que cela vous apporte, à vous personnellement, de partager des contes ?
Cela m’apporte de la joie. C’est un énorme honneur et un grand plaisir de pouvoir partager avec le public un récit qui me marque, qui m’amuse ou que j’aime, tout simplement.
C’est un moment d’humanité, convivial et très singulier aussi. Le conte est rarement « répétable » de la même façon. C’est le public qui donne envie, qui amène cette énergie de curiosité, d’attente, d‘impatience parfois et de reconnaissance. J’aime bien le mot « reconnaissance ».
Dans le cadre du conte, il a deux significations. Si un récit nous touche, il nous touche profondément. Quand on se reconnaît dans l’histoire ou grâce à l’histoire, c’est comme un retour aux paramètres de bases, le sentiment de gratitude est immédiat.
Avez-vous des anecdotes particulières, vous ayant marquée, lors de vos lectures et rencontres ?
Des anecdotes, il y en a plein. Le grand classique des spectacles c’est qu’il y aura toujours un gamin admiratif qui veut s’assurer que tout ce qu’on dit est la vérité vraie. On lui explique que ce qui différencie le conte de la vérité scientifique, c’est que ça se sent par le cœur. Si tu le sens avec ton cœur, comme l’amour, c’est que c’est vrai. Le reste n’est que de la déco.
Comment faire si on souhaite vous accueillir en tant que conteuse ?
- Il suffit de nous CONTE-acter. Différentes options sont possibles.
- Façon traditionnelle : en envoyant une colombe, un hibou, un aigle ou un papillon.
- Façon classique : carrosse avec cochers munis d’un parchemin scellé.
- Option populaire contemporaine : lowcyslow@gmail.com !
- Site Internet de Lowcyslow : ici.
- Facebook de Lowcyslow : ici.
- Les livres de Groszek Stanilewicz : ici.
Une rencontre menée par Bénédicte Mezeix et Cécile Aurand.