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Johanne Affricot, fondatrice et directrice artistique de GRIOT

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Écrit par Roxane Garoscio
Publié le 26 février 2021, mis à jour le 28 février 2021

À l’occasion du Black History Month, la rédaction du Petit Journal de Rome vous propose de rencontrer Johanne Affricot, culture curator, fondatrice et directrice artistique de GRIOT, qu’elle qualifie comme un espace nomade et boutique magazine éditée en Italien et Anglais. Engagée et ambitieuse avec un projet bien précis, grâce à son journal elle a développé et donné l’opportunité à de nombreux artistes d’être diffusé, partagé et même découvert auprès d’un plus large public. Le collectif GRIOT (Johanne Affricot, Celine Angbeletchy et Eric Otieno) a été fondé entre autres dans le but produire, collectionner et amplifier les Arts, la culture, la musique et les styles de l'Afrique, de la diaspora africaine et d'autres identités, cultures et contaminations, ainsi qu’explorer des thématiques sociales et culturels qui affectent notre quotidien.

 

GRIOT SPACE est un espace favorisant l'expérimentation, l'exploration et la discussion. De 2015 à aujourd'hui ils ont réalisé plusieurs projets artistiques et culturels : avec l'Académie américaine de Rome, avec le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération International, et avec des organisations et des festivals de musique, d'art et de culture contemporaine. Ils ont également réalisé plusieurs séries de documentaires. Dernièrement le quatrième épisode de la série vidéo Visioni - Guiss Guiss a été mis en ligne. Édité et produit par GRIOT et en collaboration avec l'Institut Culturel Italien de Dakar, le reportage s’intéresse aux protagonistes et représentants de la scène culturelle italo-sénégalaise. Par ailleurs, toutes les visioconférences sont sous-titrées en français.

 

Comment est née l’idée et l’envie de créer le magazine GRIOT ?

Johanne Affricot : GRIOT est né d'un besoin personnel, de la nécessité de créer un espace interdisciplinaire, qu’il soit physique et en ligne, collectant, racontant et amplifiant des histoires que je n'ai pas vues dans les médias dans les espaces physiques « canoniques ». Il est né de l'idée et du désir de construire une maison dans laquelle les gens pourraient entrer, se reconnaître et se trouver, en apportant leur regard et leur perspective au dialogue avec d'autres regards et d'autres perspectives. En Italie, l'histoire des corps Noirs a été reléguée à des représentations stéréotypées et limitatives. C'est encore accablant, mais aujourd'hui, quelque chose est en train de changer.

Lorsque j'ai lancé GRIOT en février 2015, il y avait juste une absence dans le monde des médias, institutions culturelles et artistiques d'un récit plus équilibré et réaliste de la pluralité présent dans ce pays, à travers le journal et sans ressources, car GRIOT est indépendant, nous avons essayé et nous essayons de continuer. Je vis cet air de printemps avec un peu de soulagement, aussi parce que chacun, qu’il s’agisse des artistes, des créateur.rice.s, ou de ceux qui s’occupent de l’organisation culturelle-artistique et ainsi de suite, avec leurs profils sur les réseaux sociaux, pour faire un exemple rapide, sont des médiums. C’est-à-dire que ce moyen de communication peut amplifier non seulement leur travail mais aussi dire ce que font les autres. Cela nous permet chez GRIOT d'aller plus lentement, de ne pas se stresser plus que nécessaire, de penser et de réfléchir à ce que l'on veut construire, avec qui on veut construire, sans être pressé, ni ressentir la pression d'avoir à faire ou à écrire quelque chose parce que cela doit être fait ou qu'il n'y a personne d'autre pour le faire. C'est très agréable d'avoir cette pluralité de sujets actifs.

 

Votre magazine GRIOT est pleinement axé sur la promotion culturelle touchant les domaines de l’art, de la musique, du style et de la culture Afro. Quelles sont selon vous, les artistes afro-italiennes visuelles émergentes à découvrir en ce moment ?

Il y a plusieurs artistes Afro-italiennes qui méritent l'attention et je ne veux pas paraître partial en n’en citant seulement quelques-unes. Je l'ai fait dans le passé mais j'ai réalisé que ce n'était pas vraiment correct de mentionner uniquement certains noms et d’autres non. Sur GRIOT, vous trouverez de nombreux profils intéressants. De plus, je ne me limiterai pas seulement aux arts visuels mais en général à tous les arts, y compris les arts de la scène (danse, musique, théâtre), littérature, audiovisuel, etc.

 

Depuis près d’un an le mouvement Black Lives Matter a pris un tournant notamment grâce aux nombreux témoignages des violences policières et à la dénonciation des actes racistes. Un sujet qui est davantage écouté et relayé par les médias du monde entier. Vous en avez-vous même parlé au travers de votre journal, notamment en traitant de la mort de George Floyd aux Etats-Unis et des manifestations qui en ont suivi à Rome. Selon vous, qu’en est-il de la lutte égalitaire en Italie ? 

Parler de la lutte pour l'égalité mériterait au moins un séminaire à plein temps d'une ou plusieurs semaines, et il ne serait pas présenté par moi. Il y a de nombreux problèmes ici en Italie, comme dans toutes les sociétés Euro-atlantique, mais pas seulement, qui doivent être abordés. Sans aucun doute en ce qui concerne mon pays, la réforme de la citoyenneté italienne (la loi actuelle sur la citoyenneté italienne exclut ce statut 858 mille étudiants avec des passeports étrangers qui grandissent dans les écoles italiennes, et 1 078 000 mineurs sans nationalité italienne, inscrits dans les registres municipaux) et les droits des travailleurs migrants exploités (africains, italiens, européens, asiatiques, sud-américains, etc.), ce sont des luttes que de nombreux groupes, organisations et personnes mènent. Du mouvement « Italiani Senza Cittadinanza» à Yvan Sagnet et Aboubakar Soumahoro qui, également grâce à leur lutte contre l'embauche illégale et l'exploitation de ceux qui sont marginalisés, contribuent à maintenir l’attention et à avancer. Nous sommes là aussi avec GRIOT, mais nous utilisons des langages différents, nous nous exprimons à travers les arts et la culture.

 

Selon vous, le racisme en Italie est-il plus violent qu’en France ?

Je ne connais pas personnellement le racisme français, n'ayant pas vécu en France, et je suis un peu mal à l’aise à établir un classement entre quel pays est plus ou moins raciste. Je n'aimerais pas faire comme ceux qui prétendent que le colonialisme italien a été moins percutant ou « meilleur » que celui de la France ou du Royaume-Uni.

Le racisme est l'enfant du colonialisme et de l'esclavage, qui à leur tour sont des produits du système libériste/capitaliste, ce qui devrait être corrigé, si nous voulons vraiment avoir plus d'harmonie, car comment vous remarquerez aussi, les traces, les résidus sont bien présents, visibles, tant ici en Europe que dans les ex-colonies. Quant à la France, lorsque je vais à Haïti, ou dans d'autres pays africains, je vois les traces qu’elle y a laissée. Mon oncle, qui est sénégalais, m'en parle aussi, tout comme me l’ont évoqué des ami.e.s et connaissances Noir.e.s. De plus, c’est en observant les productions artistiques d’artistes comme Kader Attia et son installation vidéo The Post Colonial Body, la production littéraire et les ateliers animés par la savante Françoise Vergés, le documentaire de la réalisatrice Isabelle Boni-Calverie Trop Noire pour être Française, ou bien le livre/dénonciation de 16 actrices et producteurs culturels français Noire n'est pas mon métier : Nadège Beausson-Diagne, Mata Gabin, Maïmouna Gueye, Eye Haïdara, Rachel Khan, Aïssa Maïga, Sara Martins, Marie-Philomène Nga, Sabine Pakora, Firmine Richard, Sonia Rolland, Magaajyia Silberfeld, Shirley Souagnon, Assa Sylla, Karidja Touré qui, au 71ème Festival de Cannes ont montrés les dessous pas vraiment caché de l'industrie française. Une industrie qui ne représente pas et n'inclut pas, qui relègue le corps féminin, noirs et métis, à des rôles marginaux, stéréotypés, consolidant les clichés et les préjugés difficiles à gérer démonter.

Même ici en Italie, nous sommes confrontés à ces processus. Ils ont des nuances différentes, bien sûr, mais comme je l'ai dit, ce sont des enfants du même système, des mêmes lois.

 

Quelles sont pour vous les figures afro-féministes en Italie qui vous inspirent ?

Bridget Uche, Selam Tesfai, Djarah Kan et Oiza Queensday Obasuyi dont je recommande de lire son livre et essai Corpi Estranei, dans lequel elle traite très brièvement, mais de manière efficace et accessible la question de la représentation stéréotypée de la Femme Noire dans les médias et la société italienne.

 

Par le biais de GRIOT, vous vous intéressez notamment à la représentation des femmes Noires entre autres dans les médias, je pense en particulier à votre article sur la couverture Vogue Italie de Maty Fall pour le mois de février 2020. Quelques mois plus tard, le défi « Vogue Challenge » est né, un hashtag qui a été créé sur Twitter dans le but de soutenir et promouvoir les photographes et mannequins noirs à être sur le devant de la scène. Pensez-vous que le recours aux réseaux sociaux soit un outil probant à la valorisation et à la réappropriation de l’image des femmes Noires ?

Avec tous les avantages et inconvénients, opportunités et limites, comme dans tout, oui, absolument: les réseaux sociaux constituent un outil valable pour rehausser l'image des femmes Noires.

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