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Le tourisme des mots : le charlatan, l'orviétan et la pavane

place d'une cathédrale italienne en Ombrieplace d'une cathédrale italienne en Ombrie
Écrit par Françoise Danflous
Publié le 16 septembre 2021

Quelle surprise de découvrir l’origine des mots. D’où sortent charlatan, pavane et orviétan ?  Françoise Danflous, lexicographe, nous offre un surprenant voyage à Cerroto en Ombrie, Orvieto et Padoue.

 

Les mots ne sont pas comme nous, ils ne mettent pas leur coquetterie à cacher leur âge à tout prix. Mais pour l'endroit où ils ont vu le jour, là, c'est une autre affaire ! Bien sûr, parfois, c'est clair comme le nez au milieu de la figure. La couleur bordeaux ou le camembert sont passés, majuscule en moins, des villes de Bordeaux ou Camembert dans les deux langues. Pareil dans l'autre sens: la couleur magenta vient de Magenta et le fromage gorgonzola de Gorgonzola, deux bourgades pas loin de Milan. Pourtant il y a des mots qui semblent sortis tout crus du chapeau d'un magicien comme les lapins, ou des roses et des choux tout comme nous. Alors bien malin qui pourra remonter jusqu'à leur maison natale et ravir le touriste blasé d'un bel et net ici est né le mot ....

Du charlatan de Cerreto (Ombrie)…

Cerreto, Ombrie, place du marché, connu comme le Paese dei ciarlatani (village des charlatans). C'est en ce tout petit point de la mappemonde que vit le jour le mot ciarlatano, charlatan, issu de la rencontre entre cerretano (de Cerreto) et ciarlare (bavarder).  Les Cerrétiens étaient des bonimenteurs bon enfant qui couraient les foires et les marchés pour marchander leurs spécialités. Biscuits au miel ? Pastilles aux herbes ? Liqueurs aphrodisiaques ? Un peu tout à la fois. À ses débuts, le ciarlatano était un pharmacien ambulant qui vantait les mérites de sirops pouvant apaiser bien des choses, mauvaise haleine, rage de dents, vilaines pustules et même la peste (après tout, on prêta bien toutes les vertus du monde au Fernet-Branca, liqueur fétiche des émigrés Italiens d'après-guerre). Mais la rumeur fit aussi de notre charlatan le détenteur d'une panacée encore plus puissante nommée orviétan, concoctée à l'abri des regards et pouvant remédier même au pire. Hum. Du coup, le charlatan reçut le nom de vendeur d'orviétan, venditore di fumo en italien (vendeur de fumée).

… à l’elixir du charlatan d’Orvieto

Orvieto, près de Spolète. C'est derrière les lourdes tentures de ses boutiques que naquit le mot orvietano, orviétan (d'Orvieto). Et le voici le véritable élixir du charlatan, obscure décoction de plantes et racines de sorcière aux noms bizarroïdes: aristoloche, bistorte, impératoire, carline, serpentaire, chardon-bénit... Un remède qu'on disait universel, antidote à tous les poisons, très souvent servis et ingurgités à l'époque des menuets et des monarques honnis ou jalousés. En breuvage, pilule ou poudre, il trouva même une place au chevet de tous les lits de Louis XIV. Seulement, à force d'être avalée cul-sec sans ressusciter personne, la précieuse mixture finit par disparaître des tables de nuit royales avant d'être remisée au rang des tord-boyaux et autres potions frelatées. La réputation du charlatan culbuta alors de celle de guérisseur adulé à celle de sinistre manipulateur. Comment notre compère pouvait-il encore se pavaner à travers l'Europe ?

Heu... se pava- quoi ?

Voyage à Padoue, quand une ville italienne donne un mot italien… puis français

Padoue, sur la route de Vérone pour Venise. C'est entre ses rues pavées qu'apparaît le mot pavane, pavana, une danse marchée, lente et majestueuse. Le mot vient de Padova, Padoue (ou plutôt sa version dialectale Pava). Rapprocher charlatan, orviétan de pavane vous semble un peu forcé ? Du tout du tout. Une ville italienne donnant un mot italien puis un mot français et une tromperie cette fois-ci toute linguistique, la digression vaut bien. Une étymologie populaire très courue rattache en effet se pavaner au paon (pavo en latin) qui fait la roue. Mais c'est non. Et seul un détour par l'italien (un petit jeu qui nous tire souvent d'embarras) permet de déjouer l'embûche: se pavaner se dit pavoneggiarsi avec le o de pavone (paon) et non le a de pavana (pavane).

C'est la loi du dictionnaire: on n'échappe pas longtemps à son étymologie. C'est ainsi que quoi qu'il fasse et quoi qu'il dise, le charlatan ne sera jamais un grand inventeur, découvreur de quoi que ce soit mais, c'est déjà pas mal, un petit vendeur de marché à la langue bien pendue : c'est écrit dans son mot.  

 

 

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