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Le bilinguisme franco-italien ou le syndrome de Chagall

un homme qui se trompe en parlant italienun homme qui se trompe en parlant italien
Écrit par Françoise Danflous
Publié le 1 avril 2021, mis à jour le 29 décembre 2023

Vous êtes bilingue ? Oh mais quelle chance ! Oui, enfin, ça, c'est un compliment d'aujourd'hui. Il y a quelques siècles, on se serait vite renfrogné en l'entendant. Mais gare à celui qui se croit bilingue franco-italien trop hâtivement, un malentendu est vite arrivé !

Être bi-lingue, le mot le dit tout seul, signifiait avoir deux langues, comprenons une langue bien fourchue capable de tenir deux propos en même temps et sur le même sujet. Le mot bilingue, eh oui, voulait donc dire menteur. Les temps changent et, de nos jours, toute personne bilingue est lavée de ce soupçon. Oui mais voilà, par ignorance ou distraction, elle n'en est pas moins à l'abri de petits mensonges et autres boulettes involontaires.

Estropier les mots à la sauce italienne

L'apprenti bilingue le sait depuis tout petit, quand les langues se ressemblent et qu'on n'en connaît guère de mots, on peut tenter le sort et la baragouiner. En italien, mettre des o ou des a à la fin des mots, c'est amusant et ça peut tomber juste : cravate et cravatta, bicyclette et bicicletta, os et osso. On peut estropier les mots et les mettre à la sauce italienne, quelquefois, l'astuce fonctionne, bonjour se dit buongiorno et c'est classé. Mais la plupart du temps, les transformations hâtives tournent mal. Dites cornicione dans un supermarché, on vous accompagnera au rayon livres, architecture ou guides, parce qu'en fait vous venez de demander une corniche (cornichon se dit cetriolino). Dites coscione à un mufle, pas sûr que l'insulte fasse mouche puisque vous l'aurez traité de grosse cuisse (cochon se dit maiale) et là, bon, le ridicule et la honte, c'est pour vous. Et croire qu'un professionnel de la truffa s'intéresse aux champignons, aux chocolats et au museau des épagneuls (dans tous ces cas, truffe se dit tartufo), du tout du tout, c'est à la pratique de l'escroquerie qu'il se livre.  

L'apprenti bilingue pense que les mots n'ont qu'une seule traduction. Que si les cheveux d'une petite fille ou les écailles d'un poisson sont de couleur rossa, c'est qu'ils sont tous deux d'un vrai beau rouge de clown et carnaval ; oui pour le poisson, rouge, non pour la fillette, rousse. Qu'un cilindro sur la tête soit le fait du fou, pas si sûr, car cilindro veut dire cylindre mais aussi haut-de-forme et c'est une touche de classe, pas un grain de folie, qu'il confère à celui qui le porte.

Des images vraiment traduisibles ?

L'apprenti bilingue pense que les images sont les mêmes dans un pays et l'autre. Prenons l'œil-de-bœuf et le chien-assis, avec leurs drôles noms de compères de conte. L'œil-de-bœuf, fenêtre ronde ou ovale qui rappellerait le plus grand œil connu des paysans, se traduit aisément et justement par occhio di bue. Mais pourquoi peut-on lire occhio di bue dans le menu des restaurants ? Un œil pour de vrai ? Mijoté, dégusté pour de vrai ? Voilà, toujours pour sa ressemblance avec un gros œil jaune, occhio di bue signifie aussi œuf sur le plat. Traduire mot à mot chien-assis, fenêtre de toit en forme de chien au repos, donne cane seduto. Pourquoi pas. Seul problème, l'Italien n'y verra qu'un chien en chair et en os coincé sur les tuiles. Un chien-assis est un abbaino et abbaino un diminutif du mot abate, abbé. Un moinillon sur les toits, on n'y serait jamais arrivé ! C'est que, dans la région de Gênes, l'ardoise recouvrant cette lucarne avait la même couleur que les robes de bure. L'apprenti bilingue apprendra, à ses dépens, que chaque pays a sa culture, ses images, ses renvois.

Les fautes de traduction sont de véritables lâchers d'hurluberlus dans la nature. Un bœuf, un chien, un curé, une petite fille rouge sur les toits et un bonhomme qui passe avec un cylindre sur la tête. Le bilingue maladroit est un doux menteur, doux poète, doux faussaire qui nous emporte sans le moindre effort et sans le savoir dans un monde de Chagall. Et pourquoi ne pas retenir quelques secondes, quelques minuscules petites secondes, la magie qu'il nous livre ? Après, libre à tous de soupirer un « ciel, quelle horreur ! » définitif et réparateur.

 

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