Édition internationale

Julia Rajacic : «L’éloquence de ses œuvres se déploie à travers un langage universel»

A l’occasion de la séduisante exposition "Sous la peau, le tremblement" d’Anne-Cécile Surga à Milan, rencontre avec la curatrice et fondatrice de l’agence créative Jardino, Julia Rajacic. Convaincue du pouvoir transformateur de l’art, elle nous offre un dialogue rempli de sensibilité sur une exposition à fort impact visuel et émotionnel qui s’inscrit par ailleurs dans une démarche éco-responsable.

La curatrice Julia Rajacic à l'exposition Sous la peau le tremblement_ (002)La curatrice Julia Rajacic à l'exposition Sous la peau le tremblement_ (002)
La curatrice Julia Rajacic à l'exposition "Sous la peau le tremblement"
Écrit par Marie-Astrid Roy
Publié le 22 octobre 2025, mis à jour le 23 octobre 2025

Qu’est-ce qui vous a séduit chez l’artiste ?

J’ai découvert le travail d’Anne-Cécile Surga il y a une dizaine d’années, lors de Gaïa, l’une de mes premières expositions collectives, organisée avec la Mairie de Paris pendant la COP21 en 2015. J’ai immédiatement été frappée par l’acuité avec laquelle elle manie formes et symboles, ainsi que par l’éloquence de ses œuvres. Celles-ci se déploient à travers un langage universel capable de toucher chacun, quel que soit son bagage culturel. Malgré les multiples niveaux de lecture de ses sculptures, elles ne sont ni cryptiques ni élitistes, loin de certaines tendances ultra-conceptuelles répandues dans la création contemporaine.

J’ai également été sensible à la sensualité de son œuvre, à la fois classique dans sa recherche d’harmonie et résolument contemporaine dans les thèmes qu’elle aborde. Derrière l’élégance intemporelle de son style se déploie une réflexion profondément actuelle, nourrissant un dialogue vibrant entre tradition et modernité.

Après l’exposition Gaïa, nous avons de nouveau collaboré lors de la Triennale de Belgrade en 2016, où j’ai retrouvé cette même singularité. Un autre aspect intéressant de sa pratique est sa manière de recycler le marbre, en redonnant vie à des blocs jugés imparfaits et voués à l’abandon. En sauvant ce matériau précieux, le geste de Surga devient un acte de réparation, à la fois poétique et éthique.

 

salle d'exposition avec sculptures
Sous la peau le tremblement, Anne Cecile Surga | Photo de Daniele Cortese


Comment est né le projet de cette exposition ?

Le projet est né de l’envie commune de retravailler ensemble dix ans après notre première collaboration. Après la participation d’Anne-Cécile à la 59ᵉ Biennale de Venise, nous avons souhaité présenter son travail à Milan, ville sensible à l’art contemporain, et où je me suis installée depuis plusieurs années. Une exposition personnelle et institutionnelle s’est imposée comme la forme idéale, permettant de présenter pleinement l’univers d’Anne-Cécile et de construire un projet sur le long terme, laissant le temps nécessaire à sa maturation.

L’Institut français Milano s’est naturellement imposé comme le lieu idéal pour développer cette initiative. L’identité du lieu agit comme une caisse de résonance pour plusieurs axes de l’exposition. Il symbolise d’abord l’enracinement dans deux pays, en dialogue avec le parcours de l’artiste, vivant entre les Pyrénées françaises et Como. L’histoire même du Palazzo delle Stelline, ancien orphelinat féminin, fait également écho à certains thèmes de l’exposition, comme celui de l’autisme féminin.
 

A Milan, l’artiste Anne-Cécile Surga se met à nu

 

Quelle œuvre de l’artiste présentée dans l’exposition vous a le plus marqué ?

C’est une question ardue, car ayant sélectionné ou suivi la genèse de chacune des œuvres présentées, elles me touchent toutes profondément. Si je devais en choisir une, ce serait Black Holes IX, une forme ronde sculptée dans le marbre noir où l’on décèle un visage duquel est représenté une unique partie : une bouche entrouverte. De cet orifice semble émaner un cri puissant mais sourd, comme celui de nos cauchemars les plus sombres, où nos appels à l’aide restent inaudibles . De part et d’autre du visage ruissellent des lignes blanches et grises, marques naturelles des veines du marbre d’Izaourt, qui viennent entrecouper le visage comme autant d’électrochocs auxquels l’être représenté serait exposé.

 

sculpture en marbre
Anne-Cécile Surga, the gift, marble sculpture, 2015


En quoi cette exposition s’inscrit-elle dans une démarche éco-responsable ?

Face à l’ampleur de la crise écologique (la 7ᵉ limite planétaire, liée à l’acidification des océans a tout juste été dépassée le mois dernier), il est primordial d’agir, chacun à notre échelle, non seulement individuellement, mais surtout à travers notre activité professionnelle, là où notre impact peut être le plus significatif.

L’ensemble du projet d’exposition a été conçu dans une logique de sobriété et de limitation de l’impact environnemental. Dès la production des œuvres, cette attention s’est traduite par l’utilisation de blocs de marbre récupérés et par l’emploi de poudre de marbre, déchet de sculptures précédentes, pour créer une nouvelle serie d’œuvres. La scénographie suit la même philosophie, réalisée à partir de matériaux d’une exposition précédente au sein du même lieu, et d’autres matériaux recyclables comme le carton.

La production s’est majoritairement déroulée en Italie, dans un atelier partagé à Lecco, afin de réduire les émissions de CO₂ liées au transport. L’attention à l’éco-responsabilité s’est également manifestée lors du vernissage, où un buffet local et végétalien a été servi. Enfin, un bilan carbone sera réalisé à l’issue de l’exposition et compensé par une donation à une association de protection de la biodiversité ariégeoise.

Vous avez choisi un thème courageux. L’art peut-il faire levier pour transformer la société ?

Je crois profondément au pouvoir transformateur de l’art et ai même fondé une agence créative, Jardino, qui relie enjeux RSE et art contemporain. En tant que langage universel et fédérateur, l’art nous touche dans ce que nous avons de plus profond et humain:  notre sensibilité et nos émotions.

A titre d’exemple, l’exposition Sous la peau, le tremblement*, en partant d’un récit esthétique à la première personne, touche plusieurs publics et peut susciter différentes prises de conscience. Elle peut inspirer les personnes neurodivergentes à accepter leurs différences et à en faire une force, comme le montre le parcours d’Anne-Cécile Surga. Elle peut également encourager celles et ceux en questionnement sur leur singularité à envisager un diagnostic. Pour les personnes neurotypiques, la sensorialité et les modalités cognitives de l’artiste présentées de manière esthétique peuvent éveiller la curiosité et déboucher sur une plus grande tolérance.

Enfin, l’exposition met en lumière un phénomène encore trop méconnu : l’autisme féminin, souvent sous-diagnostiqué, car ses particularités s’écartent des critères traditionnellement identifiés. Elle permet ainsi des prises de conscience profondes et ouvre des espaces de dialogue et de construction collective, essentiels dans le monde dans lequel nous évoluons.

 

*Exposition à visiter jusqu'au 4 novembre 2025 à l'Institut français Milano
Corso Magenta 63
Horaires d’ouverture : jeudi et vendredi de 15h à 18h ; samedi de 10h à 12h
Pour d’autres demandes : milano@institutfrancais.it
Entrée libre

Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.

Flash infos