Après sa participation à la 59e Biennale d’art de Venise, l’artiste française Anne-Cécile Surga expose à nouveau en Italie, à l’Institut français Milano, avec un projet profondément introspectif. "Sous la peau le tremblement" invite à une immersion dans un paysage intime et sculptural : celui d’une femme découvrant à l’âge adulte son autisme. A cette occasion, rencontre avec l’artiste française : un dialogue intime entre force et fragilité, visibilité et silence, corps et matière, suivant les tremblements subtils qui façonnent l’identité et l’appartenance.


Vous n’avez pas fait les Beaux-Arts mais une école de commerce. Vous êtes en quelque sorte une artiste "insolite". Quel est votre parcours ?
J’ai toujours aimé l’art. Enfant, je prenais des cours de dessin et je faisais des sculptures au lieu de réviser mon bac ! Mais pour les études, j’ai suivi le désir de mes parents qui ne me laissaient le choix qu’entre une école de commerce, d’ingénieur ou de médecine. J’ai choisi la première option, tout en cultivant ma passion de manière personnelle. C’est seulement une fois que j’avais un MBA réalisé aux Etats-Unis en poche, que mes parents ont accepté que je fasse des études artistiques. J’ai choisi un master en histoire de l’art à New York. Avec ces études, mon plan de carrière était pragmatique plutôt que passionné : travailler en galerie d’art. Ma rencontre avec mon futur mari a néanmoins été décisive. Il a toujours baigné dans le milieu artistique, il m’a poussé à me lancer comme artiste sans attendre ma retraite comme je pensais le faire !
N’ayant pas fait d’école d’art, le début de mon travail n’était pas structuré. A partir de 2019, ce sont mes premières sculptures en marbre – des bas-reliefs où des empreintes de mains paraissent sculpter la surface de blocs géométriques en marbre de Carrare – qui ont véritablement lancé ma carrière.
Cette exposition est le fruit de cinq années de recherche artistique. Quelle place a la recherche dans votre processus créatif ?
Il y a eu une recherche personnelle et en même temps esthétique, sans que je comprenne au début qu’elles étaient liées. Le développement de l’un a amené le développement de l’autre, portant à l’exposition.
Pour celle-ci, la recherche a commencé durant la pandémie. J’étais chez mes parents en Ariège, où je me baladais beaucoup dans les sous-bois. J’observais la nature, je regardais les formes, je ramassais des bâtons, des branches. Je les stockais sans vraiment savoir ce que j’allais en faire dès lors que mon medium de prédilection était le marbre.
Mon cerveau crée tout et n’importe quoi, ce sont des formes que je catalogue. Et une fois que l’on a les idées en tête, il faut parvenir à les réaliser. S’ensuit donc un long travail de recherche sur les matériaux pour voir si ces formes sont réalisables physiquement.
Ces formes ramassées dans la nature ont notamment inspiré mes sculptures en métal, les roses particulièrement. Le travail de recherche a été d’autant plus long que c’est la première fois que j’utilisais ce medium.
Cinq années, c’est aussi parce que le temps de diagnostic de l’autisme a été très long.

Qu’est-ce que la pose du diagnostic a changé ?
Quand le diagnostic est tombé, j’avais 36 ans, cela a été une libération. Au niveau personnel, j’ai compris que je n’étais pas folle, cela m’a permis d’avoir une sortie de compassion pour moi-même. Le diagnostic m’a aussi permis de comprendre mon travail, que j’exerçais déjà depuis plusieurs années. Mon art est basé sur les sensations, les sentiments. Il s’exprime à travers le corps. Cela m’a permis de comprendre que cette recherche à la fois personnelle, esthétique et conceptuelle résultait en fait de ma perception différée de la norme. Et le fait de comprendre mes propres recherches m’a permis d’en développer d’autres : d’ouvrir d’autres portes, d’élargir mon champ artistique à d’autres séries de travail.
Par ailleurs, j’avais avant un syndrome de l’imposteur sur le fait de ne pas avoir fait les Beaux-Arts, de ne pas avoir les codes de l’artiste. Je pensais que je devais m’auto appliquer certaines normes dans mon travail pour qu’il puisse être apprécié du grand public. L’acceptation de soi-même à travers le diagnostic m’a permis de créer une série nouvelle et complètement différente avec le développement des œuvres en métal. J’ai pu exprimer autre chose, à travers un langage nouveau.
L’exposition donne forme à une transition silencieuse jusqu’à ce que l’autisme vous soit formellement diagnostiqué. Comment lire vos œuvres, selon l’évolution de votre art au cours de ces années ?
L’exposition comprend des pièces réalisées avant, pendant et après le diagnostic. Elles traduisent effectivement cette évolution silencieuse.
L’exposition propose un sens de lecture, pour faire comprendre que le diagnostic a été une libération plutôt qu’une sanction. Les premières œuvres sont les têtes en marbre noir : elles expriment un cri qui ne peut pas sortir, des sentiments coincés.
A partir du début de ma demande de diagnostic, je créais mes premières œuvres en métal : des cages avec des chaînes où sont attachées des formes organiques en marbre. Pour cette série, j’essayais de comprendre comment les idées naissaient dans mon cerveau et la façon dont j’essayais de les extraire pour faire des sculptures.
A posteriori, la lecture semble limpide : je me sentais enfermée, enchaînée dans une cage.
Dans l’exposition, on trouve également des moules que le dentiste a fait de mes dents, reproduits avec un mélange de résine et de marbre recyclé. Ces moules sont en quelque sorte à l’origine de ma demande de diagnostic : je souffrais de bruxisme, qui engendrait des migraines, de fortes douleurs physiques qui m’ont amené à faire des examens.
La continuité semble évidente avec ces sculptures constituées avec des barres de métal industriel, travaillées pour les retordre en formes de fleurs, avec des dents à l’extérieur. Ces œuvres représentent l’éclosion, le printemps, l’après diagnostic. Des œuvres de grand, très grand format !

Cette exposition représente en quelque sorte une mise à nu. Quel message souhaitez-vous transmettre ?
Une grande majorité de personnes vivent avec une forme d’autisme qui permet de passer dans la société. On pense aussi que l’autisme concerne les garçons. Cela résulte du fait qu’ils sont élevés différemment. Les filles ne doivent pas faire de bruit ni de vague.
Aussi, beaucoup de femmes sont diagnostiquées tardivement, entre 30 et 40 ans, à l’occasion d’un burn out par exemple.
J’avais 36 ans. J’avais pourtant passé des années à voir des psys. Ce sont des années perdues avec une mauvaise image de soi, un très mauvais rapport au monde, des opportunités manquées. C’est injuste et j’espère que d’une certaine manière, cette exposition permettra de pointer ce problème et offrir à d’autres personnes d’avoir un diagnostic plus tôt.
Sous la peau le tremblement, du 9 octobre au 4 novembre 2025 à l'Institut français Milano, sous le commissariat d’expositition de Julia Rajacic.
Horaires : Jeudi - Vendredi 15h00 - 18h00 ; Samedi 10h00 - 12h00
Pour toute autre demande, contacter milano@institutfrancais.it
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