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L’immense monde des TAAF, raconté par la préfète de ces territoires méconnus

En amont de sa venue à Milan le 4 juin prochain, rencontre avec Florence Jeanblanc-Risler, préfète des TAAF, ces territoires stratégiques, dispersés et isolés, qui représentent 20% du domaine maritime français.

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Doigt de saint Anne archipel de Kerguelen ©Garnier Alexia
Écrit par Marie-Astrid Roy
Publié le 27 mai 2025, mis à jour le 28 mai 2025

Peu savent situer sur une carte les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Comment sont-ils constitués, quel est leur statut et où se se trouvent-ils ?

Les Terres australes et antarctiques françaises ont été officiellement créées le 6 août 1955 par la loi n°55-1052. Elles regroupent cinq districts (circonscriptions administratives) : l'archipel de Crozet, les îles Kerguelen, les îles Saint-Paul et Amsterdam, la Terre Adélie (située en Antarctique), et, depuis 2007, les îles Éparses (situées dans l'océan Indien). L’administration fête donc ses 70 ans cette année.
En créant une collectivité d’outre-mer à statut particulier, l’objectif principal consistait à mieux administrer et gérer ces territoires éloignés et dispersés. La centralisation de leur gestion sous une administration unique visait à faciliter la coordination des activités et à assurer une présence française continue et cohérente dans ces régions.

La création des TAAF a aussi permis à la France d'affirmer sa souveraineté sur ces territoires éloignés en maintenant, par le biais des bases scientifiques, une présence humaine permanente. Ces régions ont une importance stratégique, notamment pour la surveillance des routes maritimes, leur intérêt scientifique et pour la présence française en Antarctique conformément aux dispositions du Traité sur l'Antarctique signé en 1959.

La première mission des TAAF est d’assurer la souveraineté de la France sur ces territoires qui représentent 20% du domaine maritime français. Cela passe notamment par une présence humaine permanente à terre, associée à une logistique complexe assurée en grande partie par les deux navires des TAAF : le Marion Dufresne et l’Astrolabe. Cela passe également par une coopération avec la Marine nationale et l’Action de l’Etat en mer qui assurent des missions de surveillance de souveraineté et de surveillance des pêches dans nos zones économiques exclusives.

Les TAAF assurent également une mission de protection du patrimoine naturel. Cette mission est mise en œuvre à travers l’encadrement des pêcheries et la gestion de deux réserves naturelles nationales : la RNN des Terres australes françaises, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2019 et étendue en février 2022 à l’ensemble des ZEE des australes, et la RNN de Glorieuse dans les Éparses, créée en 2021. L’objectif principal est de limiter les pressions anthropiques sur ces territoires encore préservés, fortement impactés par les espèces exotiques envahissantes. La restauration des milieux naturels constitue donc un objectif majeur de ces réserves.

La troisième mission des TAAF est de contribuer au soutien de la recherche scientifique, particulièrement développée dans ces « laboratoires à ciel ouvert », dans les domaines de la géologie, de la glaciologie, de la biologie ou encore de l’observation des effets du changement climatique.

 

Préfète_Terre-Adélie_Janvier 2024@G.Houpert
Florence Jeanblanc-Risler, Préfète des TAAF - Terre Adélie (Janvier 2024) @G.Houpert


Ces archipels sont éloignés et isolés. Comment y accède-t-on ?

Les territoires sont, pour la plupart, uniquement accessibles par voie maritime. C’est le cas des îles australes (Crozet, Kerguelen, Amsterdam et Saint-Paul).
Le Marion Dufresne effectue quatre rotations australes par an depuis Le Port de La Réunion. Ces rotations desservent également l’île Tromelin, située au nord de La Réunion. Il faut environ un mois au navire ravitailleur pour parcourir près de 9000 km à travers l’océan Indien, dont une bonne partie entre 40èmes rugissants et 50èmes hurlants, dans des conditions souvent difficiles.
Dans les îles Éparses du canal du Mozambique (Glorieuse, Juan de Nova et Europa), la desserte est essentiellement assurée par voie aérienne militaire depuis La Réunion en partenariat avec les Forces armées dans la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI). Trois à quatre fois par an, un bâtiment de la Marine Nationale assure également une rotation pour acheminer le matériel lourd et encombrant ne pouvant être transporté par avion.
La base Dumont-d’Urville en terre Adélie est desservie par le navire brise-glace L’Astrolabe depuis le port d’Hobart en Tasmanie (Australie). Propriété des TAAF, il est armé par la Marine nationale et affrété par l’Institut Polaire Français (IPEV), qui gère les opérations logistiques et scientifiques en terre Adélie.
Sur chaque district, je suis représentée par un chef de district qui assure des missions de souveraineté, de sécurité et de suivi de la bonne exécution des programmes logistiques, scientifiques et de préservation de l’environnement. Le chef de district est également officier d’état-civil et officier de police judiciaire.

 

Logistique en baie du marin à Crozet © Alexandre TROUVILLIEZ
Logistique en baie du marin à Crozet © Alexandre TROUVILLIEZ

On a coutume de dire que les TAAF, ce sont 40 métiers différents

Quelle est la population qui y vit ?

Le nombre de personnes en mission sur chaque district dépend de la zone géographique et de la période de l’année :
-    dans les îles Eparses du canal du Mozambique : un gendarme, un agent TAAF de la direction de l’environnement et un détachement de 14 militaires se relaient tous les 45 jours ;
-    sur l’île de Tromelin : 4 agents des TAAF se relaient tous les trois mois ;
-    dans les districts austraux et en terre Adélie : entre 25 et 100 personnels sont présents sur base, en fonction de la période de l’année (Kerguelen et la terre Adélie étant les districts les plus « peuplés » pendant l’été austral).
On a coutume de dire que les TAAF, ce sont 40 métiers différents : scientifiques, gestionnaires d’espaces naturels, militaires chargés, en particulier, des questions de sécurité et de production d’eau et d’énergie, ouvriers polyvalents, logisticiens, cuisiniers, etc. Chacun constitue un maillon essentiel à la réalisation des missions des TAAF.

En tant que préfète des TAAF, quel est votre rôle ?

Mon rôle s’articule autour de trois principales missions :
-    garantir la sécurité et la protection des personnes et des biens ;
-    veiller à l’application des lois et des règlements : ce n’est parce que ces territoires sont aux antipodes de l’hexagone que les lois ne s’y appliquent pas ;
-    et mettre en œuvre des politiques publiques gouvernementales en matière, notamment, de protection de l’environnement.
Je suis établie à Saint-Pierre à La Réunion et je me rends une fois par an environ sur ces territoires.

 

La valeur historique, maritime, stratégique et environnementale de ces territoires est méconnue. Pourquoi sont-ils si importants ?

Les TAAF constituent une richesse incontestable pour la France, à plusieurs niveaux. Sur le plan maritime, ils représentent 20% de l’espace maritime français. Sur le plan de la biodiversité, les TAAF abritent 800 km² de récifs coralliens et parmi les plus grandes concentrations d’oiseaux marins au monde. Sur le plan de la recherche et de la connaissance, les TAAF sont des laboratoires à ciel ouvert qui permettent à la France de compter parmi les nations qui comptent au plan international, notamment en matière d’observation et de compréhension du changement climatique. De très nombreux programmes de recherche contribuent directement aux travaux du GIEC.

Les enjeux économiques sont également à souligner, via les activités de pêche (légine, langoustes) menées dans les ZEE et mers territoriales des Terres australes françaises. Les retombées économiques de cette activité dépassent les TAAF, pour bénéficier également au territoire de la Réunion.
Au niveau stratégique, la présence française dans ces rares terres émergées du sud de l’océan Indien offre également un support au système de géolocalisation européen Galileo et au système de surveillance international des essais nucléaires.

Enfin, au niveau géopolitique, la présence française dans le Sud-ouest de l’océan Indien est la seule présence européenne dans cette région, au cœur d’enjeux stratégiques croissants. En Antarctique, la présence française lui permet au sein des instances du système du Traité sur l’Antarctique, de participer en tant qu’ « Etat possessionné » à la gouvernance multilatérale de ce continent.

 

hélicoptère sur une ile
Logistique, Kerguelen  ©Thomas Goisque


Quel est le programme de votre venue à Milan ?

J’ai été conviée par l’Institut Français de Milan à venir présenter les Terres australes et antarctiques françaises lors d’une conférence qui aura lieu le 4 juin au soir. J’aurai également l’occasion d’échanger avec des élèves du Lycée Stendhal.
Ce déplacement intervient quelques jours avant la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) qui se tiendra à Nice du 9 au 13 juin et à laquelle j’ai prévu de participer et au cours de laquelle de nombreux sujets intéressants ces territoires seront abordés : protection de la biodiversité marine, traité sur la haute mer, pêche durable et coopérations régionales et internationales. 

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